Sur les plages algériennes, la galère des vacanciers face aux “mafias-parasols”
Publié le : Modifié le :
Parkings payants, espaces privatisés, expulsion des plages publiques pour les personnes refusant de payer : depuis le début de l’été, les citoyens algériens dénoncent les “mafias-parasols”, ces loueurs clandestins installés sur le littoral.
Depuis une dizaine d’années, les plages algériennes sont envahies par les “mafias-parasols” : il s’agit d’habitants des quartiers voisins, surnommés ainsi en raison de leur emprise sur les parasols mis à disposition par les mairies locales. Tous les jours, ils s'installent sur les plages publiques et imposent leur prix aux vacanciers.
Leur mainmise sur les plages est dénoncée par certains, à l’image de notre Observateur algérois Yassine H. ( pseudonyme), qui a souhaité garder l'anonymat pour "plus de sécurité". Sur sa page Facebook “Les meilleures et les pires coins d’Algérie”, il relaie les témoignages d’autres citoyens. Selon lui, ce phénomène menace le libre accès aux plages.
“Les loueurs font leur loi”
À l’entrée de chaque plage, il y a ce qu’on appelle les “ parkingueurs” : ce sont des hommes qui obligent les vacanciers à payer l’accès au parking. Ils ne sont pas employés par la mairie, mais par des notables du quartier. Il faut compter entre 150 et 200 dinars [environ deux euros, NDLR] pour garer sa voiture. Mais ce ticket ne donne même pas accès à la plage, car en arrivant, des adolescents exigent de l’argent supplémentaire.
Vidéo prise à Béjaïa. Reprise par le groupe facebook "Les meilleurs et les pires coins d'Algérie".
Par exemple, sur une plage publique, il faut compter près de 1 700 dinars [environ 12 euros, NDLR] pour un kit “parasol-table-chaises”, pour une seule journée. Si l’on compte aussi les possibles achats pour préparer le déjeuner, on peut passer à 3 000 dinars facilement [environ 22 euros, NDLR]. À titre de comparaison, sur une plage privée, le même kit coûte 2 000 dinars [environ 14,50 euros, NDLR] à la journée, sans compter la nourriture à acheter. L’écart n’est donc pas si important. À ces prix-là, il m’est impossible d’offrir à ma famille plus de deux ou trois sorties par mois. Alors que c’est l’été.”
“Si vous montrez des réticences à payer le montant exigé, les choses peuvent très vite dégénérer”
D’abord décriés pour “le racket” auquel ils soumettent les vacanciers, les loueurs sont finalement tolérés par les autorités locales à condition qu’ils n’occupent pas la plage avant l’arrivée des baigneurs et qu’ils ne les obligent pas à recourir à leurs services. Mais ces conditions ne sont pas toujours respectées, ce qui entraîne de nombreuses disputes entre vacanciers et “parasoliers”.
Notre Observateur témoigne :
Personnellement, je me rends sur une plage publique à Sidi Frej [une presqu’île située à 30 km d’Alger, NDLR]. Chaque matin, des tentes sont dressées juste au bord de la mer. Si on veut profiter de la vue sur la mer, on est donc obligé de louer l’une de ces tentes.
Parfois, j’essaye de m’imposer, en ramenant mes propres parasols et en essayant de les planter moi-même sur les quelques espaces vacants, pour ne pas payer. Mais les loueurs arrivent alors en bande et me menacent d’expulsion. Alors je cède.
D’une manière générale, si vous montrez des réticences à payer le montant exigé, les choses peuvent très vite dégénérer. Sur les plages algériennes, ce sont les loueurs qui font leur loi. ”
Témoignage anonyme d'un vacancier, face aux "mafias des plages" d'une plage de Cherchell, dans le nord-est de l'Algérie.
Plusieurs incidents ont déjà été relayés sur les réseaux sociaux. Par exemple, dans cette vidéo tournée en juillet à Tighremt, un village à l’est d’Alger, on peut voir une dispute entre un plagiste et un groupe de vacanciers. Ces derniers ont été sommés de quitter les lieux car ils refusaient de payer et voulaient installer leur propre matériel sur la plage.
Expulsion d'un groupe de vacanciers, à Tighremt, à l'est d'Alger. Vidéo reprise par la page Observ'Algérie.
En juin dernier, près d’Oran, dans l’ouest du pays, un père de famille a même succombé aux coups assénés par un de ces loueurs. Il contestait notamment le prix trop élevé des locations de transat et de stationnement sur les parkings.
“Les loueurs informels se livrent au jeu du chat et de la souris avec les forces de l’ordre”
En janvier, le ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales, en charge de la gestion des côtes, a pourtant assuré qu’il agirait en faveur de la “gratuité des plages” pour l’été, pour contrecarrer ces loueurs à la sauvette. En juin, le ministère avait ainsi demandé aux mairies côtières de désigner un administrateur, chargé de contrôler les plages et ayant une police sous ses ordres. Mais cette décision n’a pas encore été appliquée.
Exaspérés, certains vacanciers appellent parfois les forces de l’ordre, avec lesquelles les loueurs informels “se livrent au jeu du chat et de la souris”, selon notre Observateur.
Par exemple, dans cette vidéo prise sur la plage de Sidi Fredj, à l’arrivée des policiers, les loueurs jettent tout leur matériel à la mer, pour éviter qu’ils ne leur confisquent leurs équipements.
Des loueurs jettent leur matériel à la mer, suite à l'arrivée de policiers, le 4 juillet 2018, à Sidi Fredj.
Amina Moudoud, journaliste de la région, raconte :
"Dès que les gendarmes quittent les lieux, les loueurs réinstallent leurs parasols. C’est un cercle vicieux. Tant que les loueurs ne seront sanctionnés que de manière anecdotique, ils continueront. Il faut que la police locale soit présente et agisse de manière permanente. Si l'on décide que toutes les plages sont publiques, aucun vendeur clandestin ne doit être toléré.”
Contacté par la rédaction des Observateurs de France 24, le ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales n’a pas donné suite à nos questions. Nous publierons sa réponse si elle nous parvient.
Article écrit par Kenza Safi-Eddine.