FRANCE

Visite du président chinois à Paris : "Couvrez ce drapeau pro-Taïwan que je ne saurais voir"

Captures d'écran de la vidéo diffusée en direct sur Facebook, mardi 26 mars, par l'étudiant taïwanais dont le drapeau a été arraché par un gendarme, au centre de Paris, lors du passage du cortège avec le président chinois.
Captures d'écran de la vidéo diffusée en direct sur Facebook, mardi 26 mars, par l'étudiant taïwanais dont le drapeau a été arraché par un gendarme, au centre de Paris, lors du passage du cortège avec le président chinois.
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Le président chinois Xi Jinping était en visite d’État en France, en début de semaine. Un étudiant taïwanais a souhaité profiter de l’occasion pour déployer un drapeau réclamant l’indépendance de son pays lors du passage du cortège officiel, au centre de Paris, mardi 26 mars. Mais un gendarme l’en a immédiatement empêché, comme le montre une vidéo. Un geste ne reposant sur "aucun texte légal", selon la Ligue des droits de l’Homme.

La vidéo a été diffusée en direct sur le compte Facebook de l’étudiant taïwanais, mardi 26 mars. Il s’agit de Pho-Han Wu, un jeune homme de 22 ans en échange universitaire à Sciences Po. La vidéo a été tournée à l’angle entre le boulevard Saint-Germain et la rue Saint-Guillaume, où se trouve Sciences Po. Visible uniquement par ses amis, elle ne comptabilise que 600 vues environ. En revanche, un extrait de cette vidéo où on le voit se faire arracher le drapeau, publié le lendemain et visible par tous, comptabilise plus de 100 000 vues.

Dans la vidéo diffusée en direct, Pho-Han Wu s’exprime en chinois et en anglais, pour expliquer qu’il veut protester contre Xi Jinping. Il ajoute : "J’espère que la police ne m’arrêtera pas." On peut voir plusieurs gendarmes, une de leurs camionnettes et des barrières pour empêcher les gens de traverser le boulevard. Puis il demande à l’un de ses camarades de prendre son téléphone pour le filmer, alors qu’arrivent plusieurs véhicules de la police, des motards, ainsi que d’autres véhicules.

Pho-Han Wu sort alors un drapeau où il est écrit "Je suis taïwanais, je soutiens l’indépendance de Taïwan" (en anglais) et "Indépendance de Taïwan" (en chinois), qu’il montre à la caméra. Quelques secondes plus tard, un gendarme arrive et le tire par la manche. Puis, durant 30 secondes environ, on n’entend plus que les cris de l’étudiant, sans voir ce qu’il se passe : "Taïwan independence !", "Refuse one country, two systems !" ("Refusez un pays, deux systèmes").

Ensuite, on aperçoit brièvement Pho-Han Wu à nouveau. Puis le direct continue, mais on ne voit plus rien : on entend juste des bribes de conversation.

Le lendemain, Pho-Han Wu a publié le passage de la vidéo où il se fait arracher le drapeau, ainsi qu’un long texte en chinois, en français et en anglais, visibles par tous.

Dans le texte, il explique qu’il a souhaité déployer ce drapeau pour dénoncer la politique de la Chine à l’égard de son pays : "Taïwan est actuellement un État de facto doté de son propre gouvernement, sa propre population, son propre territoire et sa propre souveraineté. [...] Mais la Chine n’a jamais renoncé au recours à la force pour rattacher Taïwan à son territoire."

Il dénonce également le fait que son drapeau ait été confisqué : "La France [...] est devenue aujourd’hui le complice d’un gouvernement autoritaire." Estimant que sa liberté d’expression a été trahie, il s’interroge : la liberté peut-elle être "compromis[e] pour accueillir des dictateurs ?"

 

"Les gendarmes m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas me rendre mon drapeau"

Notre rédaction a contacté Pho-Han Wu :

J’ai sorti ce drapeau car je savais que Xi Jinping allait passer par là, et également pour toutes les raisons évoquées sur Facebook : je voulais montrer à Xi Jinping et au monde la détermination des Taïwanais en faveur de l’indépendance, la liberté et la démocratie. Quand le gendarme m’a pris mon drapeau, j’ai commencé à scander des slogans, puisque je n’avais plus rien à montrer.

Ensuite, les gendarmes m’ont mis face à un mur pour me fouiller. Puis ils m’ont mis dans leur camionnette. À l’intérieur, il y avait deux agents. Au début, ils ne voulaient pas me laisser parler, mais ensuite, nous avons commencé à parler. C’est comme ça que j’ai appris qu’ils avaient reçu des consignes venant "d’en haut", visant à empêcher tous types de protestation.

Plus d’une heure après, ils m’ont laissé repartir. Ils m’ont rendu mon passeport et ma carte d’étudiant, mais ils ont gardé mon drapeau. Ils ont dit qu’ils étaient désolés, mais qu’ils ne pouvaient pas me le rendre.

"Comment un drapeau peut-il être considéré comme une menace ?"

Je me trouvais juste le long de la route et je voulais simplement agiter mon drapeau : comment cela a-t-il pu être considéré comme une menace ?

Sous ma vidéo Facebook, j’ai lu des commentaires complètement fous : "Pourquoi la police ne t’a pas tiré une balle dans la tête ? Pourquoi elle ne t’a pas frappé et tué ? Pourquoi tu ne t’es pas immolé ?" Je pense que beaucoup de ces commentaires viennent de faux comptes, gérés depuis la Chine, dont l’objectif est de cibler certaines publications ou certaines personnes, comme on le constate souvent à Taïwan. Cela dit, certains de ces commentaires viennent aussi de Taïwanais.

Mais j’ai aussi reçu des messages de soutien de Taïwanais et de Français, notamment qui vivent à Taïwan.

 

"Cela ne repose sur aucun texte"

Selon Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme, la gendarmerie n’avait pas le droit de confisquer le drapeau de cet étudiant : "Cela ne repose sur aucun texte." Il explique qu’il arrive régulièrement que les forces de l’ordre confisquent les panneaux de manifestants, sous prétexte qu’ils seraient "dangereux" ou qu’il s’agirait de "troubles à l’ordre public", mais que cela n'est jamais justifié.

Contactée par notre rédaction, la gendarmerie nationale n’a pas répondu à nos questions. Nous les publierons si une réponse nous parvient.

En tournée pendant trois jours en France, Xi Jinping souhaitait notamment faire la promotion de son programme économique des "nouvelles routes de la soie". Lors de son séjour, il a notamment signé des contrats avec Airbus et EDF.

En marge de sa visite, plusieurs manifestations critiques à l’égard du pouvoir chinois ont eu lieu, rassemblant notamment des Tibétains et des Ouïghours. Mais aucun incident semblable à celui de l’étudiant taïwanais n’a été répertorié.

>> LIRE SUR LES OBSERVATEURS : La diaspora ouïghoure exige des preuves de vie de ses disparus, "rééduqués" par la Chine

La Chine et Taïwan sont gouvernés séparément depuis 1949, mais l’île n’a jamais formellement déclaré son indépendance et est seulement reconnue par une poignée de pays, d’où l’ambiguïté de son statut. De son côté, le gouvernement chinois considère que Taïwan fait partie de son territoire, comme l’a encore répété récemment Xi Jinping. Début janvier, il a déclaré qu’il était prêt à tout pour récupérer l’île, y compris à faire usage de la force, proposant une solution à "un pays, deux systèmes", similaire à Hong-Kong. Mais il a essuyé un refus de la présidente taïwanaise.

Cet article a été écrit par Chloé Lauvergnier (@clauvergnier).