BURUNDI

Burundi : des membres du parti au pouvoir prêchent la haine avant le référendum

Au moins trois vidéos amateur dévoilées récemment sur les réseaux sociaux montrent des discours parfois violents contre les partisans du "non" au référendum constitutionnel du 17 mai au Burundi.
Au moins trois vidéos amateur dévoilées récemment sur les réseaux sociaux montrent des discours parfois violents contre les partisans du "non" au référendum constitutionnel du 17 mai au Burundi.
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La campagne pour un référendum constitutionnel a officiellement débuté mercredi 2 mai au Burundi. Si le "oui" l’emporte, le président Pierre Nkurunziza, au pouvoir depuis 2005, pourrait briguer deux mandats supplémentaires de sept ans. L’enjeu est important, et les intimidations de plus en plus fréquentes, comme le montrent plusieurs vidéos amateur.

Le Burundi est plongé depuis avril 2015 dans une violente crise politique, provoquée par l’annonce de la candidature à sa propre succession du président Pierre Nkurunziza, au pouvoir depuis 2005. La Constitution limite actuellement le nombre de mandats présidentiels à deux consécutifs. Finalement réélu pour cinq ans, Pierre Nkurunziza a annoncé en décembre dernier l’organisation, le 17 mai prochain, d’un référendum pour décider ou non d’une révision de la Constitution qui lui permettrait de briguer deux mandats consécutifs de sept ans, à partir de 2020, et donc de se maintenir jusqu’en 2034 au pouvoir.

>> LIRE SUR LES OBSERVATEURS : Burundi : un responsable du parti au pouvoir appelle à "frapper" les opposants 

Et il peut compter sur des militants du son parti, CNDD-FDD, parfois… très dévoués, voire un peu trop. Ces derniers jours, et alors même que la campagne référendaire n’était pas encore ouverte, plusieurs vidéos ont révélé des éléments de langages parfois violents utilisés par des membres du parti au pouvoir.

"Nous mettrons les opposants dans un bateau, direction le Congo"

Melchiade Nzopfabarushe, un membre du CNDD-FDD, explique dans cette vidéo: "Et d’ailleurs, il n’y a plus de poissons dans notre eau. Trouvez-vous encore du poisson ? Nous les embarquerons et ils iront en République démocratique du Congo en paix".

Une des vidéos qui a le plus provoqué de réactions a filtré le 28 avril sur Twitter. On y voit Melchiade Nzopfabarushe, ancien chef de cabinet adjoint du président Pierre Nkurunziza, proférer des propos menaçants à la mi-avril, lors d'un meeting près de Bujumbura. Comme le détaille le site Iwacu, il explique  devant la foule en kirundi, la langue officile du Burundi :

 S’il existe un opposant qui se cache ici à Migera […], nous ne sommes pas avec lui, on s’en lave les mains, n’est-ce pas ? […] Pour cette raison, […] dès la semaine prochaine, nous commencerons à exécuter un plan que personne ne connaîtra avant. […]

Nous avons fait fabriquer un bateau. […] [L’opposant] sera charrié vers le lac Tanganyika et ils iront où ils veulent. N’est-ce pas ? Ceux qui veulent l’embarquement, nous leur donnerons ce bateau.

La vidéo a fait réagir : le tribunal de Grande Instance de la province de Bujumbura a condamné Melchiade Nzopfabarushe à trois ans de prison ferme et une amende de 300 000 francs burundais (140 euros). Il a été notamment accusé de "menace d’attentat contre des personnes" et de "faux bruits de nature à porter atteinte à la sécurité intérieure de l’État".

Celui qui appelle à voter ‘non’ "il faut l'arrêter et nous l'amener"

Pour autant, de nombreuses autres vidéos, moins violentes dans les propos mais tout aussi claires, ont circulé ces dernières semaines. 

Dans celle-ci par exemple où on voit Révocat Ruberandinzi, chef local du CNDD-FDD dans la province de Muyinga, dans le nord du pays, qui explique :

Si vous avez suivi le message (du président) celui qui va à l'encontre de ce projet aura franchi la ligne rouge. Ce qui veut dire qu'il aura dérapé de la ligne blanche, celle des enfants de Dieu. Il aura quitté la ligne des saints. On vous demande donc d'être nos observateurs dans vos quartiers et sur vos collines. […] Il faudra les surveiller chaque instant et partout. Celui qui sera pris en train d'enseigner de voter non, il faut l'arrêter et nous l'amener. "Si tu enseignes à quelqu'un de voter 'non', gare à toi !

