La vidéo de gardiens frappant sauvagement un détenu montre l’ultra-violence des prisons russes
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Ce sont des gardiens de prison qui frappent des prisonniers et trainent l’un d’eux dans les couloirs de la colonie pénitentiaires numéro 1 de Yaroslavl. Filmée par les caméras corporelles des gardiens, en 2016, cette vidéo a été récupérée, restaurée et publiée le 17 juillet dans le quotidien Novaya Gazeta par une ONG, Verdict public, qui veut attirer l’attention sur la réalité ultra-violente du système pénitentiaire russe.
Selon Verdict Public, le fichier des vidéos avait été effacé mais ils ont pu le restaurer. La vidéo dure neuf minutes. Elle montre d’abord les gardiens attraper un détenu, identifié comme Andrei Ivanov, afin de lui faire faire un cours de "travail éducationnel" après qu’il se soit plaint de ne pas avoir reçu de papier toilette. Un autre détenu, Dzhoshgun Abdullaev, tente de le défendre mais il est écarté. On entend ensuite les gémissements d’Andrei Ivanov, pendant que son codétenu se fait frapper puis trainer dans les couloirs, mené dans une autre pièce où il se fait frapper plus fort encore. Un gardien fait à un moment un signe aux autres, comme pour leur rappeler que la caméra tourne. La deuxième partie de la vidéo montre un gardien se rendre dans un bureau pour appeler un collègue, afin de se coordonner sur ce qui sera dit à l’administration de la prison à propos de ce qu’il vient de se passer.
Violences commises dans la colonie pénitentiaire de Yaroslavl en 2016. Vidéo publiée par l'ONG Verdict Public.
Contacté par notre rédaction, un ancien détenu de la colonie pénitentiaire numéro 1 de Yaroslavl entre 2012 à 2018, Ruslan Vakhapov, explique que ces images sont typiques de la violence qui règne dans ces camps.
Ce que vous voyez dans la vidéo, c’est ce qui se passe tout le temps. C’est une illustration de la vie quotidienne dans les colonies, où les détenus se sont front frapper en permanence. Dans la vidéo on entend le gardien dire à un moment que le détenu a été laissé avec le "cul plein de bleus". Pour eux ce n’est pas absolument pas un problème.
J’ai été frappé par un garde dans les cinq minutes qui ont suivi mon arrivée dans le camp de colonie où j’allais être interné. Tous les détenus qui arrivent au camp, ou presque, se font frapper. C’est une façon de vous détruire moralement et psychologiquement. Quand vous vous retrouvez par terre, un chien en train de vous aboyer dessus, vous avez compris que vous étiez dans un endroit horrible. C’est comme ça qu’on commence à vous détruire.
Ce genre de violences, ça arrive n’importe quand, dès que les gardes le jugent nécessaires : s’ils estiment qu’ils ont été insultés, offensés, ou que quelqu’un ne s’est pas comporté comme il faut. J’ai été témoin de ce genre de raclée environ dix fois. Je me souviens que j’entendais les bruits de ceux qui étaient frappés. J’étais dans la salle d’isolement à côté, et j’entendais quand ils amenaient un type pour une session de "cours éducationnel". Ce genre de violences ne se passe pas tous les jours, bien sûr, mais je dirais une fois par semaine.
Le service fédéral pénitentiaire russe a déclaré le 17 juillet procéder à un passage en revue des prisons dans la région de Yaroslavl. En 2018, une vidéo similaire, mise au jour par Verdict Public, avait permis de l’ouverture d’une enquête. Également tournée dans la colonie pénitentiaire de Yaroslavl, elle montrait le détenu Evgeny Makarov se faire déshabiller, renverser à plusieurs reprises un seau d’eau dessus, puis se faire frapper par un groupe d’au moins dix gardiens.
Le directeur de la colonie, Dmitry Nikolaev, a été arrêté en février pour ces abus. Seize anciens employés de la colonie, d’un autre complexe de la région de Yaroslslav et du service pénitentiaire régional ont également été démis de leurs fonctions.
Dzhoshgun Abdullaev a tenté de défendre son codétenu, avant de se faire frapper par les gardiens.
"Ça a un tout autre effet de le voir de vos propres yeux"
Irina Biryukova, avocate chez Verdict public, explique à la rédaction des Observateurs de France 24 que publier les vidéos étaient essentiel, non seulement pour déclencher une enquête judiciaire, mais aussi pour sensibiliser l’opinion publique.
Publier les vidéos, c’est le seul moyen que nous avons pour faire traduire ces gardiens en justice et sensibiliser les gens, qui souvent pensent que ce n’est pas grave si des détenus sont torturés dans les prisons. Des journalistes ont écrit sur ces violences dans la presse, mais ça a un tout autre effet de le voir de vos propres yeux. Cela provoque des réactions très différentes.
Pour l’avocate, le problème ne se résoudra pas seulement avec une réforme des prisons mais avec un meilleur contrôle de ces prisons, incluant des visites inopinées, et de meilleurs garanties de sécurité pour les médecins qui souhaiteraient révéler des preuves de torture.
Une réforme d’une administrion ne suffira pas à empêcher la torture dans les prisons. Ce qu’il faut c’est de la volonté politique, sinon il n’y aura pas de changement.
Depuis la fin de sa détention l’été 2018, Ruslan Vakhapov s’investit pour faire ressortir les témoignages de violences et de torture, et travaille avec une branche locale de "Russie derrière les barreaux ", une association qui aide les anciens prisonniers à se réadapter à la vie quotidienne une fois sortis. Il rapport que d’actuels détenus de Yaroslavl lui ont affirmé que les violences avaient cessés depuis la publication de la vidéo de 2018.
J’ai parlé à des gens en prison de Vladivostok au Caucase, en passant par la Tchétchénie. La vidéo de l’année dernière a été une comme une explosion qui a changé des choses dans tout le pays. Les gardiens de prison commencent à comprendre qu’ils ne peuvent pas frapper les détenus comme ça.