TURQUIE

Dans le village turc millénaire d’Hasankeyf, les autorités détruisent de précieux vestiges historiques

Le marché historique d'Hasankeyf détruit début novembre. Capture d'écran d'une vidéo de l'activiste Rivdan Ayhan, publiée sur Facebook le 4 novembre.
Le marché historique d'Hasankeyf détruit début novembre. Capture d'écran d'une vidéo de l'activiste Rivdan Ayhan, publiée sur Facebook le 4 novembre.
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Début novembre, les autorités turques ont fait comprendre aux habitants d’Hasankeyf qu’il était temps de partir. Ce petit village situé au bord du Tigre, vieux de plus de 12 000 ans, sera bientôt englouti par les eaux d’un barrage, les autorités ayant fait peu de cas des revendications des habitants et des activistes. Elles ont entrepris de déplacer certains monuments, mais pas sans en détruire d’autres : le marché historique vient ainsi de succomber aux coups de pelleteuses, au grand dam de notre Observateur.

Hasankeyf est un village majoritairement kurde situé au sud-est de la Turquie, sur l’antique route de la soie. Témoin du passage de nombreuses civilisations, la ville est vouée à disparaître engloutie par les eaux du barrage Ilisu, construit à une soixantaine de kilomètres en aval. La construction est achevée, le barrage a commencé à retenir l’eau et doit entamer sa production d’électricité en février 2020.

Une série de vidéos publiées sur les réseaux sociaux début novembre montre des engins de chantier détruire le marché historique d’Hasankeyf, vieux de plusieurs siècles.

Vidéo publiée par un habitant d'Hasankeyf le 4 novembre 2019. 

 

Lire sur les Observateurs >> Un village millénaire kurde détruit à l’explosif et bientôt englouti par le Tigre

D’ici là, la Direction générale turque des travaux hydrauliques d'État (DSI) supervise l’évacuation d’Hasankeyf et la construction d’une ville nouvelle dans les hauteurs, où doivent être déplacés six monuments historiques majeurs.

Sur ces images, on peut voir les habitants d'Hasankeyf en train de finaliser leur déménagement. 

C’est notamment le cas de la mosquée Al Risk, dont le minaret a été démonté et est désormais stocké dans la "Nouvelle Hasankeyf" ("Yeni Hasankeyf" en turc). Début novembre, c’est le déplacement de la mosquée elle-même qui devait commencer. C’est pour construire la route qui permettra de la déplacer vers les hauteurs de la ville nouvelle que la DSI a démolie l’ancien marché.

Dans cette vidéo publiée le 10 novembre sur Twitter, on voit plusieurs boutiques démolies surmontées de pelleteuses.

"Ces boutiques sont vieilles d’au moins 200 ou 300 ans et on a trouvé des vestiges romains sous les débris. Comme vous pouvez le voir, toutes les boutiques ont été détruites à la pelleteuse", détaille celui qui filme. On peut voir la mosquée au début de la vidéo, placée sur une dalle en béton.

"Nous avons vu nos âmes, notre passé et nos histoires enterrées sous nos maisons"

Murat Takin, commerçant de 40 ans, était présent quand le marché historique a été détruit.

 

Je suis né à Hasankeyf et j’y possède un magasin de bouteilles de gaz. J’étais là quand ils ont détruit le marché historique et j’ai éprouvé beaucoup de tristesse. C’était comme une scène de guerre, sauf qu’au lieu de voir des hommes ensevelis sous des débris, nous avons vu nos âmes, notre passé et nos histoires enterrés sous nos maisons. Tout ça pour un barrage.

Dans cette vidéo, un commerçant d'Hasankeyf, visiblement ému et en colère, jette ses possessions au feu en signe de protestation face au barrage et à la destruction du marché.

 

Quand ils ont démoli le marché, ils ont découvert des vestiges archéologiques datant des époques romaines et ottomanes.

Vue d'ensemble de la zone du marché historique, où des fouilles ont commencé début novembre. Vidéo publiée sur Instagram sous forme de "story", le 19 novembre 2019.

 

Ils ont lancé des fouilles mais d’une façon précipitée, ils veulent juste en finir le plus vite possible tout en préservant les apparences. Ils ne prennent aucune précaution et vont probablement détruire de précieux artéfacts.

Au début de cette vidéo, on peut voir que les travaux de démotion entraînent de petits éboulements dans le site de fouilles. Vidéo publiée le 18 novembre 2019.

 

Autre vue du site de fouilles, publiée par la journaliste Durrie Bouscaren, le 13 novembre 2019.

 

C’est d’ailleurs terrible quand on sait qu’il y a de nombreux autres vestiges cachés sous les maisons d’Hasankeyf. Si l’inondation survient bien en janvier, tous ces vestiges seront perdus à jamais.

Selon le groupe d’activistes Hasankeyf Koordinasyonu (Coordination Hasankeyf), contacté par notre rédaction, 80 % d’Hasankeyf et 289 sites archéologiques vont être submergés – dont certains situés dans les zones rurales environnantes.Certains ont été partiellement fouillés.

John Crofoot, fondateur du site Hasankeyf Matters, déplore la perte de ces vestiges.

 

Plusieurs monuments majeurs vont être submergés, comme les piliers du pont historique, qui datent du 12e siècle, la mosquée Koç, le complexe Mardinik, constitué d’un palais, d’une mosquée et d’une madrasa et plein d’autres petits vestiges et petites mosquées. C’est en fait toute une cité médiévale, et en-dessous d’elle tant de couches de vestiges archéologiques qui vont être submergés, de l’époque des Hittites à l'époque byzantine, en passant par l'empire romain.

"Des fouilles précipitées sous ce qui était le marché d'Hasankeyf il y a encore deux semaines. Les vestiges archéologiques de 12 000 ans d'histoire urbaine sur le point d'être détruits", commente l'activiste John Crofoot sur Twitter, le 20 novembre 2019, sous une vidéo montrant l'avancée des fouilles.

Personne ne sait exactement ce qu’il reste à découvrir mais ce site est unique par sa longévité. Il faut que le gouvernement turc prenne ses responsabilités, pour préserver la dignité de ce site exceptionnel et partager au monde entier de potentielles exceptionnelles découvertes archéologiques.

Selon The Guardian, seulement 10 % du village a été fouillé par des archéologues.