En Guinée, des militantes d'à peine 20 ans en guerre contre l’excision pendant les vacances scolaires
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Alors que les vacances scolaires commencent en Guinée, un groupe de jeunes militantes s’active sur le terrain pour tenter d’empêcher les cérémonies de mutilations génitales, régulièrement organisées par les familles à cette période de l’année.
"Bientôt les vacances… Danger !". Sur Facebook, le Club des jeunes filles leaders de Guinée lance l’alerte. "C’est maintenant que nos parents, nos tantes, nos grands-mères, en profiteront pour promettre des vacances aux petites filles afin de les exciser".
En Guinée, près de 97 % des femmes de 15 à 49 ans subissent des mutilations génitales. Communément appelées excision, elles recouvrent toutes les interventions incluant l'ablation totale ou partielle des organes sexuels externes de la femme – et notamment du capuchon clitoridien – pour des raisons non médicales.
Pour lutter contre ces pratiques, le Club des jeunes filles leaders de Guinée mobilise cet été près de 100 bénévoles de l’association, qui sillonneront différentes localités en fonction des langues locales qu’elles parlent, pour sensibiliser les familles. Des numéros d’urgence sont également diffusés sur Internet.
Créé en 2016 par Hadja Idrissa Bah, alors âgée de 16 ans, le Club s’est déjà fait connaître en Guinée et à l’international pour ses combats contre l’excision, les mariages précoces, les mariages forcés, et l’ensemble des violences à l’encontre des femmes. D’une dizaine au départ, la structure revendique aujourd’hui près de 300 membres.
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"Les petites filles ne sont pas protégées pendant les vacances et cela nous fait peur"
Pour Hadja Idrissa Bah, ce réseau doit servir à une vigilance renforcée pendant les mois de juillet et août :
Les enfants sont toujours très joyeux d’aller en vacances, mais ici, nos parents nous emmènent chez nos tantes, chez nos grands-mères, pour nous promettre de très belles vacances alors qu’ils en profitent pour nous exciser, nous amputer. Je dis bien "amputer", car c’est de cela qu’on parle. Il y a aussi des excisions qui se font en ville, à Conakry. On voit des filles habillées en rouge pour la cérémonie. Les petites filles ne sont pas protégées pendant les vacances et cela nous fait peur.
Cette année, nous nous sommes engagées à mener des actions de sensibilisation auprès de nos mères, nos tantes – qui sont les plus complices dans la pratique des mutilations génitales féminines. Nous avons parfois l’impression que les femmes ne sont pas informées des conséquences de ces mutilations, car elles n’ont pas toujours eu la chance d’aller à l’école ou d’avoir connaissance de leurs droits.
D’autres pensent que c’est une obligation de la religion, ce qui n’est pas vrai. On leur fait comprendre que la tradition aujourd’hui, ce sont les pratiques positives et non les pratiques négatives. Les temps changent : on a des téléphones, on ne se déplace plus en chameau !
Il faut aussi aller voir les pères, même si le sujet est vraiment tabou et difficile à évoquer. C’est un travail compliqué, nous sommes parfois mal reçues, chassées de certains quartiers, avec des habitants qui parfois s'en prennent à nous.
En Guinée, la prévalence des mutilations génitales féminines (MGF) est la plus importante de toute la région d’Afrique de l’Ouest.
À l’échelle mondiale, la Guinée se place au deuxième rang des pays où la pratique perdure le plus, après la Somalie. Pourtant, l’excision est interdite par la loi depuis l’an 2000.
"Il ne faut pas que les autorités restent derrière les 'traditions', il faut qu’elles restent derrière la loi"
Les jeunes filles leaders de Guinée dénonce l’inaction des pouvoirs publics. Elles ont décidé de mobiliser elles-mêmes les forces de police, explique Hadja Idrissa Bah :
Nous souhaitons aller de la prévention à la répression. Notre association a déjà réussi, grâce à notre réseau d’alerte, à faire empêcher des mariages forcés d’enfants : nous sommes parvenues à plusieurs reprises à prévenir les autorités et à les faire venir – parfois en leur payant nous-même le carburant – sur le lieu d’un mariage. Nous voulons faire la même chose avec l’excision.
C’est pour cela que nous avons mis en place des numéros d’urgence, ce qui n’existait pas en Guinée. Ils sont donnés aux femmes que nous rencontrons pour qu’elles puissent nous faire remonter des informations, quand il y a des cas de mutilations génitales soit dans leur quartier, soit dans leur entourage. Nous pensons aussi que ces numéros sont importants, car certaines femmes sont contre, mais ne savent pas qui alerter, qui appeler.
Si quelqu’un parvient à nous interpeller sur un cas d’excision dans un quartier, nous allons venir pour sensibiliser les familles. Si une famille refuse d’annuler une cérémonie de mutilation, nous savons que nous sommes protégées par la loi et nous amènerons la police pour les empêcher. Si jamais ça a déjà été fait, nous amènerons tout de même la police sur les lieux pour que ces gens puissent faire face à la justice.
"Tout le monde doit se réveiller, les autorités religieuses aussi"
Nous ne tolérerons aucun cas de mutilation génitale cette année et nous espérons faire annuler au moins une vingtaine de cas d’excision.
Ce travail d’alerte et de sensibilisation a commencé à la mi-juin et nous sommes optimistes : nous avons déjà eu quelques appels téléphoniques de consœurs pour dénoncer des cas qui sont prévus. Mais cela ne suffira pas. Il faut que les forces de l’ordre aient des numéros d’alerte aussi, et que les agents soient formés.
Les autorités ont déjà mis en place des structures, comme l'OPROGEM (Office de protection genre, enfance et mœurs) : ce sont des policiers qui doivent descendre sur le terrain pour arrêter des cas de mutilations. Mais il n'y a pas assez de moyens mis en place et les policiers ne font pas leur travail, et ce depuis belle lurette. Il ne faut pas que les autorités restent derrière les traditions, il faut qu’elles restent derrière la loi. Tout le monde doit se réveiller. Les autorités religieuses aussi, les leaders d’influence et les leaders communautaires.
Pour mener ces actions sur le terrain, le Club compte essentiellement sur les cotisations de ces membres, des jeunes filles âgées de 12 à 25 ans. Certains de leurs projets contre les violences faites aux femmes bénéficient tout de même d'un programme d'appui de l'ONG Plan International.
Selon l’UNICEF, au moins 200 millions de filles et de femmes ont été victimes de mutilations sexuelles dans le monde. Bien que la majorité d’entre elles vivent dans trente pays d’Afrique et du Moyen-Orient, on estime que 5 % de ces femmes mutilées vivent en Europe, dont environ 53 000 femmes en France.
Les mutilations sexuelles ne présentent aucun avantage pour la santé – contrairement au discours que peuvent tenir ceux qui les pratiquent. L’utilisation du même instrument non stérilisé pour l’excision de plusieurs filles est également susceptible d’accroître le risque de transmission du VIH. Les opérations, souvent faites à l’aide de lames de rasoir, peuvent causer des hémorragies, des infections, voire la mort. Elles entraînent aussi de graves conséquences physiques et psychologiques tout au long de la vie des femmes.
Cet article a été écrit par Maëva Poulet (@maevaplt).