MAROC

Accusés d’avoir eu des relations sexuelles pendant le ramadan, deux Marocains tabassés

Captures d'écran de la vidéo de l'agression de la jeune étudiante, le 30 mai 2018 à Safi.
Captures d'écran de la vidéo de l'agression de la jeune étudiante, le 30 mai 2018 à Safi.
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Dans la ville de Safi, aux alentours de Marrakech, une vidéo mise en ligne le 30 mai montre un groupe d’hommes cagoulés s’attaquer à une femme et un homme, qu’ils accusent d’avoir eu des relations sexuelles pendant le ramadan. Un extrait d’une rare violence qui indigne nombre de Marocains.

Plusieurs sources parmi les médias locaux nous ont confirmé que la scène avait eu lieu au niveau du village de Douar Oulad Mhaya, près de Safi. Durant les premières secondes, on peut apercevoir une jeune femme à bord d’une camionnette, le visage ensanglanté, les cheveux ébouriffés. Elle est entourée d’un groupe de six personnes cagoulées, armées de battes en bois et de pierres. “C’est ramadan, qu’est-ce que vous faites ici ?”, déclare l’un des agresseurs à la femme et à l’homme à ses côtés, qui est le conducteur du véhicule.

Ce dernier intervient ensuite pour justifier la présence de la jeune femme dans sa voiture : “Elle est étudiante, elle est en train de faire une enquête de terrain”, dit-il avant de tendre de l’eau à la jeune femme pour qu’elle se nettoie le visage. L’agresseur qui filme rétorque : “Vous vous amusez bien ?”. La victime se défend, affirme que le conducteur est un “khattaf” [en français, " taxi clandestin". NDLR] venu l’accompagner pour effectuer ses recherches.

Les assaillants ne sont visiblement pas satisfaits par la réponse et assènent de nouveaux coups sur le visage de l’étudiante, avant de s’attaquer finalement au conducteur.

La vidéo étant particulièrement violente, nous n’en publions que des captures d’écran.

Captures d'écran de la vidéo.

Une enquête ouverte

Selon l’hebdomadaire marocain Tel Quel, la gendarmerie royale a ouvert une enquête suite au dépôt d’une plainte des victimes. Contactées par la rédaction des Observateurs de France 24 pour plus d’informations et savoir notamment ce qu’il était advenu des deux personnes agressées, la gendarmerie royale et le wali de la région de Safi [équivalent du préfet, NDLR ] n’ont pas souhaité répondre. Nous publierons leurs réponses si elles nous parviennent.

Partagée des centaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux, la vidéo a créé l’effroi parmi les internautes marocains qui ont demandé l’ouverture immédiate d’une enquête.

Traduction: “Quand la loi de la jungle remplace les lois et les décisions d’un État, voilà ce qu’il arrive. Notre État se doit de se positionner face à ces dérives”.

Traduction: “Cette horrible agression ne vous fait-elle pas penser aux actions de Daech ?!”

Des scènes devenues récurrentes à chaque ramadan

Cette scène n’est pas sans rappeler d’autres agressions ayant eu lieu en période de ramadan. Ces dernières années, les épisodes de justice populaire se sont multipliés dans le royaume.

À Fès, dans la soirée du 29 juin 2015, la vidéo d’une foule déchaînée agressant un homosexuel avait aussi provoqué beaucoup de réactions. On y voyait un jeune homme qui tentait de s’enfuir en prenant un taxi, mais le véhicule était vite encerclé par cette foule en colère.

Vidéo de l'agression de Fès, le 19 juin 2015.

Un an plus tard, à Rabat, un jeune diabétique a été tabassé pour avoir consommé de l’eau en public pendant le ramadan. En 2017, une jeune Tangéroise a été poursuivie dans la rue par une foule d’hommes jugeant sa tenue “trop serrée”.

Vidéo de l'agression de la jeune fille à Tanger, le 31 juillet 2017.

Betty Lachgar, porte-parole du Mouvement Alternatif pour les Libertés Individuelles (MALI) qui milite pour les droits des minorités et pour le respect des libertés individuelles au Maroc, déplore la multiplication de ces actes de violence.

 

“Il faut changer les lois pour faire évoluer les mentalités."

Dans le cas des précédentes agressions, il s’agissait de mouvements spontanés venant de passants à visages découverts, qui décidaient, sur le moment, de s’en prendre à d’autres personnes. Avec cette vidéo, nous assistons à une scène de lynchage avec des assaillants armés de battes, cagoulés. Par ailleurs, c’est un membre du groupe qui filme toute la scène. Ils semblent donc ressentir une certaine fierté à jouer le rôle de brigade des mœurs. En diffusant leur vidéo sur les réseaux sociaux, ils font en fait de l’autopromotion”.

Pour la militante, l’ampleur de ce nouvel épisode est notamment liée à l’existence de deux articles issus du code pénal marocain. L’article 222, qui expose les musulmans qui n’observent pas le jeûne à une peine allant d’un à six mois de prison. Et le numéro 490 interdisant toute relation sexuelle avant le mariage.

 

Dans le cas de cette vidéo, c’est la double-peine pour les deux personnes agressées. Les assaillants accusent les victimes à la fois de ne pas respecter le jeûne et d’avoir eu des relations sexuelles hors mariage. C’est très dangereux que des groupes usent de la loi pour faire leur propre justice. Cela signifie que tant que ces lois liberticides existeront, ces pratiques survivront. Pour espérer un changement des mentalités, il faut abroger ces lois.”