RUSSIE/KAZAKHSTAN

L’histoire de "l’homme retrouvé dans la tanière d'un ours en Russie" est une intox

L'histoire d'un homme "retrouvé après un mois dans la tannière d'un ours" a été relayée par de nombreux médias. Mais elle est fausse.
L'histoire d'un homme "retrouvé après un mois dans la tannière d'un ours" a été relayée par de nombreux médias. Mais elle est fausse.
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Une vidéo virale relayée par de nombreux médias russes et européens montre un homme présumé russe dans un état cadavérique qui aurait survécu après un mois passé dans la tanière d’un ours. Mais la situation de cet homme n’a rien à voir avec les ours, mais plutôt avec une grave maladie.

Dans une vidéo de 30 secondes diffusée sur les réseaux sociaux, un homme est allongé sur un lit et dans un état calamiteux : des blessures ouvertes et des tâches sont visibles partout son corps. L’homme répond à une question en russe affirmant qu’il s’appelle "Alexander".

Le site internet Eurasia Daily a diffusé cette vidéo citant des chasseurs qui auraient expliqué que l'homme avait survécu dans la tanière d'un ours.

 

De la Russie à l’Europe

La vidéo a commencé à circuler en juin à la fois sur les réseaux russophones et anglophones, notamment sur la plateforme russe Pikabu où des internautes s’interrogeaient sur l’origine de cette vidéo. Certains internautes évoquaient la possibilité d’un homme malade sous les effets de la drogue "krokodil" qui fait des ravages en Russie depuis plusieurs années.

Un utilisateur du réseau social russe Pikabu explique : "ce sont les effets de la drogue. J'ai déjà vu ses effets sur les os qui sont rongés, mais la personne est toujours vivante." Un autre lui répond que la drogue s'appelle "krokodil".

Mais le 25 Juin, le site internet russe Eurasia Daily affirme que cet homme aurait été attaqué par un ours dans la région de Tuva en Sibérie qui "lui aurait cassé la colonne vertébrale". Il aurait été "découvert par des chasseurs plus d’un mois après dans la tanière de l’animal" explique l’article. L’article cite des chasseurs sous couvert d’anonymat, et précise qu’ils ont reçu la vidéo de la part d’un homme d’affaires de la région de Tuva, qu’ils ne nomment pas non plus.

Contactée par la rédaction des Observateurs de France 24, la police de Tuva a expliqué qu’elle n’avait aucune information concernant cet homme sur leur territoire.

Pour autant, l’histoire de ce miraculé a été reprise par de nombreux médias : le Siberian Times, un site anglophone qui traite d’actualités russes, mais aussi les célèbres tabloïds anglais Daily Mail, The Sun et Daily Mirror, réputés pour relayer des histoires sensationnalistes sans vérification. L’article du Daily Mail a par exemple été relayé plus de 16 000 fois. Des télévisions russes ont également parlé de cette histoire incroyable, comme le média public Russia 24 qui a pour l’occasion interviewé un "expert de la faune sauvage" afin d’analyser si cette histoire de survie miraculeuse était plausible tout en mettant en doute sa véracité.

Un "Alexandre" en cache un autre

De nombreux internautes, intrigués par l’histoire, ont alors commencé à mener leur propre enquête.

Une membre de Zello Poisk, un compte Instagram destiné à retrouver la trace de personnes portées disparues dans la ville d'Aktobe au Kazakhstan, a pris connaissance de la vidéo. Il identifie que la langue parlée dans la vidéo n’a rien à voir avec la région de Tuva en Russie, mais est plutôt du kazakh.

"Dennis" (son nom a été changé) fait partie de ce groupe. Contacté par les Observateurs de France 24, il explique :

Tout ça s’est passé spontanément, par chance. Dans notre ville, un homme du nom d’Alexander avait disparu, et l’homme dans cette vidéo ressemblait très fortement à cet Alexandre. Des volontaires du groupe se sont alors rendus dans l’hôpital d’Aktobe, à la recherche de cet homme. Ils sont alors tombés sur cet homme cadavérique, mais qui n’était pas le bon Alexandre qu’ils recherchaient. L’homme qu’on voit dans la vidéo leur a confirmé qu’il s’appelait aussi Alexandre, et a dit qu’il était atteint d’une grave maladie de la peau.

Capture d'écran du compte Instagram Zello Poisk destiné à retrouver les kazakhs perdus de vue.

L’homme a été traité dans notre hôpital"

La rédaction des Observateurs de France 24 a aussi contacté Rustem Isaev, chef de service du centre médical d’Aktobe, qui a confirmé à la rédaction des Observateurs que le patient nommé Alexandre avait 41 ans, et qu’il avait intégré le centre le 8 juin dans un état critique :

Il a été traité pour des problèmes tels qu’une blessure au niveau de sa côte droite, un sepsis [un syndrome d'infection générale de l'organisme, NDLR] et du psoriasis [une maladie inflammatoire de la peau, NDLR] qu’il n’avait pas correctement soigné chez lui.

Nous l’avons traité pendant une semaine, et nous l’avons ensuite laissé partir, car son état s’était amélioré. Il n’a pas du tout été capturé par un ours, ni à Tuva, ni à Sochi. C’était bien un de nos patients.

Comment la vidéo de cet homme s’est-elle retrouvée sur internet ? Selon Rustem Isaev, le patient et sa mère avaient donné leur accord pour qu’il soit filmé dans le cadre d’exercices pratiques médicaux.

La vidéo aurait été partagée dans un groupé privé de messagerie instantanée entre les membres du personnel, mais un chirurgien l’aurait relayée en dehors de ce groupe pour ses amis. Ce chirurgien aurait reçu un blâme selon le chef de service.

 

Malgré le démenti, la fausse information poursuit son chemin

Plusieurs médias russes ont depuis publié des articles pour raconter la véritable histoire de cet homme, citant les informations venant de cet hôpital kazakh.

Pour autant, ces articles ont bien moins été partagés que les premiers avec l’histoire inventée de toute pièce.

A titre d’exemple, l’article du Daily Mail avec la version réelle de ce patient kazakh a été partagé 364 fois en 4 jours. De son côté, l’article sensationnaliste du Daily Mail parlant d’un homme miraculé après son passage dans la tanière d’un ours a été partagé 16 000 fois en une semaine.

Ce dernier article n’a toujours pas été mis à jour par le Daily Mail.

Cet article a été rédigé par Christopher Brennan (@CKozalBrennan).