ANGOLA

"C’est une prison" : le cri d’alarme d’un Rwandais dans un centre pour étrangers en Angola

Le centre de détention pour étrangers de "Trinta", situé à l'est de Luanda, en Angola. Toutes les photos ont été envoyées par Éric (pseudonyme), notre Observateur.
Le centre de détention pour étrangers de "Trinta", situé à l'est de Luanda, en Angola. Toutes les photos ont été envoyées par Éric (pseudonyme), notre Observateur.
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Un Rwandais a récemment contacté notre rédaction pour tirer la sonnette d’alarme au sujet d’un centre de détention pour étrangers – appelé "Trinta" – situé à l’est de Luanda, la capitale de l’Angola. Il estime qu’il s’agit d’une véritable "prison", puisque les étrangers peuvent y être détenus durant des mois sans savoir quand ils seront relâchés, quelle que soit leur situation, et y dénonce le manque de nourriture, de soins et d’hygiène.

Le centre de détention de "Trinta" est situé à une trentaine de kilomètres de Luanda ("trinta" signifie "trente" en portugais). Il est géré par le Service des migrations et des étrangers (SME), un service du ministère de l’Intérieur angolais.

Le centre de "Trinta", géré par le SME, vu du ciel (Google Maps).

 

"En juillet 2018, j’ai été arrêté et amené dans un premier centre, à Dundo"

Éric (pseudonyme) est le Rwandais qui a contacté notre rédaction. Il raconte être arrivé en Angola fin 2015, après avoir obtenu le statut de réfugié dans un autre pays d’Afrique australe. Il assure qu’il a demandé à être enregistré en tant que réfugié lors de son arrivée en Angola, et que le SME lui a alors délivré un "recibo" ("reçu"), attestant de sa demande. Nous n’avons toutefois pas pu vérifier ces informations.

Il raconte avoir ensuite été arrêté par la police en juillet 2018, dans la ville de Dundo, située dans la province de Lunda Nord, à la frontière avec la République démocratique du Congo.

J’ai été arrêté alors que je me rendais au marché, car je vendais des écouteurs, des cartes mémoire ou encore des chargeurs à l’époque. La police m’a dit que je n’avais pas le droit de travailler car je n’avais pas de papiers. J’ai alors été amené dans un centre géré par le SME, situé juste à côté de Dundo.

Dans ce centre, nous étions plus de 200. Tous ceux avec qui j’ai parlé m’ont raconté qu’on leur avait dit la même chose : "Nous ne voulons pas d’étrangers dans nos carrières de minerai." Mais nous n’avons pas eu plus d’informations. On nous a simplement dit que nous serions emmenés à Luanda, où l’on déciderait de notre cas. Je suis resté dans ce centre durant un mois environ.

Les propos rapportés par Eric concernant le minerai n’ont rien de surprenant. En septembre 2018, le gouvernement angolais a ainsi lancé l’opération "Transparence", pour lutter contre l’exploitation illégale des mines de diamant et les immigrés clandestins qui y travaillaient. L’opération a débouché sur l’expulsion de plus de 400 000 étrangers, en grande majorité des Congolais.

 

"Je suis dans le centre de 'Trinta' depuis plus de neuf mois"

Éric poursuit :

Ensuite, j’ai été transféré dans le centre de "Trinta", près de Luanda, où je me trouve toujours plus de neuf mois après. Dans ce centre, il y a d’autres Rwandais, des Congolais, des Maliens, des Guinéens, des Tchadiens, des Sud-Africains, des Mozambicains, des Tanzaniens, et même des Chinois et des Vietnamiens… Certains sont arrivés après moi, mais d’autres sont là depuis plus d’un an. Il y en a même un qui est là depuis deux ans.

Pourtant, la plupart disent qu’ils étaient en règle quand ils ont été arrêtés : certains avaient obtenu un visa, le statut de réfugié, d’autres étaient venus faire du commerce, rendre visite à des proches… Récemment, on nous a dit que nos dossiers et nos papiers étaient restés dans la province de Lunda Nord, et que nous serions renvoyés chez nous quand il y aurait de l’argent…

Officiellement, c’est un "centre de détention", mais pour nous, c’est une prison. Nous ne pouvons même pas recevoir de visites.

Dans le centre de "Trinta". 

 

Des détentions parfois très longues, même pour les étrangers en règle

Interrogé par notre rédaction, le Congolais Mussenguele Kopele, coordinateur national des réfugiés en Angola, confirme que des étrangers peuvent rester durant des mois dans le centre de "Trinta", qu’ils soient en situation régulière ou irrégulière : "Parfois, on ne sait même pas pourquoi certains restent." Lui-même avait d’ailleurs été détenu dans ce centre en 2012, durant deux semaines environ.

Cette situation ne semble pas spécifique au centre de "Trinta". Dans un rapport publié en 2017, après une visite en Angola, l’ancien Rapporteur spécial sur les droits de l’Homme des migrants, François Crépeau, avait ainsi indiqué que les étrangers étaient souvent arrêtés "malgré la présentation de leurs documents". Il avait aussi écrit : "La durée de détention est illimitée et se termine seulement après l’expulsion de la personne en situation irrégulière, la vérification de leurs papiers, qui est une procédure très longue, ou leur libération après le versement de pots-de-vin."

