CHINE

Fausses images sur les Ouïghours : “Ça dessert notre cause”

De nombreuses images concernant les Ouïghours sont partagées sur les réseaux sociaux. Elles sont parfois fausses ou imprécises.
De nombreuses images concernant les Ouïghours sont partagées sur les réseaux sociaux. Elles sont parfois fausses ou imprécises.
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Ces dernières semaines, de nombreuses vidéos censées présenter des cas de tortures, maltraitances et des arrestations de citoyens ouïghours dans la région du Xinjiang, en Chine, ont circulé sur les réseaux sociaux. Mais plusieurs de ces publications sont fausses, ou imprécises. Pour les activistes de cette communauté musulmane persécutée en Chine, ces fausses images donnent du grain à moudre aux nationalistes chinois qui crient à la désinformation.

Attention, les images ci-dessous peuvent choquer.

Dans c

ette vidéo partagée mi-décembre sur Instagram, trois hommes sont filmés à terre, presque nus, en train d’être fouettés. Le compte allemand qui la publie laisse entendre en légende qu’il s’agit du sort réservé aux Ouïghours en Chine. "Des centaines de milliers de Ouïghours sont torturés et assassinés dans les camps d’internement", peut-on y lire. Depuis supprimée, la vidéo avait été vue plus de 200 000 fois. 

Capturé d’écran de la vidéo sur le compte Instagram @das_erwachen le 10 décembre. La publication a depuis été supprimée.

En réalité, ces images datent de 2017 et ont été tournées en Indonésie. Difficile de savoir exactement ce qu’il s’est passé, mais selon plusieurs médias indonésiens il s’agirait de trois adolescents soupçonnés de vol.

D’autres images sorties de leur contexte sont également diffusées sur les réseaux sociaux, comme cette photo relayée sur Twitter et présentée comme une scène de torture envers une femme ouïghoure.  

Présentée comme une femme ouïghoure torturée, cette femme est en fait une activiste qui participe à une action à Chicago pour dénoncer les tortures du régime chinois sur les membres du Falun Gong

En faisant une recherche inversée sur Tineye (voir ici comment faire), il est possible de retrouver la même photo dans plusieurs articles en anglais et en chinois. Elle a été prise en 2004 lors d’une série d’actions à Chicago destinées à dénoncer les tortures du régime chinois sur les membres du Falun Gong (un mouvement spirituel associé à une secte en Chine et réprimé depuis 1999 par le gouvernement). Plusieurs des participants avaient mis en scène des tortures. La femme sur la photo est donc une actrice.

D'autres images des actions pour dénoncer les tortures du gouvernement chinois

Des vidéos imprécises

Quand les publications ne sont pas fausses, elles sont parfois approximatives. C’est le cas du tweet ci-dessous. L’internaute partage une vidéo montrant les retrouvailles entre un homme et sa famille et le présente comme un prisonnier tout juste libéré d’un camp d’internement chinois. L’homme a en effet l’air sonné : il avance lentement et semble avoir peur des mouvements trop brusques.

Quelques précisions sont toutefois nécessaires. L'homme en question, Zharqynbek Otan, a vraiment été incarcéré pendant huit mois dans un camp d'internement en Chine en 2016. Il a ensuite passé un an en détention surveillée avant d’être finalement libéré en octobre 2018. Les raisons de son interpellation restent floues. Ressortissant chinois vivant au Kazakhstan, musulman pratiquant, il aurait été placé en détention après s’être rendu en Chine pour renouveler son passeport.

Or, la vidéo ne montre pas son retour d’un camp de rééducation chinois. Elle a été filmée en janvier 2019, au Kazhakstan, alors que Zharqynbek Otan avait disparu pendant 24 heures. Sa femme avait d’ailleurs lancé un appel sur les réseaux sociaux. 

La femme de Zharqynbek Otan a lancé un appel à témoins le 23 janvier 2019 après s'être rendue compte que son mari avait disparu

Zharqynbek Otan avait expliqué à ses proches et à des activistes  ne pas se souvenir de ce qui lui était arrivé. La rédaction des Observateurs a reconstitué son histoire ici.

