Nettoyer les plages de Tunisie, les "300 kilomètres" de défi d'un jeune ingénieur
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Mohammed Oussama Houij s'est donné comme objectif cet été de nettoyer 300 kilomètres de plages tunisiennes.
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Un jour de marche, un jour de nettoyage: depuis le 1er juillet, et jusqu'au 31 août, Mohammed Oussama Houij, un ingénieur tunisien en génie sanitaire âgé de 27 ans, remonte à pied la côte tunisienne, avec l'objectif de dénoncer les différentes pollutions qui affectent des plages de son pays, souillées par les baigneurs et les industries. Une démarche qu'il documente et dont il espère qu'elle participera à une prise de conscience des autorités mais aussi de ses concitoyens.
L'idée de Mohammed Oussama Houij est née un jour quand il marchait au bord de la côte à Hammamet (nord) en voyant la mer rejeter divers éléments de plastique. Le 1er juillet, il a démarré à Mahdia (est) son projet, intitulé "300 kilomètres", la distance qu'il compte parcourir à pied jusqu'à Soliman (nord).
Ce "fanatique de l'environnement", selon ses mots, a choisi de se concentrer sur les plages, pendant l'été, pour essayer de donner le plus d'impact possible à son message. Il est parti avec un budget minimal: il a de quoi camper et dort chez l'habitant quand il le peut. Il rencontre d'ailleurs des soutiens dans certaines villes, qui viennent l'aider à nettoyer.
Un habitant de Kelibia aide Mohamed dans son entreprise de nettoyage, le 11 août 2018.
Il documente chacune de ses étapes en images sur sa page Facebook, qui connait un certain succès avec 13000 abonnés.
"Un manque de conscience citoyenne combiné à un manque de moyens des autorités"
En arrivant dans une ville je fais du repérage et je choisis une plage, et le lendemain, quand je démarre le nettoyage, je me fixe un objectif en définissant une portion que je veux nettoyer.
Quand je suis seul, je peux remplir jusqu’à dix sacs poubelles de 100 litres sur une plage. Et si des personnes m’aident, ça peut aller jusqu’à 40 sacs. C’est impossible de tout peser, mais ces chiffres peuvent donner une idée.
Je ramasse vraiment de tout : des emballages, des pots de yaourts, des éléments de moteur, de l'électronique. Certaines choses sont choquantes, par exemple j'ai déjà ramassé des aiguilles. J'ai aussi trouvé plusieurs fois des tortues mortes. Il y a des déchets que je ne pourrai jamais complètement éliminer : par exemple les mégots et les bouchons, ils sont très nombreux et tellement petits, j’ai beau passer plusieurs fois au même endroit, j’en trouve toujours que je n’ai pas vus.
Cette vidéo a été prise à Manzel Temine. Ce que je montre, c'est une bombonne de peinture, ça vient probablement d'une usine locale qui se débarrasse de ses déchets. C’est inflammable, il y a beaucoup de produits chimiques dedans, c’est dangereux.
Dans cette ville, il y a un établissement de l’ONAS (l'Office national de l'assainissement) qui déverse en mer des eaux supposément traitées. Sauf que les odeurs et la couleur de ce qui est déversé disent le contraire! Selon moi, le processus de traitement n’est pas respecté, d’ailleurs la plage où j’étais est interdite à la baignade, mais celle d’à côté y est ouverte... Or il est probable que cette eau sale se retrouve aussi là où il y a des baigneurs! Je documente pendant ce voyage tout ce que je vois comme pollution sur la mer, pas seulement les plages, et les industriels qui déversent des produits polluants partout dans la mer, c'est un problème global.
Cette vidéo tournée à Monastir montre que le plastique se dégrade, se fragmente en petits morceaux qui vont se retrouver dans la mer et être mangés par les poissons.
Dans cette autre vidéo prise à Monastir, je gratte le sol pour montrer que le sable est noir. Là comme ailleurs, des bateaux vidangent directement leur huile dans la mer, qui se retrouve ensuite sur les plages... Pourquoi ne cherche-t-on pas à recycler ces huiles plutôt que de les laisser être déversées dans la mer ?
Des habitants de Monastir ont aidé le projet "300 kilomètres" fin juillet.
"Les autorités le savent depuis des années"
Pour moi, la présence d’autant de déchets sur les plages tunisiennes s’explique par le manque de conscience citoyenne, combiné au manque de moyens et de volonté des municipalités. En fait, les villes appliquent encore des méthodes des années 80 : on envoie deux personnes et un camion à benne, or on ne peut pas nettoyer une plage avec ça. Il faut investir dans de la grosse machinerie, et sensibiliser les gens à arrêter de jeter tout sur la plage.
Je suis plus dans le sens d’une démarche critique que dans la dénonciation aux autorités, tout ce que je montre je suis sûr que les autorités le savent depuis des années.
La pollution des plages est directement liée au contexte politique en Tunisie : après la révolution de 2011, la prolifération des déchets s'est accrue, notamment parce que jusqu'en 2018, il n'y avait pas de pouvoir locaux élus, les mairies étant gérées par des "délégations spéciales" nommées au lendemain de la chute du régime de Ben Ali, et dont la gestion a souvent été défaillante.
En 2017, Mohamed Oussama Houij avait déjà lancé l'initiative citoyenne "Zabaltouna" ("Vous nous envahissez d'ordures"). Il prévoit d'arriver à Soliman le 31 août. Pour l'aider dans son périple et dans ses initiatives, il est possible de lui faire un don via Paypal, comme il le précise sur sa page Facebook.