Venezuela : Nicolas Maduro a-t-il vraiment salué une foule "invisible" ?
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Le président vénézuélien Nicolas Maduro a publié sur les réseaux sociaux dimanche 20 mai, jour de sa réélection, une étrange vidéo dans laquelle il dit saluer "un groupe d’électeurs enthousiastes" devant son bureau de vote. Pourtant, difficile d’apercevoir les supporters en question. Les détracteurs du chef d’État ont vite partagé les images pour pointer du doigt une "manipulation" ou moquer sa "solitude". Sauf que c’est un peu plus compliqué que ça.
Déclaré vainqueur avec 67,7 % des voix, Maduro voit son élection très contestée dans son pays comme à l’international. Elle a en tout cas été marquée par un faible taux de participation : 46 % des électeurs se sont déplacés, contre 80 % en 2013. Pour tenter d’illustrer l’isolement de Nicolas Maduro en parallèle de son triomphe annoncé, plusieurs de ses opposants ont alors partagé sur les réseaux sociaux une vidéo dans laquelle il semble mimer un salut à la foule. En regardant très rapidement les images, dont la qualité est dégradée, Nicolas Maduro semble avancer sur un terrain de sport vide.
"La solitude du tyran. L’invisible peuple que Maduro saluait, dans une mise en scène de théâtre de plouc, une simulation de plus. #20maichroniqued’unefraudeannoncée", a ainsi écrit l’activiste Nixon Moreno dans un tweet accompagnant la vidéo repris plus de 13 000 fois.
LA SOLEDAD DEL TIRANO.
Nixon Moreno (@NMorenolibertad) 20 mai 2018
El invisible pueblo que Maduro saludaba, en una balurda escena de teatro, otra simulación más.#20MCronicaDeUnFraudeAnunciado pic.twitter.com/RUCxrj96eh
"Voici comment Photoshop commence. Le dictateur Nicolas Maduro filmé en train de saluer une foule vide. Je suis sûr que la foule va être rajoutée après !", a encore estimé un deuxième utilisateur du réseau social dont la publication a également été très relayée.
This is how photoshop starts. Dictator of Venezuela Nicolas Maduro filmed waving at empty crowds today. #WTF I’m sure crowds will be added later. @ReporteYa @Maddygram @larryventexan @NTN24 @IdaniaChirinos @PattyPoleo @BestWebEnglish @cristiancrespoj
Michael Welling (@WellingMichael) 20 mai 2018
pic.twitter.com/XfeBIo58AJ
Certains médias, souvent hispanophones, ont même consacré des chroniques TV ou des articles à cette image, prenant au mot les anti-Maduro.
Pourtant, il suffit de visionner les images avec du son pour entendre des ovations en arrière-plan. Puis, en faisant quelques recherches, on constate très vite que l'original de cette vidéo a dans un premier temps été publié par Nicolas Maduro lui-même. Sur Facebook, la vidéo a été postée aux alentours de 8 heures du matin heure locale le dimanche par les équipes de communication du président qui ont indiqué en légende : "Depuis très tôt les Vénézuéliens sont dans la rue pour aller voter. J’ai rencontré un groupe (d’électeurs) très enthousiaste ce matin."
Cette version, de bien meilleure qualité, permet en effet d’apercevoir un regroupement derrière les grilles de l’enceinte dans laquelle Nicolas Maduro se trouve. À 0’29, on peut également entendre le son que fait le chef d’État en tapant avec conviction son poing contre sa main. Aucune piste sonore ne semble donc avoir été rajoutée a posteriori, contrairement à ce qu’ont avancé certains médias, comme le site de la radio colombienne LAFM.
Par ailleurs, Nicolas Maduro a publié quelques heures plus tard une autre image de cette scène sur laquelle on voit sans aucun doute le petit groupe derrière les barrières. Il n’y avait donc visiblement pas de grande foule mais bien quelques supporters, même si le président reste étrangement en retrait.
"C’était un petit groupe de supporters"
La rédaction des Observateurs de France 24 a retrouvé d’autres photos de cette journée électorale, notamment celles de l’AFP. Sur celles-ci, on remarque, comme dans la vidéo, la présence de Nicolas Maduro, avec à ses côtés son épouse Cilia Flores, vêtue d’une veste rouge et d’un foulard rouge et blanc.
Venezuelan president Nicolas Maduro waves outside a polling station during the presidential elections in Caracas @AFPphoto by Carlos Becerra pic.twitter.com/C6zeSUGXG0
Pedro Ugarte (@ugartep) 20 mai 2018
Elles ont été prises au moment où Nicolas Maduro est allé voter, dès l’ouverture de son bureau à 6 heures du matin, dans le lycée Miguel Antonio Caro à Catia. Contacté par France 24 à ce sujet, le photographe de l’AFP confirme que la vidéo a été tournée au moment où le président se rendait à son bureau de vote :
Oui, il y avait bien des gens. Mais il s’agissait d’un petit groupe selon moi, entre 40 et 60 personnes derrière la barrière et peut-être une quarantaine encore derrière, dans la rue, qui regardaient curieusement ce qu’il se passait. On s’attendait à ce que Maduro s’approche davantage, mais il ne l’a pas fait, sûrement pour des raisons de sécurité. Le groupe n’était certes pas très grand, mais il était très tôt. Ce n’est pas un montage même s’il est vrai qu’il est difficile d’apprécier sur ces images le nombre de personnes présentes en raison du type d’appareil avec lequel a été tournée cette vidéo, un grand angle, qui montre de façon très large ce qui est proche et très peu ce qui est loin. En tout cas, ce qui est vrai, c’est que ce n’était certainement pas une grande foule.
"S’il vote tôt, c’est plus pour des raisons de sécurité que de 'solitude'"
C’est également ce qu’a expliqué à notre rédaction une deuxième journaliste vénézuélienne venue couvrir l’événement :
Il était 6 heures du matin et le centre-ville était complètement bouclé pour l’arrivée du président. La presse était dans une petite zone située dans l’école et à l’extérieur il y avait un petit groupe de personnes qui attendaient pour voter. C’était des personnes identifiées comme proches de Maduro. C’est la deuxième fois qu’on le voit voter aussi tôt le matin. Il avait fait la même chose lors du vote sur l’Assemblée constituante, pour éviter les débordements à son arrivée. Avant, il allait voter dans l’après-midi et il y avait plus de monde pour l’attendre. Aujourd’hui, s’il vote tôt, c’est plus pour des raisons de sécurité que de "solitude". C’est évident qu’il a dû augmenter sa sécurité, ça a été notable tout au long de sa campagne.
Sur Twitter, Joshua Goodman, journaliste pour l’agence AP avait également mis en garde :
Apparently this is not as seems. Our photog was there and said there were about two dozen sympathizers outside the school gates. Not bad at 6 am. But this camera focused elsewhere.
Joshua Goodman (@APjoshgoodman) 21 mai 2018
"Ce n’est apparemment pas cela. Notre photographe était là et nous a dit qu’il y avait environ deux douzaines de sympathisants devant les portes de l’école. Pas si mal à 6 heures du matin. Mais cette caméra se concentrait ailleurs."
Lors des élections de l’Assemblée constituante au Venezuela en 2017, partisans et critiques du gouvernement s’étaient déjà livré à une véritable "guerre de l’image" sur les réseaux sociaux.
Avant de partager une vidéo détournée, ou avec une mauvaise légende, le mieux est donc d’avoir quelques réflexes de vérification. Pour cela, Les Observateurs mettent à disposition un guide en ligne.