Dix ans des Observateurs : nos journalistes racontent l'histoire qui les a marqués
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Le site internet des Observateurs de France 24 fête ses dix ans, et pour l’occasion nous avons souhaité revenir sur les moments marquants de notre histoire. Notre media existe avant tout par son réseau d’Observateurs, mais les articles de notre site et nos émissions sont le résultat du travail d’une équipe de journalistes dédiés à Paris. Chacun revient sur un sujet qui l’a marqué au cours de cette décennie d’info participative en image amateur.
Alexandre Capron, journaliste, présentateur de l'émission - La vidéo du cercueil volant en Côte d'Ivoire
Cette vidéo a été tournée en 2014 à Cosrou par Julien Appia, Observateur en Côte d’Ivoire. C’est l’une des vidéos les plus impressionnantes sur laquelle j’ai travaillé : selon la croyance, le cercueil est "guidé" par le défunt, et va désigner la personne responsable de sa mort. Cette pratique est en fait une façon détournée de lyncher un habitant, parfois accusé de sorcellerie, ou de régler ses comptes sous couvert de pratique mystique. La vidéo est très forte et c’est d’ailleurs la plus vue de l’histoire de la chaine YouTube des Observateurs, avec 1,5 millions de vue.”
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Sarra Grira, journaliste - Les malversations du parti de Ben Ali (2011)
Cette enquête a été menée dans le sillage du soulèvement qu’a connu la Tunisie entre décembre 2010 et janvier 2011. Cette fois, la partie se jouait sur le sol français. L’investigation a permis de révéler des archives inédites récupérées par France 24 –dont nous publions quelques extraits dans l’article- qui mettaient en lumière le fonctionnement de la cellule du parti du dictateur Ben Ali à Paris, les mécanismes de corruption et de surveillance de l’opposition. Le papier avait alors fait la Une du site de France 24, dans les deux langues.
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Chloé Lauvergnier, journaliste - L’interminable périple des migrants haïtiens et cubains (2016)
En juillet 2016, un internaute nous a envoyé des vidéos montrant des migrants traverser une forêt pour se rendre aux États-Unis. Le point de départ d’une vaste enquête sur le périple effectué par de nombreux Cubains et Haïtiens pour rejoindre ce pays, via une dizaine d’États latino-américains dans certains cas, souvent au péril de leur vie.
J’ai notamment contacté une Cubaine qui s’apprêtait à traverser la forêt du Darién, entre la Colombie et le Panama, où des groupes armés se livrent au trafic de drogues et d’être humains. Elle m’a finalement re-contactée une fois arrivée saine et sauve au Panama après plusieurs jours. Ça a été un immense soulagement pour moi. J’ai ensuite continué à la suivre jusqu’à son arrivée aux États-Unis. Cette enquête m’a permis de constater, une fois de plus, les risques que les migrants étaient prêts à prendre pour rejoindre un pays, où qu’ils soient dans le monde.
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Corentin Bainier, journaliste, chef d’édition - Le coupeur de main de Gao… découpé ?(2013)
En janvier 2013, le nord Mali est liberté de l’occupation des milices islamistes avec l’intervention de l’armée française. C’est l’heure des règlements de compte, et un matin, plusieurs Maliens nous envoient une vidéo d’un homme… coupé en deux, gisant au milieu de la route, accusé d’appartenir au MUJAO (Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest) et d’avoir coupé les mains de ceux qui ne respectaient pas la charia pendant l’occupation. La vidéo circule visiblement beaucoup au Mali et il nous semble donc essentiel de la vérifier. Deux détails permettent d’établir que la scène est un accident de la route au Nigéria : l’uniforme des forces de sécurité et l’inscription sur la couverture qu’ils utilisent.
C'est l'une de nos premières enquêtes de vérification d’images, qui me permet de réaliser que l’image peut à elle seule contenir des réponses si on la regarde de près. Et c’est aussi une des premières enquêtes du genre initiée après que l’image nous ait été signalée par des internautes.