Dans la première partie, le membre du CNDD-FDD dit : "Ainsi, on nous a envoyé, pour aller enseigner de voter "Oui ". On vous a dit comment il faut voter. Nous en profitons pour vous mettre en garde. Alors, il y a des gens qui ont d'autres instructions. Ils enseignent de voter "Non "ou de ne pas aller voter. Toi qui le feras ou si tu oses croire et appliquer ces instructions, si tu es surpris, même Dieu t'aura lâché".

Dans celle-ci, prise à Gatete dans le sud du pays mi-avril, un membre du CNDD-FD fait une réunion fait d’information. Dans la deuxième moitié de la vidéo, on l’entend dire :

Si tu enseignes à quelqu'un de voter par "non "et que le lendemain, il reporte ça, gare à toi ! Ils vont t'emmener, et nous nous en lavons les mains. N'y a-t-il personne qui est déjà venu enseigner de voter par Non ? (la foule répond : "il n’y en a pas !") Si, demain, il est surpris, et qu'il vous dénonce, on va vous emmener.

"En condamnant une des personnes, ils ont voulu faire un bouc-émissaire"

Si ces vidéos peuvent choquer par la violence des propos, elles ne constituent rien de nouveau selon plusieurs de nos Observateurs. Liévin (pseudonyme) est l’un d’entre eux.

À mon avis, il n'y a rien de surprenant dans ces vidéos. Les messages véhiculés ne sont rien de plus que des mots d'ordre émanant directement du leadership supérieur du parti [le président Nkurunziza a déclaré en décembre dernier que voter "non "au référendum, c’était "franchir la ligne roug"e, NDLR].

À part la vidéo de Melchiade Nzopfabarushe [dans la première vidéo, celui qui dit que les opposants finiront dans le lac Tanganyika, NDLR] qui était très violente, les autres c'est presque la routine. Il n’est pas rare de voir des vidéos où les Imbonerakure [ligue de la jeunesse du parti du président, NDLR] scandent des chants guerriers pour faire une démonstration de force.

Dans cette vidéo, des partisans du président Nkurunziza sont menés par Gad Niyukuri, le gouverneur de la province de Makamba, dans le sud du pays. On entend des membres des Imbonerakure scander : "Nkurunziza l'a saisi (le pays), et il ne lâchera plus. Les élections arrivent, celui qui aiguisera le rasoir, ce dernier va le raser en retour. Cet aigle l'a saisi (le pays) et il ne lâchera plus".

En condamnant Melchiade Nzopfabarushe, je suis convaincu qu’ils ont voulu montrer au monde que leur parti est "sain", faire une sorte de bouc-émissaire [interrogé par RFI, le porte-parole de la CNARED , coalition de l’opposition burundaise en exil, estime que la vidéo aurait été un prétexte pour se débarrasser de l’homme politique, NDLR]. Mais en revanche, tous les autres qui ont tenu des propos très polémiques n’ont pas été condamnés.

"Le kirundi est une langue très imagée, il y a parfois des exagérations dans la traduction"

Adelphe (pseudonyme) est un autre de nos Observateurs. Il nuance :

La langue burundaise, le kirundi, est parfois très imagée. D’un côté, il y a des références qui sont clairement de l’ordre de la menace [en octobre dernier, le président du Sénat, Révérien Ndikuriyo, a appelé les élus locaux à "travailler "(kora) avec les forces de sécurité. Le mot "travailler "en kirundi fait référence au lexique utilisé au Rwanda voisin avant le génocide des Tutsis en 1994, NDLR].

Mais de l’autre, il y a parfois beaucoup d’exagération, notamment venant de membres de l’opposition en exil, qui traduisent mal les propos qu’on entend dans les vidéos. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit aussi d’une guerre de communication en ligne.

La ministre de la Justice "pas au courant" de la plupart des vidéos

Contactée par France 24, Aimée Laurentine Kanyana, ministre de la Justice du Burundi, dit ne pas avoir connaissance de la plupart de ces vidéos, à l’exception de la première, celle de Melchiade Nzopfabarushe, dont elle condamne les propos. Elle ajoute :

Dans le cas de Melchiade Nzopfabarushe, le procureur a pris la responsabilité de se saisir du dossier directement sur la base de la vidéo amateur et des témoignages concordants de personnes présentes ce jour-là. Pour tous les autres cas, je rappelle que chaque individu est libre de saisir le parquet et les autorités compétentes.

Que ce soit dans la période de la campagne électorale ou en temps normal, s’il y a des dérapages par rapport au langage, la loi est là et elle s’applique à tout le monde.

La ministre a affirmé qu’elle visionnerait les vidéos, et qu’elle transmettrait à la rédaction des Observateurs de France 24 si de nouvelles enquêtes sont ouvertes.