Près d’Agadir, des chiens tués à l’approche de l’arrivée d’une commission de la FIFA
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Depuis une semaine, les autorités abattent des chiens errants à Tamraght, Taghazout et Aourir, trois stations balnéaires voisines d’Agadir, au Maroc. Vidéos et images à l’appui, les résidents du village dénoncent un massacre organisé, qui serait, selon eux, lié à l’arrivée prochaine d’une commission de la FIFA.
Depuis la nuit du 5 au 6 avril, une trentaine de chiens ont été abattus à Tamraght, Aourir et Taghazout, trois villages très fréquentés par les touristes et situées respectivement à 15 et 20 kilomètres d’Agadir, dans le sud-ouest marocain.
“On est passé devant une benne à ordure remplie de chiens morts”
Emma B. (pseudonyme), habite depuis cinq ans dans le village de Taghazout. La nuit du 7 au 8 avril, elle a été réveillée par des tirs.
À 1h20 du matin, j’ai reçu un message Facebook d’un ami qui me disait entendre des tirs de fusil devant chez lui. Je l’ai rejoint. En arrivant près de chez lui, au niveau de la plage Panorama [à l’entrée du village, NDLR], j’ai aperçu des hommes en uniforme. C’était des chasseurs, accompagnés de gendarmes et du caïd du village. Un des chasseurs a ensuite tiré sur un chien endormi. C’était le chien du gardien du parking, très connu des locaux. Il s’est ensuite attaqué à d’autres chiens errants. On aurait cru que les chasseurs prenaient plaisir à tuer ces animaux : ils souriaient et riaient entre eux."
Vidéo de l'abattage de chiens errants, à Taghazout, le 7 avril 2018. Vidéo de notre Observatrice.
Vidéo de l'abattage de chiens errants, à Taghazout, le 7 avril 2018. Vidéo de notre Observatrice.
Nous nous sommes ensuite rendus à Tamraght, où nous sommes passés devant une benne à ordures avec pleins de chiens morts. Ils étaient pourtant tous étiquetés comme vaccinés. Les chiens errants vaccinés étant reconnaissables par une étiquette sur l’oreille."
Photo du pick-up des chasseurs, stationné à Taghazout le 9 avril 2018. Photo de notre Observateur.
A gauche, un chien errant, rescapé de l'abattage. Photo de notre Observatrice.
Photo d'un autre chien errant, touché par une balle à l'oreille. L'étiquette montre qu'il était vacciné. Photo de notre Observatrice.
“Aidés par les gendarmes, les chasseurs m’ont confisqué mon téléphone”
Chadi Y. (pseudonyme) a lui aussi assisté aux tirs de fusil à Taghazout. Alors qu’il essayait de filmer la scène, un agent de la gendarmerie municipale lui a confisqué son téléphone.
Avec d’autres habitants, nous avons essayé de protéger les autres chiens. J’ai voulu m’adresser aux chasseurs, les empêcher de continuer. Un gendarme m’a d’abord conseillé de m’écarter. J’ai donc voulu filmer discrètement ce qu’il se passait, en les suivant. Les chasseurs paradaient dans les rues avec leurs fusils. Mais au bout de quelques minutes, un des gendarmes m’a repéré. Les chasseurs m’ont plaqué au sol et ont saisi mon téléphone. Aidés par les gendarmes, les chasseurs ont effacé toutes mes images et ne m’ont rendu le téléphone qu’au moment de leur départ. Ils m’ont signifié que je n’avais pas mon mot à dire, l’action ayant été organisé par le wali (préfet).”
“Les autorités ont tout sauf intérêt à ce que cette chasse aux chiens se sache”
Après le 7 avril, certains habitants se sont regroupés sur Facebook afin de de suivre les chasseurs, protéger les chiens restants et faire pression sur les autorités, à l’image d’Emma B.
Nous avons créé un groupe Facebook de 70 personnes pour nous tenir au courant de ce qu’il se passait et communiquer autour de l’affaire. Agadir est une ville touristique et balnéaire, donc les autorités ont tout sauf intérêt à ce que cette chasse aux chiens se sache.
Pendant une semaine, nous avons vu le même groupe patrouiller : un pick-up, 20 chasseurs, le caïd et un fourgon de la gendarmerie municipale. Ils procédaient par étapes : les chasseurs tuaient d’abord une dizaine de chiens. Puis les gendarmes et autres agents municipaux s’occupaient du nettoyage. Lorsque nous avons essayé d’intervenir de nouveau, ils nous ont écartés et ont menacé de nous arrêter pour état d'ivresse sur la voie publique.” [Au Maroc, quiconque trouvé en état d’ivresse dans la rue est passible d’un emprisonnement de six mois et d’une amende. Lors de manifestations, les forces de l’ordre utilisent souvent cette menace pour dissuader les contestataires, NDLR.]
Des associations de quartier mobilisées
Yara B. (pseudonyme), habite le village de Tamraght. Depuis plusieurs années, elle tente, avec d’autres habitants, de venir en aide aux chiens errants. Selon elle, les autorités n’ont pas respecté un accord signé en novembre 2016 entre les associations locales et la wilaya d’Agadir. Celui-ci prévoyait de protéger les chiens errants, en les vaccinant au lieu de les abattre. Les chiens munis d’une étiquette à l’oreille pouvaient donc être préservés, car vaccinés.
Face aux accusations, un membre du bureau communal d’hygiène à Agadir, interrogé par le média marocain “La Dépêche”, a toutefois déclaré qu’il s’agirait de "faux témoignages" et que les chiens “ n’ont pas été abattus” mais “ capturés pour être stérilisés, comme cela est fait quotidiennement”.
Ce n’est pas la première fois que le Maroc est secoué par une affaire d’abattage de chiens. En 2016, une vidéo de 7 minutes montrait la mise à mort de chiens errants par les services de la commune de Ksar El Kébir, au nord du Maroc.
"C’est plus “clean” d’accueillir une compétition sans chiens errants"
Selon certains habitants, l’arrivée d’une commission de la FIFA, dans la région d’Agadir, les 17 et 18 avril prochains serait à l’origine de cette opération. Le royaume, candidat au Mondial de 2026, est en compétition avec le Mexique, les États-Unis et le Canada. La commission est censée déterminer si le pays est capable ou non d’accueillir une telle compétition.
C’est l’avis d’Amira O. (pseudonyme), commerçante à Taghazout.
Lors de chaque grand évènement sportif, les communes marocaines cherchent à montrer une image exemplaire. Le Maroc est en course face au Mexique pour accueillir la Coupe du monde 2026, il entre donc en course contre les chiens ! Et si ce ne sont pas les chiens, ce sont les mendiants. Ils veulent nettoyer la région, parce que c’est plus “clean” d’accueillir une compétition sans chiens errants....”
À la suite des récentes opérations, une pétition a été mise en ligne le 9 avril, appelée “Stop au massacre des chiens errants”. Elle a déjà récolté plus de 14 000 signatures.
Contacté par la rédaction des Observateurs de France 24, la préfecture de la région de Souss-Massa, n’a pas donné suite à nos questions. Nous publierons leur réponse si elle nous parvient.