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Dorothée Myriam Kellou, journaliste - Total licencie ses employés au Yémen… par SMS (2015)
L'article qui m'a le plus marqué est l'enquête que j'ai faite sur le licenciement par SMS, en pleine guerre au Yémen d'employés de Total. L'enquête n'était pas facile à mener dans un pays en guerre mais j’ai fini par avoir accès à des documents qui prouvaient le licenciement sans ménagement de ces employés. J'ai été sensible à l'engagement de ces employés qui se battaient pour leurs droits en pleine guerre et ont pris le risque de dévoiler leur identité pour faire respecter leurs droits. L'article posait aussi la question de la responsabilité d'un groupe français vis à vis de ces employés yéménites et de l’intermédiaire qui les avait recrutés
Les Observateurs ont véritablement un rôle à jouer pour documenter des cas de violations du droit et davantage encore dans des pays aujourd'hui quasi inaccessibles aux journalistes étrangers.
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Gaelle Faure, journaliste - 969, les chiffres qui terrifient les Rohingyas (2013)
Je repense souvent à cet article écrit en 2013 sur la propagande anti-musulmane en Birmanie, sujet d’autant plus glaçant au vu de tout ce qui s’est passé par la suite pour la minorité musulmane Rohingya. A l’époque, des Observateurs musulmans habitant à Rangoun et Naypyidaw m’avaient expliqué qu’en l’espace de quelques mois, ils s’étaient retrouvés ostracisés par leurs amis bouddhistes suite à la campagne “969”. Celle-ci avait été lancée par un moine extrémiste du nom de Wirathu, désormais tristement célèbre pour son rôle dans l’exode des Rohingya. Et ne manquez pas le documentaire saisissant de Barbet Schroeder, “Le Vénérable W.”
>> LIRE SUR LES OBSERVATEURS : 969 : ces trois chiffres qui terrifient les musulmans de Birmanie”
Derek Thomson, rédacteur en chef – Dans les cafés de Téhéran, l’anglais est à la mode (2016)
Les Observateurs, ce sont aussi des sujets plus “légers”, des sujets dont les gens parlent chez eux, au café, mais qui ne font que rarement la Une des médias. Un de nos Observateurs en Iran nous a ainsi parlé de cafés à Téhéran qui avaient commencé à utiliser des mots anglais dans leurs menus, plutôt que du persan. Le "shirmoz" perse traditionnel devient ainsi 'banana smoothie' (smothie banane), et cela peut suffire à en tripler le prix. Bien sûr, ce sujet ne relève pas d’un enjeu politique capital… mais cela révèle quelque chose d’intéressant sur l’Iran et la mondialisation : beaucoup de jeunes en Iran – comme partout dans le monde- trouvent que l’anglais est une langue "cool". Et ils boivent des mojitos mais bien entendu, en version "mocktail", c’est-à-dire sans alcool.
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Maeva Poulet, journaliste - Un très jeune migrant bloqué à Lesbos dans le froid glacial (2016)
Un jeune Guinéen nous avait contactés sur Facebook en novembre 2016. Bloqué dans le centre de rétention de Moria, sur l’île grecque de Lesbos, Marc (pseudonyme) m’avait envoyé plusieurs vidéos illustrant les conditions d’hébergement dans le camp. Ces images montraient des tentes, collées les unes aux autres, sur le point de s’envoler sous les bourrasques. S’il était pour lui légalement impossible de sortir du camp, Marc m’avait assuré qu’il ne ne passerait pas l’hiver sur l’île, de peur de “mourir de froid”. Il m’a rappelé une semaine plus tard, il avait réussi à rejoindre Athènes. Nous avons alors fait une interview sur Skype avec lui, et découvert son visage : il était beaucoup plus jeune que ce que nous imaginions, peut-être 18 ans, peut-être moins. Nous avons tenté de l’aider à régulariser sa situation, en contactant notamment l’OIM. Nous avons finalement perdu le contact avec Marc. Cette histoire m’a beaucoup touchée.
