SÉNÉGAL

Un étudiant tué à l’université de Saint-Louis : "Ça n’a jamais été aussi violent"

De violents affrontements ont opposé les étudiants de l'Université Gaston Berger de Saint-Louis aux forces de l'ordre, mardi 15 mai.
De violents affrontements ont opposé les étudiants de l'Université Gaston Berger de Saint-Louis aux forces de l'ordre, mardi 15 mai.
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Des heurts opposant des étudiants aux forces de l’ordre ont éclaté mardi 15 mai à l’Université Gaston Berger, à Saint-Louis, dans le nord-ouest du Sénégal, faisant un mort parmi les étudiants et une vingtaine de blessés. Les jeunes protestaient contre le retard dans le paiement de leurs bourses, bien qu’elles aient finalement été versées le jour-même, dans l’après-midi. Notre Observateur déplore qu’un tel niveau de violences ait été atteint avant que les autorités ne réagissent.

Lundi 14 mai, les étudiants de l’Université Gaston Berger avaient averti qu’ils passeraient à "la vitesse supérieure" si leurs bourses n’étaient pas versées dans les "plus brefs délais", sachant qu'elles doivent normalement être payées au début de chaque mois. Ils avaient également décrété que le restaurant universitaire serait gratuit durant 48 heures, lançant des "journées sans ticket".

"Je ne comprends pas pourquoi les autorités attendent toujours qu’il y ait des manifestations pour verser les bourses"

Petit Ndiaye est un ancien élève de l’Université Gaston Berger, qui a assisté aux heurts.

Mardi 15 mai, le recteur a fait positionner les forces de l’ordre devant le restaurant universitaire, pour le sécuriser et s’assurer que les étudiants paient bien leur ticket pour manger. [Le recteur peut demander l’intervention des forces de l’ordre si "la sécurité des biens mis à la disposition de l’université" est "en danger", selon une loi de 1994, NDLR.] Fin avril, il avait déjà indiqué que les "journées sans ticket" ne seraient plus tolérées, notamment en raison du manque à gagner pour le Crous (Centre régional des œuvres universitaires de Saint-Louis).

Cette décision a provoqué la colère des étudiants. Il y a alors eu des affrontements avec les forces de l’ordre, qui ont tiré du gaz lacrymogène. Et, pour la première fois, elles ont ouvert le feu dans leur direction. Les étudiants ont répliqué en jetant des pierres et ils se sont déchaînés. Ils ont brûlé le hall et des bureaux du rectorat de l'Université, ainsi que des bureaux et le jardin de la direction du Crous. Ils ont défoncé la porte de la maison de Mary Teuw Niane, le ministre de l’Enseignement supérieur, qui était absent, où ils ont détruit des meubles, des télévisions…

 

"Baydalaye, assassin", crient ces étudiants (Baydalaye Kane est le recteur de l'Université Gaston Berger). Vidéo tournée mardi 15 mai 2018 par Petit Ndiaye.

Le rectorat de l'Université a été en partie incendié par les étudiants. Vidéo tournée mardi 15 mai par Petit Ndiaye.

 

Les jardins de la direction du Crous ont été brûlés par les étudiants. Vidéo tournée mardi 15 mai par un ami de Petit Ndiaye.

 

Cela dit, parmi ceux ayant participé aux saccages, tous n’étaient pas des étudiants. Puis vers 15 h, les bourses ont finalement été versées via Wari, un moyen de paiement électronique…

Il y a souvent du retard dans le versement des bourses, et pas uniquement à Saint-Louis. Par exemple, en avril, les étudiants ont reçu leurs bourses pour les mois de février, mars et avril à la fois, alors que beaucoup d’entre eux en ont vraiment besoin pour s’en sortir.

Par conséquent, les étudiants manifestent régulièrement à ce sujet, et c’est souvent violent. Mais c’est la première fois qu’un étudiant est tué au cours de heurts à Saint-Louis. Jusqu’à présent, ça n’avait jamais été aussi violent. Je ne comprends pas pourquoi les autorités attendent toujours qu’il y ait des manifestations pour verser les bourses… Là, il y a quand même eu un mort, des blessés graves et d’importants dégâts matériels, c’est inadmissible.

Un pneu qui brûle dans les rues de Saint-Louis. Vidéo tournée mardi 15 mai par un ami de Petit Ndiaye.

 

Un mort, tué "par balle" selon les étudiants

En fin de journée, le porte-parole du gouvernement a confirmé qu’un étudiant en 2e année de lettres modernes avait été tué au cours des affrontements. Il a aussi indiqué qu’une vingtaine de personnes avaient été blessées, "dont 18 du côté des forces de sécurité".

Il a assuré que le procureur de la République avait "diligenté l’ouverture d’une information judiciaire" afin de faire la lumière concernant le décès de l'étudiant et assuré qu’une autopsie était en cours. De leur côté, des sources estudiantines ont affirmé à l’AFP qu'il avait été tué "par balle", une version également reprise par le quotidien "Enquête" à Dakar.

Après l’annonce de la mort de cet étudiant, des manifestations violentes ont éclaté dans d’autres universités sénégalaises, à Dakar, Ziguinchor et Bambey.

Le dernier cas d’étudiant tué lors d’affrontements avec les forces de l’ordre au Sénégal remonte à 2014. À l’époque, des violences avaient également éclaté en raison du retard dans le versement des bourses universitaires.

Dans un communiqué commun, la Ligue sénégalaise des droits humains, la Rencontre africaine pour la défense des droits de l'Homme et Amnesty International Sénégal ont d’ailleurs déploré les "retards récurrents dans le paiement des bourses", "principale cause de la violence dans les universités".

Concernant l’année 2018, le porte-parole du gouvernement a assuré que ce retard était dû à la mise en place d’une nouvelle procédure de paiement, via une plateforme numérique.

Le rectorat de l'Université, au lendemain des violences. Photos prises mercredi 16 mai par Petit Ndiaye.

Cet article a été écrit par Chloé Lauvergnier (@clauvergnier).