ITALIE

Un paquebot fonce sur un quai à Venise : "notre ville est trop précieuse pour être détruite"

À gauche, l'accident du 2 juin. À droite, le Comité "Non aux grands bateaux" en action en septembre 2018
À gauche, l'accident du 2 juin. À droite, le Comité "Non aux grands bateaux" en action en septembre 2018
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Les Vénitiens opposés à la présence des paquebots de croisière dans la lagune veulent rebondir sur l’accident du 2 juin pour faire avancer leur combat et repousser les géants des mers hors du centre historique de la Sérénissime.

Le 2 juin vers 8 h 30, le MSC-Opera, avec ses 2 700 passagers, a heurté le quai de la gare maritime de Venise et éperonné un bateau de taille beaucoup plus modeste. Par miracle, la collision n’a pas fait de victimes : en voyant le paquebot fondre sur lui toutes sirènes hurlantes, l’équipage du River-Countess avait eu le temps d’évacuer les passagers et de larguer les amarres pour que le bateau ne s’encastre pas contre le quai.

Les deux remorqueurs chargés de guider le paquebot dans le canal ont tenté de le ralentir mais l’une des chaînes a sauté. Le responsable de l’opération a déclaré aux médias italiens que le MSC-Opera a eu "une panne de moteur" dont les causes n’ont pas encore été rendues publiques.

La Sérénissime a tremblé et les images amateurs de l’impact ont fait le tour du monde.

"Les bateaux doivent s'adapter à la lagune, pas l'inverse"

Pour l’activiste vénitien Tommaso Cacciari, porte-parole du Comitato No grandi navi (Comité Non aux grands bateaux), cet accident doit déboucher sur l’interdiction des paquebots dans la lagune :

Il y aurait pu y avoir des morts ! C’est la preuve que ces bateaux de croisières sont beaucoup trop gros pour Venise. L’accident a montré au monde entier qu’ils n’étaient pas suffisamment sûrs et que rien ne peut arrêter le mouvement d’un navire de 65 000 tonnes.

Notre ville est trop précieuse pour être détruite par ces paquebots, ils doivent rester en-dehors de la lagune. Il faut un port à l’extérieur. Les gens peuvent venir jusqu’ici à bord d’embarcations plus petites : les bateaux doivent s’adapter à la lagune, pas l’inverse.

 

Les paquebots de croisière ont théoriquement l’interdiction de circuler dans la lagune de Venise depuis un décret pris en 2012 suite au naufrage du Costa Concordia, qui n’a jamais été respecté faute d’alternative. Un plan adopté en 2017 par le gouvernement italien et les autorités locales devait limiter l’accès au canal de la Giudecca aux navires de moins de 55 000 tonnes. Au sud du centre-ville, le passage par la Giuedecca offre aux croisiéristes une vue imprenable sur la place Saint-Marc, que les bateaux effleurent, à quelques dizaines de mètres du quai où ils sont amarrés.

Le projet est resté lettre morte : c’est précisément sur ce quai qu’a eu lieu l’accident. Le maire de Venise Luigi Brugnaro a réagi en appelant à la construction d’un nouveau terminal, en dehors du centre-ville. Ceci implique l’élargissement du canal Vittorio Emanuele.

C’est un mensonge, pour faire croire à l’opinion publique internationale qu’il cherche une solution. Le canal Vittorio Emanuele fait passer les bateaux de la zone industrielle de Marghera jusqu’à l’endroit exact où l’accident du 2 juin a eu lieu : les paquebots continueraient à naviguer dans la lagune, à quelques dizaines de mètres de nos maisons. Ce que nous voulons, c’est qu’ils n’y entrent pas.

Un tel aménagement implique en outre que bateaux de croisières et navires industriels se croisent, ce qui pourrait accélérer l’érosion des fondations de la cité des Doges, l’exposant davantage aux risques d’inondation.

 

"La prochaine fois ils viendront en train !"

Habitués à se battre contre beaucoup plus gros qu’eux, les activistes du Comitato No grandi navi comptent profiter de l’événement pour amplifier la résonnance de leurs revendications :

La plupart du temps nous essayons de bloquer symboliquement les navires de croisières. On les empêche par exemple d’accoster en nous jetant dans l’eau.

Nous occupons aussi le canal avec des petits bateaux, d’une taille qui respecte la lagune et nous partons à l’abordage des paquebots en faisant beaucoup de bruit, jusqu’à ce que la police nous fasse partir. Nous espérons qu’en nous voyant les passagers des croisières se posent des questions et peut-être que la prochaine fois, ils viendront à Venise en train !

Mais cette fois nous voulons faire plus. Malgré l’accident, les paquebots n'ont pas arrêté de venir dans la lagune, c’est une offense aux habitants de Venise. Samedi 8 juin, nous attendons des milliers de personnes pour manifester pour l’interdiction des paquebots dans la lagune.

Nous voulons aller sur la place Saint-Marc qui est interdite aux manifestations. Nous avons demandé une dérogation : pourquoi les paquebots auraient le droit d’aller place Saint-Marc et pas les citoyens ! C’est le symbole de la Venise exploitée par le tourisme de masse : Saint-Marc, c’est le centre de notre ville, pourtant vous n’y trouverez jamais aucun Vénitien.

En plus du risque d’accident, les militants anti-"grandi navi" pointent du doigt l’enjeu sanitaire et écologique d’une interdiction des paquebots dans la lagune, voire d’une réduction de leur trafic : selon une étude publiée le 5 juin par l’ONG Transport et Environnement, les 94 bateaux du leader mondial de la croisière de luxe, Carnival Corporation, ont émis à eux seuls en 2017 dix fois plus d’oxyde de soufre autour des côtes européennes que l’ensemble des voitures d’Europe.