Également interrogée par notre rédaction, Philippa Candler, représentante du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en Angola, précise : "Concernant les demandeurs d’asile et les réfugiés, le gouvernement a arrêté de les enregistrer en 2013, dans l’attente d’une nouvelle loi concernant le droit d’asile. Elle a été adoptée en 2015, mais les enregistrements n’ont pas repris jusqu’à présent. Par conséquent, de nombreux demandeurs d’asile et réfugiés n’ont pas de papiers ou des papiers qui ne sont plus à jour. Donc certains peuvent être arrêtés et gardés en détention – plus ou moins longtemps – jusqu’à ce que les autorités vérifient leur situation. Par ailleurs, s’il a été décidé d’expulser une personne, cette dernière peut quand même être maintenue en détention si sa famille ne peut pas payer son billet d’avion, car l’État n’a pas d’argent."

 

Des centres peu accessibles aux organismes de défense des droits de l’homme

Alors qu’Éric déplore l’absence de visites, Mussenguele Kopele confirme que le centre de "Trinta" est difficilement accessible pour ses collègues et lui : "Quand nous contactons le directeur du centre pour réaliser une visite sur place, nous n’obtenons pas de réponse généralement, mais nous y allons quand même : parfois, nous sommes intimidés et on ne nous laisse pas entrer, mais parfois nous parvenons quand même à entrer et à rendre visite à plusieurs personnes. La dernière fois que j’y suis allé, c’était début avril. Cela dit, parfois, nous voulons voir 14 ou 15 personnes par exemple, mais nous réussissons à en voir seulement deux. De plus, il est compliqué de rentrer dans les bâtiments, donc il est difficile de savoir comment c’est à l’intérieur."

Le problème semble être le même dans l’ensemble des centres de détention pour étrangers en Angola, si l’on en croit Philippa Candler : "Le HCR a un accès très limité aux centres de détention. Depuis que je suis arrivée dans le pays en 2017, le HCR n’a pas pu y accéder, en dépit de plusieurs demandes."

Même son de cloche dans le rapport de François Crépeau, où il est indiqué que les migrants arrêtés "ont des difficultés pour accéder à des avocats" et n’ont tout simplement "pas accès à la justice". Concernant le centre de "Trinta" en particulier, il est également précisé : "Les avocats qui essaient de défendre les migrants sont parfois intimidés."

Dans le centre de "Trinta". 

 

"La nourriture est insuffisante et de mauvaise qualité"

Éric revient sur les conditions de détention dans le centre de "Trinta" :

Il y a plusieurs grandes pièces. Dans celle où je me trouve, nous sommes 150 environ, mais il y a seulement six WC et quatre douches pour tout le monde, qui sont sales et sentent mauvais. De plus, nous n’avons pas de savon pour nous laver. Sinon, il y a une pièce pour les femmes et les enfants.

WC.

Douches.

 

La nourriture est insuffisante et de mauvaise qualité. Par exemple, le matin, on nous donne du thé, du sucre et un petit pain, voire une sorte de bouillie s’il n’y a pas de thé, le midi, un tout petit peu de riz blanc avec du sel, et le soir, une toute petite quantité de riz ou de haricots ou de spaghettis. Ça nous rend malades, sans compter que l’eau que nous buvons est sale. Récemment, nous avons même passé deux jours sans eau.

Mais nous ne sommes pas soignés, car il n’y a pas de médicaments. Pourtant, beaucoup de gens sont malades : certains souffrent de la tuberculose, de la typhoïde… [Notre rédaction n’a pas pu vérifier cette information, NDLR.] Ici, nous avons l’impression que même un chien a plus de valeur qu’un étranger.

Bouillie.

Spaghettis avec haricots.

Riz blanc.

L'eau donnée aux personnes dans le centre.

Des centaines de personnes détenues, dont des enfants

Concernant le nombre de personnes présentes dans le centre de "Trinta", Mussenguele Kopele estime qu’il y en avait sûrement "plus de 300 ou 400" lors de sa visite début avril. De son côté, Philippa Candler indique ne pas connaître le nombre de personnes actuellement dans le centre, ni sa capacité d’accueil : "Le SME n’est pas disposé à partager cette information."

Quant à François Crépeau, il avait indiqué dans son rapport qu’il avait "rencontré seulement cinq détenus" lors de sa visite à "Trinta", "alors que sa capacité d’accueil est de plus de 500 personnes". Selon lui, de nombreux détenus avaient été relâchés juste avant sa venue. Dans son rapport, il avait confirmé que des enfants se trouvaient sur place. Il avait aussi indiqué que "la circulation en dehors des pièces [était] limitée aux heures de repas" et que les détenus souffraient "de harcèlement, de traitements dégradants et de violence physique".

 

"Les gens sont envoyés à l’hôpital uniquement s’ils sont vraiment dans un état grave"

Concernant les problèmes liés à la nourriture, l’eau, l’hygiène et le manque de soins, Mussenguele Kopele estime que "rien n’a changé" depuis sa propre détention dans le centre en 2012. "Quand les gens tombent malades, ils sont envoyés à l’hôpital uniquement s’ils sont vraiment dans un état grave. En juin 2018, deux réfugiés sont mêmes morts dans le centre, et deux autres sont également morts après avoir été relâchés, en raison des mauvais traitements."

Notre rédaction a tenté de joindre le SME à plusieurs reprises, mais nous ne sommes jamais parvenus à obtenir de réponse à nos questions.

Cet article a été écrit par Chloé Lauvergnier (@clauvergnier).