ITALIE

Bras d'honneur et insultes : une vidéo parodique "deepfake" de Matteo Renzi fait polémique en Italie

Une vidéo montrant Matteo Renzi faire des bras d'honneur et se moquer de plusieurs politiciens a été diffusée dans une émission parodique à la télévision italienne. Mais il s'agit d'un "deepfake".
Une vidéo montrant Matteo Renzi faire des bras d'honneur et se moquer de plusieurs politiciens a été diffusée dans une émission parodique à la télévision italienne. Mais il s'agit d'un "deepfake".
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Une émission satirique italienne crée la polémique depuis le 23 septembre en diffusant des vidéos dites de "deepfake" : on y voit des hommes politiques italiens raconter n’importe quoi, dans un but humoristique puisqu’il ne s’agit pas d’eux en réalité. Une vidéo prétendant montrer Matteo Renzi, l’ancien président du Conseil, insultant plusieurs hommes politiques, a notamment interrogé de nombreux internautes, dont un spécialiste de la vérification en Italie.

Le 23 septembre, l’émission "Striscia la notizia" ("Le défilé des informations", en français), de la chaîne privée Canale 5, a diffusé une vidéo montrant un "faux" Matteo Renzi : il s’agit d’un acteur interprétant son rôle, dont le visage a été recouvert graphiquement par le visage du politicien italien. Résultat : l’acteur ressemble à s’y méprendre à Matteo Renzi.

La vidéo a été publiée dans son intégralité sur le site Internet de l'émission, mais c'est surtout une version plus courte de cette vidéo, publiée sur son compte Twitter, qui a fait parler.

Dans la version longue de cette vidéo, le "faux" Matteo Renzi parle, alors qu’il est censé être hors antenne. Nous avons retranscrit une partie de ses propos :

Salut chérie ! Bonjour ! [Il fait un signe de la main.] Tu devrais voir son visage ! Tu devrais voir le visage de Conte quand j'ai dit que je partais. Il a fait ce visage. [Grimace.] Non ! J'ai dit : "Les gars ! Désolé, je pars !" [Matteo Renzi a quitté le Parti démocrate en septembre, après avoir œuvré à la constitution du deuxième gouvernement du Président du conseil Giuseppe Conte.] [...]

L'autre, Conte. Conte a le visage d'un crétin, c'est un peu... Pour l'amour du ciel ! Conte… Tiens ! [Il fait un bras d’honneur.]

Di Maio… Tiens ! [Il refait un bras d’honneur. Luigi Di Maio, dirigeant du Mouvement 5 Étoiles, est l’un des ministres du nouveau gouvernement de Giuseppe Conte.] Lui aussi.

Zingaretti, Calenda et D'Alema… Tiens, tiens, tiens ! [Il refait des bras d’honneur. Carlo Calenda est un ancien ministre, membre du Parti démocrate. Massimo D’Alema, ancien président du Conseil, a quitté le Parti démocrate en 2017, hostile à Matteo Renzi.]

Il y a ensuite mon cher président Mattarella… [Il reproduit le bruit d’un pet. Sergio Mattarella est le président de la République.] [...]

La vidéo est à replacer dans un contexte politique particulier en Italie : Matteo Salvini, dirigeant du parti d’extrême droite de la Ligue, qui gouvernait depuis 14 mois avec le Mouvement 5 Étoiles anti-système, a mis fin à la coalition début août, ce qui a entraîné la chute du gouvernement de Giusseppe Conte. Matteo Salvini espérait ainsi obtenir des élections anticipées pour revenir en force au pouvoir.

Mais une alliance inédite entre le Mouvement 5 Étoiles et le Parti démocrate, dont est issu Matteo Renzi, a finalement fait barrage à la Ligue.

À la suite de ces tractations politiques, Matteo Renzi a finalement annoncé qu’il quittait le Parti démocrate pour former son propre parti centriste, baptisé "Italia Viva".

Une vidéo qui fait réagir sur les réseaux sociaux et dans les médias

La vidéo est clairement une parodie. Mais elle a été reprise par plusieurs internautes italiens, qui ont diffusé la séquence en la faisant passer pour vraie et en s’indignant.

"J’ai des doutes sur Renzi, et la façon dont il gère le Parti démocrate, surtout en Calabre. C’est pour ça que j’ai quitté le parti en 2013. Une vidéo récente corrobore mes propos. Le Mouvement 5 Étoiles est la seule alternative."

