En Côte d’Ivoire, ruée sur les feuilles de neems, après des rumeurs affirmant qu’elles contiennent de la chloroquine
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En Côte d’Ivoire où 190 cas de contamination au Covid-19 avaient été enregistrés au 01 avril , des populations prises de panique prennent d’assaut depuis quelques jours les neems, dont les feuilles et les écorces sont utilisées dans la médecine traditionnelle pour lutter contre le paludisme. Des rumeurs affirment à tort que les feuilles de l’arbre, aussi connu sous le nom de margousier et très répandu en Afrique de l’Ouest, contiendraient de la chloroquine, une molécule présentée par le professeur français Didier Raoult comme pouvant permettre de lutter contre le Covid-19.
Le neem est généralement planté aux abords des voies et dans des lieux publics pour donner de l’ombre aux usagers. Mais ses composantes sont aussi utilisées dans la préparation de tisane par les tradipraticiens pour lutter contre le paludisme.
Le 22 mars, le professeur Didier Raoult, directeur de l’Institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection à Marseille, a émis la possibilité que la chloroquine soit efficace contre le Covid-19, si elle est associée à l’azithromycine, un antibiotique. En France où près de 57 000 cas de contamination ont été enregistrés au 01 avril, des essais cliniques utilisant la chloroquine sur des malades Covid-19 sont actuellement en cours pour lever le doute.
“Le coronavirus, ce n’est pas le paludisme”
L’Afrique comptait au 01 avril 5 786 cas de contamination au Covid-19, en expansion rapide sur le continent. Ces derniers jours, des rumeurs, essentiellement sur Whatsapp en Côte d’Ivoire, mais aussi sur Facebook en RD Congo ou Gabon, ont affirmé que les feuilles de l’arbre contenaient de la chloroquine.En Côte d’Ivoire, notre Observateur, Raphael N’guessan, président de l’ONG Rove qui lutte pour la préservation de la biodiversité à Bouaké, la principale ville du centre du pays, a constaté ces derniers jours une grande pression sur l’arbre :
Après l’annonce du professeur Didier Raoult, la rumeur selon laquelle les feuilles de neem, qui ont un goût amer, contiendraient de la chloroquine, a commencé à circuler.
Les compatriotes se sont donc jetés sur l’arbre. Ils prennent les feuilles, les écorces et même les graines pour faire des décoctions. Les gens mélangent les feuilles soit avec du citron, soit avec des feuilles de teck qui servent d’antibiotiques.
Un jeune coupe des feuilles de neem près d'une voie à Bouaké en Côte-d'Ivoire. Vidéo prise par Raphael N'guessan.Il y a beaucoup de rumeurs qui circulent et les gens pensent que le coronavirus est une autre forme de paludisme. Pourtant des médecins et des chercheurs sont venus à la télévision mettre en garde les populations contre leur usage pour lutter contre le virus.
Moi, je veux attirer l’attention sur les conséquences pour la biodiversité. Il ne faut pas détruire ces grands arbres. Les populations s’exposent aussi à des dangers en abusant de ces décoctions. Le coronavirus, ce n’est pas le paludisme.
“Il n’y a aucune présence de chloroquine dans les feuilles de neem”
Latifou Lagnika est enseignant-chercheur à la Faculté des sciences et techniques de l’université d’Abomey-Calavi au Bénin. Il travaille régulièrement sur les propriétés biologiques et pharmacologiques des plantes. Alerté par les rumeurs qui circulent dans les forums Whatsapp, il a effectué fin mars une étude préliminaire en laboratoire pour vérifier la présence de l’hydroxychloroquine ou de molécules assimilées dans les feuilles de neem :
La chloroquine est une molécule de synthèse dérivée de la quinine. Laquelle est isolée du quinquina, une plante découverte au Pérou en Amérique latine. Il est peu probable qu’on la retrouve dans les feuilles de neem.
Pour autant, nous avons fait une étude dans le laboratoire de la Faculté des sciences et techniques de l’université d’Abomey-Calavi pour l’étayer scientifiquement. Et d’après, les résultats de cette étude préliminaire, il n’y a aucune présence de chloroquine ou de molécule assimilée dans les feuilles de neem.
Mais il n’y a pas que le neem qui fait l’objet de ces rumeurs. Au laboratoire, nous avons travaillé également sur la vernonia et la nigelle soupçonnées aussi par les populations de contenir de la chloroquine. Ce qui est faux.
En Afrique, il y a un fort taux d’analphabétisme. Je comprends qu’on puisse faire un lien entre le goût amer de ces plantes et la chloroquine, qui est aussi amère. Mais le vrai danger que les gens courent, c’est l’intoxication. Tout médicament utilisé sans contrôle et respect du dosage devient un poison. Il est très dangereux de faire des combinaisons qui pourraient exposer les populations à des problèmes rénaux.
Pour la lutte contre le coronavirus, il faut suivre les consignes de autorités et éviter l’automédication.
Article écrit par Hermann Boko