Autre exemple, cette photo qui a été relayée à de nombreuses reprises sur Facebook et Twitter. La plupart des publications sous-entendent que cet enfant est ouïghour. 

Cette photo est bien reliée aux Ouïghours mais elle a été prise en Turquie, en 2018, lors d'un rally de solidarité avec les Ouïghours. En faisant une recherche d'image inversée, on retrouve des articles datant de 2018  qui reprennent cette photo en créditant l'AFP. Rien ne permet donc d'affirmer que cet enfant fait partie de cette communauté. 

"Ces publications desservent les Ouïghours"

Sur son compte Twitter, l’activiste ouïghour Alfred Erkin tente de faire le tri entre les véritables vidéos de tortures et les images détournées. Il a quitté le Xinjiang, où son père est emprisonné, et vit aujourd’hui aux États-Unis.

Ces photos et vidéos fausses peuvent être utilisées facilement par la Chine pour leur propagande. C’est arrivé que quelqu’un poste une vidéo d’un homme en train d’être battu en décrivant la victime comme ouïghoure (alors qu’elle ne l’était pas). Elle a été reprise par les médias chinois qui accusent les Occidentaux de propager des fake news.

Ces fausses photos sont en effet souvent repérées par les nationalistes chinois, qui s’en servent pour décrédibiliser les Ouïghours et les auteurs de ces publications. Dans cette publication sur Reddit, cet internaute reprend une photo relayée selon lui  sur les réseaux sociaux et supposée montrer des chinois en train de tuer des Ouïghours.

Ces fausses photos sont en effet souvent repérées par les nationalistes chinois, qui s’en servent pour décrédibiliser les Ouïghours et les auteurs de ces publications. Dans cette publication sur Reddit, cet internaute reprend ce qu'il présente comme étant un tweet pro-Ouïghour avec une image modifiée. (CLARIFICATION 13/1/2020 : La rédaction des Observateurs n'a pas pu confirmer qu'un tel tweet a été posté.)

Cet internaute dénonce des intox qui participent à "une propagande anti-chinoise." Cette publication a beaucouo circulé sur les réseaux sociaux chinois

En réalité il s’agit d’un camion ayant eu un accident de la route en Indonésie. Sa cargaison, du sirop, s’est renversée, ce qui explique les traces rouges à terre. On retrouve facilement la photo grâce à une recherche inversée. L’internaute qui la partage sur Reddit dénonce des "propagandistes anti-chinois, sans éthique ou intégrité".

Pour Alfred Erkin, c’est la preuve qu’il faut faire attention à ce qui est diffusé en ligne :

On a assez de vraies images pour montrer au monde ce qu’il se passe. Ces images donnent une fausse idée et montrent un niveau de cruauté parfois bien en-dessous de la réalité.

De plus, les gens confondent les Ouïghours, les Hui et les Tibétains. Confondre ces communautés dans les publications, c’est nier notre identité, alors que la Chine essaie déjà de nous éradiquer.

Récemment les hashtags #Chinazi et #China_is_terrorist ont été largement repris sur Twitter pour dénoncer la politique de la Chine envers les minorités. Souvent, ils sont accompagnés de photos et vidéos. Or, pour Alfred Erkin, il est difficile de différencier vraies et fausses images :

Certains Ouïghours ont quitté la région il y a une dizaine d’années. Ils partagent des photos en croyant véritablement qu’il s’agit de Ouïghours. Même pour moi, ces images sont difficiles à trier. Il y a aussi beaucoup de comptes de trolls qui postent avec des hashtags sur les Ouïghours pour noyer les contenus.

Alfred Erkin reconnaît qu’il ne peut pas traquer toutes les fausses publications, mais son compte Twitter lui permet de relayer les vraies vidéos et photos, afin de montrer au monde ce qui se passe dans sa région.

Selon l’ONU, près d’un million de Ouïghours seraient détenus dans des camps d’enfermement dans la région du Xinjiang. Cette ethnie musulmane est victime d’une vaste campagne de répression de la part du régime chinois.

>> Voir sur France 24 : Ouïghours, à la force des camps

Article écrit par Marie Genries (@mariegnrs