"C’est un homme de … (insulte), vous, les pro-Renzi, je vous laisse vous faire votre propre opinion."

 

"Écoutez Matteo Renzi… on se demande quoi et qui maintient le gouvernement en vie… et combien de temps ça va durer !"

 

Ces tweets ont cependant été très peu partagés, et la majorité des internautes sur les réseaux sociaux italiens ont alerté sur le fait qu’il s’agissait d’une fausse vidéo à caractère humoristique.

Le journaliste Massimo Gramellini, du respecté quotidien Corriere della Serra, a également rédigé un article très critique de cette vidéo :

Non seulement la contrefaçon profonde peut détruire toute réputation, mais ces formes sophistiquées et instantanées de manipulation de la réalité atteignent des millions d'utilisateurs qui ne sont pas préparés à ça. Le "deep fake" finit par nourrir le scepticisme crédule. On doute de tout, mais nous sommes toujours disposés à croire en quelque chose, tant que c'est incroyable.

L’émission "Striscia la notizia" estime avoir suffisament prévenu les téléspectateurs et journalistes

Contactée par les Observateurs de France 24, l’équipe de "Striscia la notizia" a expliqué avoir produit la vidéo "grâce au concours de professionnels de la production audiovisuelle", sans donner plus de détails. Elle se défend de toute manipulation :

Nous sommes habitués à provoquer, avec succès, les partisans du "politiquement correct". Par ailleurs, nous avions annoncé en conférence de presse, devant des dizaines et des dizaines de journalistes, ce qui allait être diffusé [le deepfake, NDLR], en le qualifiant d’inquiétant. Lors de l’émission, le présentateur indique clairement "évidemment que ce n’est pas lui", et dans le générique, le nom de l’acteur à l’origine de doublage apparaît. Mais beaucoup de commentateurs ont quand même mordu à l’hameçon.

Striscia est une émission "éducative" qui, en 32 ans, a démasqué de nombreuses informations mensongères de journalistes et journaux télévisés officiels. Personne n’est jamais intervenu pour sanctionner ces erreurs. C’est cette impunité-là qui constitue le vrai danger. 

Un soutien surprenant de… Matteo Renzi

L’émission a par ailleurs reçu un soutien plutôt surprenant : celui de Matteo Renzi lui-même. Sur son compte Instagram, il a publié un message saluant "l’imitation parfaite" et transmis ses "compliments à Striscia" pour cette vidéo.

 

Mais face aux nombreux commentaires lui reprochant de prendre à la légère les deepfakes, Matteo Renzi s’est excusé dès le lendemain sur Facebook, promettant de ne "jamais sous-estimer les conséquences désastreuses de cette technique de modification graphique".

 

"Je pense que cette émission sous-estime le problème des deepfakes"

David Puente, journaliste italien spécialiste de la vérification des faits, a rédigé un article sur le site OpenOnline pour décrypter cette polémique.

C’est la première fois qu’un "deepfake" est diffusé comme cela à la télévision italienne. J’ai reçu énormément de message d’internautes qui me demandaient de vérifier si cette vidéo était vraie ou pas.

Les membres de l’émission ont peut-être pensé qu’ils avaient suffisamment prévenu leurs téléspectateurs, mais beaucoup de gens ne savent pas ce qu’est un "deepfake", encore aujourd’hui. Et le gros problème, c’est que sur leur site Internet, ils ont utilisé un titre "piège à clics" pour attirer les internautes vers la vidéo [le titre est : "Le hors antenne de Matteo Renzi, l’incroyable imagination du leader du Parti démocrate, mais est-ce lui ou pas ?", NDLR].

Le programme a ensuite diffusé deux autres deepfakes, un de Matteo Salvini, l’ex-ministre de l’Intérieur, et un autre du président Mattarella. Mais ces deux derniers étaient beaucoup moins réussis que le premier de Matteo Renzi.

En plus de ce deepfake e Matteo Salvini, l'émission parodique a aussi diffusé cet extrait, une autre vidéo deepfake du président italien.

 

Évidemment, ce type de contenu est dangereux, car il est très facile de le sortir de son contexte et de le faire passer pour vrai. Et je pense que, comme beaucoup de fausses vidéos, celle-ci refera surface dans plusieurs années pour accuser Matteo Renzi de dire des grossièretés. Je pense que cette émission sous-estime le problème des "deepfakes".