Récit de cinq jours d’angoisse dans une ville mexicaine, sous le feu de cartels rivaux
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Plusieurs fusillades opposant des hommes lourdement armés se sont succédé durant plusieurs jours d’affilée, fin mai, à Parácuaro, une petite ville située dans l’ouest du Mexique. Plusieurs images postées sur les réseaux sociaux témoignent de la violence des affrontements, qui ont suscité la terreur parmi les habitants, comme le raconte l'un d'eux.
Parácuaro est située dans l’État du Michoacán, considéré comme l’un des plus violents du Mexique. Selon le Secrétariat de l’Intérieur, 1 277 assassinats y ont été répertoriés en 2017, et plus de 400 depuis le début de l'année 2018. Ces chiffres seraient toutefois sous-estimés, selon l’ONG "Consejo Ciudadano para la Seguridad Pública y la Justicia Penal".
Cette violence s’explique en grande partie par la présence de cartels rivaux qui se disputent le contrôle du territoire et par l'existence de conflits internes aux organisations criminelles. D'importantes quantités de drogue transitent ainsi dans le Michoacán, notamment au niveau du port de Lázaro Cárdenas, l'un des principaux du pays. D’où des affrontements sanglants réguliers – et de plus en plus fréquents – comme cela s’est produit à Parácuaro, entre le dimanche 27 et le jeudi 31 mai.
"Quand des fusillades éclatent, on perd la notion du temps"
Un habitant de Parácuaro revient sur ces cinq jours de violence. Il n’a pas souhaité donner son nom, pour des raisons de sécurité.
Samedi 26 mai, des gens ont commencé à dire que des hommes armés se trouvaient juste autour de la ville et qu’ils voulaient entrer. Mais c’était des rumeurs, donc nous n’y croyions pas vraiment, dans la mesure où nous avons l’habitude d’entendre ce genre de choses.
"Une balle perdue est entrée dans une maison, blessant un enfant"
Mais des affrontements ont éclaté dimanche 27 mai, à l’aube, d’abord à la périphérie de la ville. À cet endroit, une balle perdue est même entrée dans une maison, blessant un enfant. Puis des tirs se sont produits dans l’une des principales rues de la ville, où s’est déroulée une sorte de course-poursuite entre des véhicules, selon les habitants. Des hommes armés sont même entrés dans la maison d'une femme, pour monter sur son toit : à partir de là, ils ont échangé des tirs avec d’autres hommes. Finalement, je pense que les tirs ont duré 3 ou 4 heures d’affilée. Puis des policiers de l’État du Michoacán sont arrivés [ainsi que des policiers fédéraux, NDLR].
Dans cette vidéo tournée le 27 mai, on entend de nombreux tirs.
Une autre vidéo tournée le 27 mai.
Des photos ayant circulé après les affrontements du 27 mai, où l'on voit des voitures criblées de balles, de très nombreuses cartouches sur le sol...
Lundi 28 mai, il y a encore eu des rumeurs selon lesquelles les affrontements allaient reprendre, mais les gens ont quand même fait leur vie : les commerces étaient ouverts, etc.
Mais les tirs ont repris mardi 29 mai, aux alentours de midi, près de la place principale. [Les médias locaux évoquent plutôt la date du 30 mai, NDLR.] Cette fois-ci, ils ont duré 40 minutes environ, donc moins longtemps. Mais ça a été bien plus dangereux, puisque beaucoup de gens étaient dehors à ce moment-là, contrairement à dimanche. Beaucoup d’entre eux ont alors couru pour se réfugier dans les commerces, qui ont ensuite été fermés.
Des affrontements se sont également produits jeudi 31 mai, tard dans la soirée. Les gens étaient donc chez eux. Je dirais qu’ils ont duré une quinzaine de minutes, mais ça a été très intense. Là encore, il y a eu une sorte de course-poursuite entre véhicules : on pouvait les entendre s’arrêter, repartir à toute allure, puis des détonations.
Une vidéo tournée le 31 mai, où l'on entend des tirs.
"Quand on entend des véhicules circuler à vive allure, à toute heure de la nuit, c’est très stressant"
Durant ces cinq jours de violences, nous nous sommes sentis exposés surtout le soir. Déjà, avec l’obscurité, n’importe qui peut entrer plus facilement en ville, donc les risques d’affrontements sont plus élevés. Par ailleurs, à partir du 27 mai, des agents de la police étatique et fédérale sont venus patrouiller, mais ils arrivaient le matin et repartaient le soir, laissant la ville sans protection. En effet, même si nous avons une police municipale, elle est mal formée et n’a pas d’armes capables de rivaliser avec celles du crime organisé... Donc le soir, nous évitions de sortir et nous étions sur les nerfs. Quand on entend des véhicules circuler à vive allure, à toute heure de la nuit, c’est très stressant. Il faut des heures pour s’endormir…
"On peut passer une main à l’intérieur de certains trous causés par des impacts de balles"
Quand des tirs éclatent, c’est tellement impressionnant que l’on perd la notion du temps. Tout ce qui compte, c’est de trouver un lieu où se protéger dans la maison, pour éviter de recevoir une balle perdue : le risque est grand car les maisons sont très ouvertes ici, puisqu’il fait très chaud. Je pense que des armes très puissantes ont été utilisées, vu le bruit que ça faisait et la taille des impacts de balle. On peut passer une main à l’intérieur de certains trous…
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© {{ scope.credits }}Une voiture criblée de balles. Photos ayant circulé parmi les habitants.
Une autre voiture ayant reçu des balles.
Cette violence nous fatigue vraiment, car nous avons l’impression que notre sécurité n’est jamais garantie, quel que soit le moment de la journée. Cela restreint notre liberté de circulation, cela paralyse les activités de la ville… Les écoles sont restées fermées jusqu’à présent, donc les enfants restent à la maison, sans comprendre ce qui se passe.
Depuis les affrontements du 31 mai, la situation s’est toutefois calmée, car des policiers étatiques et fédéraux restent désormais sur place. Mais nous avons peur que la violence reprenne une fois qu’ils seront repartis. L’église est même intervenue pour leur demander de rester.
Selon cet habitant et les médias locaux, il faut remonter à 2014 pour retrouver un tel niveau de violence dans l’État du Michoacán. Cette année-là, des affrontements avaient opposé le cartel des Chevaliers Templiers à des groupes d’auto-défense, lesquels avaient été soutenus par le cartel de Los Viagras, avec l’appui des autorités.
Des affrontements armés opposant des cartels rivaux entre eux ou les opposants aux forces de l’ordre ont régulièrement lieu dans différents États au Mexique.
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Cet article a été écrit par Chloé Lauvergnier (@clauvergnier).