Au Soudan, dispersion violente du sit-in pacifique : "Les balles sifflaient au-dessus de nos têtes"
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Tirs à balles réelles, coups de bâtons, humiliations : les forces de sécurité soudanaises ont violemment dispersé, lundi 3 juin à l’aube, le sit-in des manifestants devant le quartier général de l’armée à Khartoum. Un bilan provisoire fait était d'au moins 30 morts et des centaines de blessés. Nos Observateurs racontent ce qu’ils ont vécu.
Vers 5 heures du matin, l’armée soudanaise appuyée par les Forces de soutien rapide (FSR), une unité composée à l’origine des miliciens arabes du Darfour, a évacué avec une rare violence ce site occupé, depuis avril dernier, par des milliers de manifestants qui réclament l’instauration d’un pouvoir civil.
"Les gens tombaient autour de moi"
Basma al-Chafiq, 35 ans, participait au sit-in."Cela a commencé en pleine nuit. Peu avant 5 heures du matin, une foule de jeunes en civil, l’air excités, ont fait irruption à proximité des tentes. Ils couraient et criaient. Puis, des membres des Forces de soutien rapide sont arrivés derrière eux et ont commencé à tirer des gaz lacrymogènes.
C’était la panique, le sit-in était totalement encerclé par les militaires. Les balles sifflaient au-dessus de nos têtes alors qu’on essayait de s’échapper.
Des gens tombaient autour de moi. Ici et là, des membres des FSR frappaient à coups de bâtons les manifestants qui tardaient à déguerpir. "
Selon le pouvoir, il s’agissait de protéger la sécurité des manifestants
Le Conseil militaire s’est défendu d’avoir dispersé le sit-in par la force. Le porte-parole du Conseil, le général Chamseddine Kabbashi, a affirmé à la chaîne de télévision Sky News que les forces de sécurité avaient évacué une zone appelée "Columbia", situé à proximité du sit-in, un repaire de dealers et de consommateurs de drogue qui menaçait selon lui "la sécurité" des manifestants.
Les manifestants qui étaient sur les lieux ont du mal à croire à cette version. Pour Basma al-Chafiq, la zone dite "Columbia" a été utilisé comme prétexte par les forces de sécurité pour évacuer le sit-in :
"C’est vrai qu’il s’agit d’un point de chute pour les dealers. Mais cet endroit existe depuis longtemps, il était là avant le début des manifestations et la chute du régime. Pourquoi intervenir maintenant ? En plus, ces gens ne s’en sont jamais pris aux manifestants.
Et s’ils ne voulaient pas disperser le sit-in des manifestants, pourquoi les forces de sécurité ont-elles brûlé leurs tentes après les avoir chassés ?"
Vidéo montrant des membres des FSR brûler les tentes des manifestants devant le quartier général de l'armée.
"Les FSR nous ont abreuvé de coups de bâtons"
Les médecins et autres infirmiers qui occupaient des postes de secours à différents endroits du sit-in n’ont pas été épargnés par les forces de sécurité, alors même qu’ils arboraient des insignes et des brassards précisant leur fonction. Khalid K. est bénévole pour une pharmacie qui était aménagée dans l'une des tentes du sit-in.
"Vers 6 heures du matin, nous avions reçu 86 blessés. Parmi eux, il y avait beaucoup de blessés par balles. Peu après 6 heures, j’ai été arrêté en compagnie de trois médecins par les FSR. Les médecins ont montré leurs insignes, mais les FSR n’ont rien voulu savoir.
Insultes, coups de bâtons : ils nous ont trainés comme du bétail, avec les blessés, vers un hôpital proche, Al-Mo'alem. Ils nous ont retenus environ une heure dans cet hôpital, avant de nous libérer.
ATTENTION : CES IMAGES PEUVENT CHOQUER
Images montrant des memebres des FSR s'acharner à coups de bâtons sur un manifestant.
Tous les accès du quartier étaient bloqués par les forces de sécurité. On a emprunté la seule rue qui permettait de quitter le quartier. Sur le chemin, les FSR nous ont encore roué de coups de bâtons."
Dès 11 heures du matin, les forces de sécurité ont installé des barrages routiers dans les rues principales de Khartoum et de la ville de voisine d’Oumdorman, et n’ont pas hésité à faire usage de balles réelles contre ceux qui s’aventuraient à manifester.
La vidéo ci-dessous notamment a été filmée par notre Observateur Moussa K., à Oumdourman. On y voit les manifestants fuir sous les balles des FSR.
Vidéo transmise par notre Observateur, montrant des manifestans fuiant les tirs de l'armée dans un quartrier d'Oumdorman.
Le Comité central des médecins soudanais, proche de la contestation, a indiqué que l’opération d'évacuation avait fait "au moins 13 morts" et "centaines de blessés". Dans la soirée le bilan s'est élevé à "au moins 30 morts", selon cette même source.
L'Alliance pour la liberté et le changement (ALC), fer de lance du mouvement de contestation, a annoncé l’arrêt de tout "contact politique" avec le Conseil militaire qui dirige le pays depuis la chute de l’ancien président Omar el-Béchir, le 11 avril, qui a quitté le pouvoir suite à un important mouvement de contestation.