Côte d'Ivoire

Dans les cimetières d'Abidjan, enterrements clandestins et sépultures à l'abandon

Tombes dans le cimetière de Yopougon, commune de l'ouest du district d'Abidjan. Photo prise par notre Observateur.
Tombes dans le cimetière de Yopougon, commune de l'ouest du district d'Abidjan. Photo prise par notre Observateur.
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Broussailles, déchets, tombes vandalisées : les cimetières de la capitale économique ivoirienne sont devenus, selon certains locaux, des terrains laissés pour compte. Photos à l’appui, un de nos Observateurs à Abidjan tente de se mobiliser contre cet abandon généralisé. En cause : le prix des concessions, qui contraint certaines familles à enterrer clandestinement leurs proches, et le manque de moyens investis par les autorités, expliquent nos Observateurs.

Cinq cimetières sont répartis dans le district autonome d’Abidjan, dans les communes de Koumassi, Port-Bouët, Williamsville, Yopougon et Abidjan même. Les cimetières dépendent du ministère de l’Environnement et du Développement durable, qui a en charge leur gestion et leur entretien. Une gestion que Hamadou Sawadogo, habitant d’Abidjan, juge insuffisante. À la mort de ses parents, il y a douze ans, il a constaté l’état de délabrement des cimetières. Afin de les sécuriser et de les nettoyer, il a créé en 2013 l'ONG Hamed Plus.

“Les cimetières sont devenus des zones de non-droit”

 

Il y a deux types d'altération. D’une part, des dégradations qu’on pourrait qualifier de naturelles : des cimetières envahis par les broussailles, des pierres tombales effondrées en raison du manque d’entretien.

Des tombes dans le cimetières de Yopougon. Photo prise par notre Observateur.

 

Et puis il y a les dégradations supplémentaires : les profanations, les exhumations de corps ou encore la superposition de corps dans une même tombe… C’est dû au fait que beaucoup de familles choisissent, faute de moyens, d’enterrer leurs proches de manière clandestine.

Au final, le résultat reste le même. Ce sont des zones totalement laissées pour compte, qu’on pourrait qualifier de non-droit. Il y a très peu de clôtures et de gardiens. Au final, il y a plus de voleurs et de vandales qui y passent, que les familles des défunts."

Des déchets, à l'intérieur du cimetière de Koumassi. Photo prise par notre Observateur.

 

Dans deux communiqués depuis février 2018, Robert Beugré Membé, gouverneur du district autonome d’Abidjan, affirme que les cimetières sont gérés par des concierges coordonnant leur entretien. Il assure qu’une police municipale spéciale est en charge de sécuriser les mouvements à l’intérieur des cimetières. Hamadou, de son côté déplore le manque de personnel.

"Avec l'état de nos cimetières, comment pouvons-nous encore dire à nos morts de reposer en paix ?"

 

Je suis parti de zéro. Dans un premier temps, j’ai dû me débrouiller avec du matériel de récup'  : d’abord des pelles, des râteaux et des machettes pour pouvoir dégager les broussailles et les branches des tombes dans le cimetière de Yopougon. Puis j’ai acheté des marteaux, du ciment et du bois pour construire un semblant de clôture et ce, avec mes ressources personnelles.

J’ai ensuite fait passer le mot à des amis, à des connaissances et nous avons organisé une première ronde en septembre 2014. Un jour, nous nous sommes retrouvés avec quelques bénévoles et nous sommes allés au cimetière de Yopougon. On a bricolé des clôtures, puis on est passé au nettoyage. Chacun s’est chargé de débarrasser, à la machette, les broussailles et les herbes qui parasitaient les tombes. Pour nettoyer, nous avons utilisé les moyens du bord : des râteaux, du matériel de jardinage. C’est un travail laborieux car sans cotisation, nous pouvons difficilement nous réunir de manière hebdomadaire. Résultat, les efforts de nettoyage que nous fournissons une journée peuvent facilement disparaître en quelques jours. C’est un cercle vicieux."

Vidéo d'une journée de nettoyage au cimetière de Yopougon, en 2014. Vidéo prise par notre Observateur.

Nettoyage à la pelle d'une tombe au cimetière de Yopougon. Photo prise par notre Observateur.

"Les autorités ont déserté"

Cinq ans après sa création, l’ONG de Hamadou n’a pas réussi à recevoir de financements, ni d’appui concret venant de la direction de l’Environnement et du Développement durable.

 

En parallèle de l’association, je travaille comme chef de sécurité dans une entreprise. Le rythme de nos initiatives a donc varié en fonction de mes propres revenus, puisque nous ne recevons aucun fonds de l’État ou de la municipalité. Les autorités ont beau saluer nos initiatives, elles ne s’investissent pas sur le terrain."

"Certaines personnes sont enterrées dans la clandestinité avec la complicité des gardiens"

Notre Observateur à Abidjan, Souleimana Sanogo, a aussi constaté les dérives des autorités en charge de l’entretien sur place. Il les explique notamment par le montant des concessions funéraires. Pour un carré de concession, les familles de défunts payent une taxe entre 5 000 et 15 000 francs CFA. Si la concession n’est pas renouvelée après trois ans, les corps sont déterrés et mis dans des fosses communes afin d’utiliser le terrain pour d’autres enterrements.

 

Les trois cimetières de Williamsville, de Yopougon et d’Abobo sont gérés par des gardiens à l’entrée. Ces derniers vérifient les documents nécessaires [attestation du paiement de la taxe de concession, papiers d’identité] au passage de chaque corbillard. Malgré ce dispositif, certaines personnes sont enterrées dans la clandestinité, avec la complicité des gardiens des lieux et des chauffeurs de conducteurs de corbillards. C’est une sorte de réseau. Par exemple, pour enterrer à Dabou [à quelques kilomètres d’Abidjan], le chauffeur du corbillard va payer le gardien du cimetière. Un enterrement clandestin se déroule de la manière suivante : le chauffeur du corbillard soudoie le gardien afin d’entrer à l’intérieur du cimetière. Une fois rentré, il dépose le corps et s’en va. La famille attend quelques minutes et entre discrètement dans le cimetière, soit en soudoyant de nouveau le gardien du cimetière, soit en franchissant clandestinement les clôtures. Ils peuvent ensuite enterrer le corps du défunt. Parfois, les gardiens leur précisent de ne pas creuser trop profond, au risque de tomber sur un autre corps."

Selon le directeur chargé de l’environnement et du développement durable, Yao Kouadio, cité par la presse locale, 198 agents de la direction de l’environnement et du développement durable sont censés participer à la gestion des cimetières. Il précise : "Nous pouvons garantir la sécurité, mais nous ne pouvons entretenir les sépultures".

Contactés par la rédaction des Observateurs de France 24, Yao Kouadio ainsi que Robert Beugré Membé, le gouverneur du district d’Abidjan, n’ont pas souhaité répondre à nos questions. Nous publierons leurs réponses si elles nous parviennent.