Le lac Nokoué est un vrai garde-manger pour le Bénin, mais il est mal géré : une pêche abusive y est pratiquée, ce qui impacte l’activité économique mais aussi l’écosystème. Il connait par ailleurs plusieurs types de pollutions, dont celle des jacinthes d’eau, une plante hyper invasive, qui menace les revenus des riverains. Mais avec leurs ONG, nos Observateurs se mobilisent et commencent à faire changer les choses, notamment grâce à leurs images. Notre journaliste Corentin Bainier est allé à leur rencontre.
Notre reportage Ligne Directe est ici :
"Un travail de lobbying par l'image"
Il a suffi d’une phrase pour décider de ce reportage : la première fois que nous avons contacté Arnaud Adikpeto, de l’ONG Bees, il nous a dit : "Avec un simple rapport, peut-être que notre alerte n’aurait pas été prise en considération, mais nous avons donné aux autorités l’opportunité de d’évaluer les risques grâce à des visualisations aériennes et des cartographies établies par nos drones". Des activistes qui ne se contentent pas de dénoncer, mais apportent aux autorités des preuves en images : le travail de Bees, qui utilise des drones pour documenter la surpêche et la pollution du lac Nokoué, était une excellente preuve que la mobilisation citoyenne peut changer les choses.
En se rendant sur le lac Nokoué, la première chose qui frappe est de voir à quel point il est connecté aux aires urbaines : juste après la route nationale qui traverse Cotonou, Abomey-Calavi et Porto-Novo – les trois principales villes du Bénin - il suffit de parcourir quelques centaines de mètres pour passer de la ville bourdonnante, son trafic incessant, ses échoppes de tout et de rien, à un embarcadère. Les trois métropoles dépendent logiquement beaucoup du lac : il fournit par exemple la moitié des ressources halieutiques de Cotonou.
Des parcs à poisson sur le lac Nokoué.
Le problème, c’est que ces ressources ont commencé à diminuer : entre 2010 et 2015, la quantité de poissons récoltée est passée de plus de 26 000 tonnes à 24 000 tonnes. En cause notamment, la surutilisation de parcs à poisson, les "acadjas" en langue fon, qui attirent tous les poissons du lac ou presque, et donc le dépeuplent. Ces parcs, qui occupent de larges espaces, obstruent par ailleurs la navigation. Ils ont également un impact sur la biodiversité : les branchages qui les constituent sont pris directement dans la mangrove, alors qu’elle est une zone de reproduction des poissons et de ressources pour de nombreux oiseaux migrateurs.
La mangrove est coupée pour faire les acadjas.
Les images doivent déboucher sur une réglementation
Le phénomène de surpêche était visible, connu de tous, mais les autorités ne réagissaient pas. L’ONG de notre Observateur s’est demandé pourquoi, et a compris que le capturer en image pourrait peut-être changer les choses. Depuis que Bees a montré ses images à la Direction de la production halieutique (DPH) en 2017, les saisies de filets des parcs à poisson se sont accélérées. Et les décrets d’application d’une loi-cadre de 2016 ne devraient pas tarder. Ils doivent règlementer les activités sur le lac Nokoué : à terme, il faudra déposer une demande d’exploitation pour avoir un parc à poisson, des zones où ils pourront être installés seront délimitées, des couloirs de navigation seront tracés.
Si notre Observateur a réussi son pari, c’est aussi qu’il a trouvé en Daouda Aliou, un fonctionnaire de la DPH, le bon interlocuteur : "ce qui est essentiel, c’est qu’il maitrise vraiment le sujet de la pêche sur le lac, il sait de quoi on parle", dit Arnaud.
Sensibiliser aussi les riverains
Le travail de lobbying par l’image de l’ONG Bees est essentiel : comme nous l’a montré Arnaud, des pêcheurs traditionnels gagnent de moins en moins d’argent et certains sont obligés de quitter leur activité faute de poissons. Beaucoup deviennent chauffeurs de taxi-moto, le principal moyen de transport dans les métropoles béninoises.
Mais changer les pratiques sur le lac Nokoué ne requiert pas seulement de convaincre les autorités. Il faut aussi changer les mentalités. Arnaud Adikpeto passe son temps sur le terrain avec son drone. Mais dès qu’il rencontre des riverains, il échange avec eux : à ceux qui vivent sur la lagune de Cotonou, il explique l’importance d’arrêter de jeter les déchets dans l’eau ; à ceux qui vivent près de la mangrove, l’importance d’arrêter de la détruire. Il tente tant bien que mal de replacer chaque chose dans une perspective globale, pour faire comprendre qu’une addition de petits efforts personnels peut profiter à tous. C’est un travail considérable, alors qu'ici, beaucoup semblent se satisfaire de vivre de leur seule petite entreprise, quelle que soit l’activité.
Fait accompli
Montrer les choses aux autorités, c’est aussi ce que fait notre autre Observateur, Donald Houessou. Pas en images mais en les mettant devant le fait accompli : avec son ONG Aced il a démarché des communes lacustres pour trouver 150 maraichers volontaires pour développer avec lui des techniques de ramassage et de revalorisation de la jacinthe d’eau. Ils ont su transformer une contrainte majeure en un atout de taille : grâce à cette activité, les maraichers gagnent mieux leur vie. Son initiative a suscité l’intérêt de plusieurs autres communes : il y a donc de bonnes chances qu’elle fasse des émules, et donc que d’autres riverains en profitent.
Les maraîcehrs ramassent les jacinthes d'eau.
Avec les résultats qu’ils obtiennent, nos Observateurs montrent qu’on peut améliorer le quotidien des plus démunis, y compris dans un pays où beaucoup reste encore à faire en terme de développement. Des démarches forcément inspirantes, alors que les administrations en Afrique subsaharienne sont souvent critiquées pour leur manque de réactivité.