GUINÉE-CONAKRY

Destinées à la consommation, ces peaux de vache inquiètent un Guinéen

Des peaux de vache séchant sur le sol dans le quartier Konkola de Labé, dans le centre de la Guinée, courant 2018. Toutes les photos et vidéos dans cet article ont été prises par Amadou Tidiane Diallo.
Des peaux de vache séchant sur le sol dans le quartier Konkola de Labé, dans le centre de la Guinée, courant 2018. Toutes les photos et vidéos dans cet article ont été prises par Amadou Tidiane Diallo.
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À Labé, une ville située au centre de la Guinée, des peaux de vache sont traitées et préparées, avant d’être vendues en Sierra Leone voisine, où elles sont mangées. Mais selon un habitant de Labé, cette activité est réalisée à même le sol, dans la poussière, et dégage de mauvaises odeurs. D’où ses inquiétudes, d’autant plus qu’il n’existe aucun contrôle sanitaire, alors que ce secteur se développe depuis une dizaine d’années.

Amadou Tidiane Diallo habite à Labé, où il anime une émission à la radio GPP FM Foutah. Il a pris toute les photos et vidéos ci-dessous dans le quartier Konkola, dans le centre-ville, entre mai et septembre 2018.

"Il n’y a aucun contrôle sanitaire, alors que tout se passe dans la rue"

Les peaux de vache sont très consommées en Sierra Leone car les gens les apprécient. Cela fait partie de leur culture, beaucoup plus que chez nous, même s’il y a aussi quelques Guinéens qui en mangent. Du coup, presque toutes les peaux de vache traitées et préparées ici, à Labé, sont exportées en Sierra Leone [située à plus de 200 km de Labé, NDLR].

Mais la façon dont elles sont traitées et préparées laisse à désirer. Déjà, elles sont séchées au soleil pendant deux ou trois jours, à même le sol. Puis elles sont mises dans des bassins remplis d’eau, où elles trempent pendant deux ou trois jours de plus, pour qu’elles ramollissent. Mais l’eau n’est pas changée assez souvent, donc ça sent vraiment mauvais.

 

Des peaux de vache, au sol.

Des peaux de vache dans l'eau.

 

Ensuite, les peaux sont brûlées à même le sol, pour enlever une partie des poils, même s’ils restent un peu collés à la peau. Donc là encore, elles prennent la poussière et ça sent mauvais. Enfin, elles sont coupées en morceaux, avant d’être mises dans des sacs, qui sont chargés à bord de camions.

Des peaux de vache en train de brûler.

Des peaux de vache dans un sac.

 

Il n’y a aucun contrôle sanitaire, alors que tout se passe dans la rue. Du coup, je me dis que cela peut être problématique pour la santé des consommateurs. Honnêtement, quand on voit le mode de préparation, cela coupe l’appétit directement… Cela dit, je ne sais pas si des gens sont déjà tombés malades après avoir mangé des peaux de vache.

Avant de les consommer, il faut les plonger dans de l’eau bouillante pour les ramollir, car elles sont très dures. Puis il les faut les couper en petits morceaux, qu’on peut mettre dans le fufu, la sauce, etc.

"Désormais, presque toutes les peaux de vache sont exportées pour être consommées, car ça rapporte davantage que de les utiliser pour produire du cuir"

Cela fait une dizaine d’années que cette activité se développe ici car les gens ont compris qu’ils pouvaient gagner de l’argent avec ça. Avant, les peaux de vache étaient surtout utilisées pour produire du cuir, afin de fabriquer des chaussures, des sacs, etc. Mais désormais, elles sont presque toutes exportées pour être consommées, car ça rapporte davantage.

Actuellement, je dirais qu’il y a une cinquantaine de personnes à Labé qui achètent les peaux – notamment à des bouchers – pour les traiter et les vendre. Sans compter toutes les personnes qui les aident pour les étaler sur le sol, les brûler, les charger à bord des camions… Mais c’est une activité difficile pour les travailleurs : ils ont mal à la tête à cause de la fumée, ça sent mauvais, il faut quatre ou cinq personnes pour charger les sacs à bord des camions tellement ils sont lourds...

Je pense que cette activité est réalisée dans d’autres villes guinéennes également.

Selon Amadou Tidiane Diallo, les activités liées aux peaux de vache sont éprouvantes pour les travailleurs.

Un sac rempli de peaux de vache, chargé à bord d'un camion.

Que disent les autorités locales ?

Contacté par la rédaction des Observateurs de France 24, Malal Baldé, le directeur régional de l’élevage de Labé, a reconnu qu’il était "évident" que ces peaux de vache n’étaient "pas préparées dans les meilleures conditions". Mais il a ajouté que les gens les préparaient ainsi car ils avaient "peu de moyens" et qu’ils s’étaient lancés dans cette activité simplement car elle offrait des "débouchés".

De son côté, Hassimiou Bah, le directeur préfectoral de l’élevage de Labé, également contacté par notre rédaction, a indiqué qu’aucun contrôle n’était réalisé puisqu’il s’agissait d’une activité "privée" : "Les peaux sont vendues par les bouchers à des gens, ou alors les bouchers les préparent eux-mêmes. Chacun fait ce qu’il veut avec ses peaux. Ensuite, ces peaux sont clairement exportées de façon clandestine, puisque nous ne délivrons aucun papier attestant que ces produits sont exsangues de toute maladie, alors qu’en théorie, nous délivrons des papiers pour ce genre de produits, pour qu’ils puissent être exportés."

"La peau de vache a un goût assez quelconque"

Afin d’en savoir plus sur l’aspect culturel et gustatif des peaux de vache, nous avons enfin contacté Fatmata Binta, cheffe de cuisine au sein de la "Fulani Kitchen" à Accra, au Ghana. Elle a grandi en Sierra Leone et sa famille est originaire de Guinée.

Manger de la peau de vache, c’est classique en Sierra Leone. Mais elle est aussi consommée au Nigeria, au Ghana, au Congo et au Liberia. On lui donne différents noms, en fonction des endroits : "kanda", "kpomo", "waele", "mukanda"... Ce n’est pas un plat gastronomique : c’est un plat "normal"… En fait, la peau de vache a un goût assez quelconque : cela ressemble un peu aux tripes et donne juste un peu de saveur aux ragoûts. Pour la cuisiner, cela prend un peu de temps, car il faut vraiment la faire ramollir.

Cet article a été écrit par Chloé Lauvergnier (@clauvergnier).