En Australie, les autorités jugées responsables de la mort de centaines de milliers de poissons
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Des habitants de Menindee tiennent des morues de Murray mortes (à gauche) ; des poissons morts dans la rivière Darling (à droite). Captures d’écran / Facebook.
Texte par :
Catherine Bennett
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Pour la deuxième fois en trois semaines, des centaines de milliers de poissons morts ont été retrouvés à la surface de la rivière Darling dans le sud-est de l’Australie. Sur place, notre Observateur dénonce une catastrophe environnementale causée par une mauvaise gestion de l’eau par les autorités en pleine période de sécheresse.
Plusieurs images montrant des poissons flottant sur une eau verdâtre, ou gisant sur les berges de la rivière, ont été publiées sur les réseaux sociaux par des habitants de l’État de Nouvelle-Galles du Sud ces derniers jours.
Dans une vidéo, diffusée sur Facebook, deux hommes de la région de Menindee, Dick Arnold et Rob McBride, témoignent de l’ampleur du désastre en sortant de l’eau les carcasses de deux énormes morues de Murray, des poissons d’eau douce australiens. Depuis sa publication lundi 7 janvier, la vidéo comptabilise près de quatre millions de vues et a été partagée plus de 120 000 fois. En cause, les conditions météorologiques ? Pas du tout selon les deux hommes : "Cela n’a rien avoir avec la sécheresse", explique Rob McBride face à la caméra, "c’est un désastre provoqué par l’homme".
Notre Observateur Graeme McCrabb habite près de la rivière et à l’habitude de s’y rendre pour pêcher. Il a lui aussi publié des photos et vidéos de cette hécatombe et tente de sauver les derniers poissons vivants en les déplaçant vers des eaux plus profondes.
"C’était un carnage dans la rivière"
J'ai traversé le pont de la ville dimanche matin et j'ai vu beaucoup de carpes qui flottaient sur l’eau. Elles remontent parfois à la surface mais là, c’était inhabituel. J’ai arrêté ma voiture pour jeter un œil et j’ai vu des poissons morts à la surface. Je l’ai signalé aux responsables des pêcheries car ce n’est pas la première fois que nous voyons des poissons morts dans la rivière. Ils m’ont demandé de monter dans mon bateau et d’aller y voir de plus près.
Les poissons étaient morts le dimanche et ils ont commencé à flotter le lendemain. Le lundi, c’était un carnage dans la rivière. D’autres se sont mis à remonter à la surface le mardi. Ce doit être l’une des plus grandes catastrophes environnementales que nous ayons connue dans le bassin Murray-Darling.
Nous avons un réseau de lacs au milieu de la rivière Darling, et les autorités ont drainé l’eau des lacs. Nous aurions dû avoir des réserves d’eau pour cinq à six ans, mais elles ont été épuisées deux fois en quatre ans.
Capture d’écran d’une vidéo publiée sur Facebook par un habitant de Menindee.
“On draine l’eau et on attend qu’il pleuve… mais il n’a pas plu”
Les autorités drainent les lacs pour utiliser l’eau autre part, notamment pour l’irrigation ou pour encourager la reproduction des poissons à d’autres endroits de la rivière. Quelle ironie quand on voit aujourd’hui que le drainage de l’eau a eu pour conséquence de tuer un million de poissons. C’est ridicule.
Il faut que l’eau soit en mouvement pour y maintenir de l’oxygène, mais le fait d’avoir perdu de l’eau à cause de la sécheresse empêche cela et les bassins sont devenus stagnants. De plus, en pleine sécheresse, la lumière ainsi que la chaleur amènent à une prolifération des algues bleues-vertes dans l’eau. Lorsque ces algues meurent, elles éliminent aussi de l’oxygène.
C’est pour cela que les poissons meurent - parce qu’il n’y a plus d’oxygène dans l’eau. On draine l’eau et on attend qu’il pleuve… mais là il n’a pas plu. C’est aussi simple que cela.
Photo prise par notre Observateur. Cette morue de Murray morte mesure près d’un mètre de long.
Ici, c'est la cambrousse australienne. Les agriculteurs en amont et en aval dépendent de la rivière Darling pour l’élevage, l’irrigation et leur usage domestique. Mais pour moi, c’est parce qu’il fallait de l'eau ailleurs, là où il y a plus de monde et d’électeurs que les politiciens ont vidé la rivière.
La communauté locale est en colère. La morue de Murray est une espèce en voie de disparition et surtout, c’est un poisson australien emblématique. Tout pêcheur rêve d’attraper une morue de Murray. Certains de ces poissons ont 80 ans et sont plus âgés que les habitants de la ville ! Ça touche vraiment les habitants.
Photo prise par notre Observateur et montrant des poissons morts dans la rivière Darling.
La morue de Murray, la perche dorée et la perche argentée sont des poissons originaires du bassin de Murray. Et nous n’avons pas seulement tué des poissons, mais aussi leur nourriture - les plus petits poissons. On récupère des poignées de petites crevettes hors de l’eau. Et les poissons morts puent. C’est répugnant.
Il y a deux ans, les lacs étaient presque pleins. Selon le site des autorités régionales responsables de l’eau, WaterNSW, il ne reste que 3 % de la capacité totale en eau des lacs Menindee. Les autorités régionales sont régulièrement critiquées par les habitants pour avoir entrepris des plans ambitieux de restructuration du système lacustre, conçu pour lutter contre des problèmes d'évaporation dans les lacs Menindee. L’année dernière, les habitants ont rejeté un plan d’infrastructure, affirmant qu’il pouvait, selon eux, causer de graves dommages écologiques.
Des menaces de mort contre le ministre
Le gouvernement de Nouvelle-Galles du Sud a lancé une enquête sur l’hécatombe de poissons. Les politiciens locaux, eux, réfutent les accusations selon lesquelles la catastrophe aurait eu lieu après une surextraction d’eau.
Photo prise par notre Observateur : des poissons morts dans une chambre froide. Selon lui, les pêcheurs ne sont pas autorisés à pêcher des poissons de plus de 75cm.
Niall Blair, ministre des industries primaires de la Nouvelle-Galles du Sud, a affirmé que la sécheresse avait dégradé la qualité de l'eau. "Ce dont nous devons nous souvenir, c'est qu'en année normale, environ 4 000 gigalitres entrent dans le système", a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse. "Au cours des six premiers mois de cette année d'irrigation, nous avons vu entrer 30 gigalitres."
Cette semaine, il s’est retrouvé sous le feu des critiques après avoir ignoré les habitants qui s'étaient rassemblés mercredi près de la rivière pour lui poser des questions. Le ministre a évoqué des problèmes de sécurité et assuré avoir reçu des menaces de mort sur les réseaux sociaux.
Certains habitants accusent également l’industrie cotonnière d’avoir utilisé de l’eau pour irriguer ses cultures. Le directeur général de l’instance de représentation des producteurs Cotton Australia, Michael Murray, a répondu aux accusations en déclarant que l’industrie du coton en avait assez d’être le “bouc émissaire” des problèmes engendrés par l’extrême sécheresse dans la région. Il a rappelé à ces détracteurs que le secteur du coton avait également été durement touché par les rudes conditions météorologiques qui pourraient diviser la production de 2019 par deux par rapport à 2018.
Environ 10 000 poissons avaient déjà été retrouvés morts fin décembre un peu plus en amont de la rivière. Pour les experts, si les fortes chaleurs persistent, elles continueront à décimer les espèces de poissons indigènes du bassin Murray-Darling.