Grèce

À Santorin, les souffrances des "ânes à touristes" révoltent les habitants

Captures d'écran montrant les abus subis par les ânes de l'île de Santorin.
Captures d'écran montrant les abus subis par les ânes de l'île de Santorin.
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Très appréciés des milliers de touristes qui visitent chaque année l'île de Santorin, les 360 ânes de cette île grecque vivent un calvaire durant la période estivale. Charges trop lourdes, coups et manque de nourriture : des habitants ont décidé de documenter ces maltraitances en images, pour mettre fin à "l’exploitation" des bêtes. Ce qui leur a valu des accrochages avec les propriétaires, pour qui les ânes son une source considérable de revenus.

Tout a commencé avec la diffusion de cette vidéo, initialement publiée sur Instagram le 23 juillet 2018, sur laquelle on peut voir un âne battu et maltraité par son propriétaire. L’animal peine à descendre les marches des escaliers. Le propriétaire réagit en le tapant violemment et en poussant sur sa longe, une forte corde destinée à tenir attaché l’âne et à le promener. Cette vidéo a suscité beaucoup de réactions sur les réseaux sociaux, notamment des habitants de l’île, soucieux de l’impact du tourisme sur ces animaux.

Traduction: "Santorin n'est pas si jolie. S'il vous plait ne les faîtes plus porter vos marchandises."

Traduction: "Le côte obscur de Santorin. Nous sommes tous responsables".

 

Lieu emblématique en Grèce, l’île, très escarpée, est difficile à conquérir avec ses petites ruelles, marches et escaliers. Pour éviter la fatigue, de nombreux touristes prennent les ânes comme moyen de locomotion.

Notre Observatrice Maria Astradeni Scourta est membre de l’association “Direct Action Everywhere Athens”, un rassemblement citoyen, militant notamment pour les droits des animaux. Selon elle, il y a un manque de sensibilisation face au sort des ânes de Santorin.

“Les ânes deviennent des machines : s’ils ne sont plus performants, on les jette”

Les promenades à dos d’âne commencent à 9 heures tous les matins et finissent au coucher du soleil. Les ânes font en moyenne sept allers-retours, du port jusqu’au village de Fira (la capitale de Santorin. NDLR), soit près de 600 marches. Ils sont forcés de porter de lourdes charges, pour parcourir un trajet en pente de près de 250 mètres. Par ailleurs, le poids de certains touristes peut causer des problèmes de dos et des blessures au niveau de la colonne vertébrale. Il y a aussi les selles mal ajustées, qui peuvent provoquer des frottements jusqu’à la brûlure sur la peau de l’animal.”

Un trajet quotidien pour les ânes de Santorin. Vidéo filmée par une citoyenne anonyme, en juillet 2018.

 

Mais à ces promenades touristiques s’ajoutent les déplacements des locaux, qui les utilisent pour transporter de lourdes marchandises, notamment des matériaux de construction pour les maisons au sommet des collines. Lorsqu’on les aperçoit sur les marches, la plupart des bêtes doivent s’adosser au mur pour pouvoir tenir.”

 

Un travail sous la chaleur, sans pauses

 

Et quand les bêtes ressentent de la fatigue et qu’elles ne sont plus assez “performantes”, les propriétaires s’en prennent à elles, les tapant avec un bâton pour qu’elles soient plus rapides. Les ânes deviennent des machines : s’ils ne sont plus efficaces, on les jette. Il m’est arrivé souvent de croiser un âne étendu par terre, incapable de bouger, épuisé par les charges et la chaleur. ”

“Il faut voir au-delà du côté pittoresque de la balade en âne, Santorin n’est pas qu’une carte postale !”

Face à ces abus, certaines associations locales se sont mobilisées pour sensibiliser les touristes et les locaux. Parmi elles, l’association “Direct Action Everywhere Athens”. Le 27 juillet dernier, le groupe a mené une campagne de sensibilisation sur les marches de l’île. Sur certaines vidéos publiées par des passants et par les membres de ces associations, les militants sont violemment pris à partie par les propriétaires d’ânes.

 

Les propriétaires d’ânes sont devenus très violents, ont brûlé nos bannières et ont jeté nos sacs par-dessus les escaliers. Mais nous sommes en ce moment au pic saisonnier de fréquentation touristique. Et le rythme d’arrivées va s’accélérer jusqu'à fin août. Notre objectif est de mener des actions chocs pendant cette période pour faire en sorte que les touristes ne se retrouvent pas sur des ânes complètement affamés pour une prétendue ‘promenade traditionnelle et romantique’. Il faut voir au-delà du côté pittoresque de la balade en âne, Santorin n’est pas qu’une carte postale !”

Aujourd’hui l’île de 76 km carrés est au bord de l’asphyxie. En pleine saison d’été, Santorin attire plus de 70 000 touristes par jour, dont 13 000 qui débarquent depuis d’immenses bateaux de croisière.

 

“Quand les touristes viennent à Santorin, ils voient un décor pittoresque et idyllique... Autrefois, les promenades à dos d’âne étaient nécessaires pour la survie et le développement de l’île. Les locaux les utilisaient pour faire parvenir leurs marchandises. Mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Il y a une remontée mécanique qui connecte le port à Fira.”

“ Il faut trouver un équilibre entre tourisme et droits des animaux”

Katerina T. (pseudonyme) habite la ville de Fira.

 

“Il faut avant tout de régulariser l’utilisation des ânes plutôt que d’y mettre fin. Ils appartiennent au patrimoine culturel de l’île, ils sont présents depuis des décennies. Et le tourisme participe également à l’économie de la ville. Le prix d’un taxi-âne est de sept euros ! Ce n’est pas anodin. Il faut trouver un équilibre entre le tourisme et les droits des animaux.”

Face au tollé provoqué par la publication des vidéos, la municipalité de Fira a réagi le 29 juillet, promettant une série de mesures portant notamment sur les horaires et les charges portées par les bêtes. Le maire a également limité l’arrivée quotidienne des touristes sur l’île, l’abaissant à 8000 visiteurs par jour, contre 13 000 auparavant.

Contactée par la rédaction des Observateurs de France 24, la municipalité de Santorin n’a pas donné suite à nos questions. Nous publierons sa réponse si elle nous parvient.

Pour accélérer la procédure, les militants ont de leur côté mis une pétition en ligne, afin de sensibiliser à la fois les locaux et les touristes des abus commis à l’encontre des ânes. Ils ont récolté 85 000 signatures à ce jour.