>> LIRE SUR LES OBSERVATEURS : Migrants bloqués dans le camp grec de Moria, à Lesbos : "On meurt de froid"
Ershad Alijani, journaliste - La lapidation de Rokhashana (2015)
Malheureusement, nous recevons beaucoup d’images tristes et violentes chaque jour aux Observateurs. Des tortures, des lynchages et pire encore. Il faut pourtant les regarder et les analyser pour savoir s’il faut écrire dessus. Ce fut le cas de cette terrible vidéo, que je n’oublierai jamais. Une jeune Afghane, Rokhshana, a été tuée par lapidation le 25 octobre 2015. Sa voix appelant Dieu à l’aide, a longtemps hanté mes nuits. Ce même Dieu au nom duquel elle a été assassinée dans un acte d’une barbarie absolue.
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Catherine Bennett, journaliste - Les fausses cliniques d’avortement aux États-Unis (2016)
La bataille entre les pro-choix et les anti-avortement aux Etats-Unis est plus qu’un débat, c’est une bataille rangée. Plus j’ai fait des recherches sur ce sujet, plus j’en ai appris sur les frontières floues entre des organisations religieuses et les soi-disant "fournisseurs de soins ", et leur source de financement (souvent venant des caisses de l’État fédéré). Ce sujet suscite des débats enflammés, beaucoup de passions, et écrire dessus a été un vrai exercice d’objectivité journalistique, pour bien comprendre le point de vue de chacun. J’ai été choquée de voir à quel point certaines pratiques des organisations anti-IVG étaient sournoises, et à quel point les lois fédérales protègent peu les femmes vulnérables. Et ça se passe dans l’Amérique d’aujourd’hui.
>> LIRE SUR LES OBSERVATEURS : Ces fausses cliniques d’avortement qui trompent les femmes aux États-Unis
Liselotte Mas, journaliste - Un viol public au Kasaï
Le 27 septembre 2017, sur notre messagerie Facebook, j’ai repéré un message assorti d’une vidéo qui montrait des miliciens de la mouvance Kamuina Nsapu en train de forcer une femme à être violée en public, dans le Kasaï, en République Démocratique du Congo. Les coups, les miliciens en joie, la foule forcée d’assister à ce funeste “spectacle” nous ont profondément choqués.
Malgré l’isolement des populations, j’ai pu documenter en détail cet acte atroce. Mais rien n’aurait été possible sans l’aide de nombreux témoins, associations et confrères journalistes, c’est là toute la force de notre réseau d’Observateurs.
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Ségolène Malterre, journaliste chef d'édition : Les mutilés de la crise postélectorale en Côte d'Ivoire
En 2011, nous avons couvert intensément la crise post-électorale qui a déchiré la Côte d'Ivoire. Chaque jour, de nouvelles images amateurs nous parvenaient témoignant de la dégradation rapide de la situation. Celles de tirs sur un marché à Abidjan. D'exactions à l'ouest du pays. Nous suivions quotidiennement ce qui devenait alors des combats. Tous les jours, des Observateurs témoignaient, parfois terrés chez eux.
Deux ans après, alors que la situation est relativement apaisée, que d'autres pays font désormais la Une de l'actualité internationale, je reçois le très court message d'un certain Mustapha. Enrôlé dans les forces pro-Ouattara, il a perdu sa jambe au cours des combats et veut raconter son histoire, celle d'un homme sacrifié, oublié, en colère. Après des heures de discussions, nous recoupons chaque détail de son témoignage, poignant et précis. Il reste fier mais porte en lui les espoirs déçus d'une jeunesse ivoirienne manipulée. Quelques mois plus tard, je partirai le rencontrer pour un Ligne Directe sur les anciens combattants ivoiriens et le défi urgent de leur réintégration.
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La rédaction des Observateurs