PAPOUASIE-NOUVELLE-GUINÉE

L'enfer des demandeurs d'asile à Manus : "On ne nous traite pas comme des humains"

Photos des destructions dans le camp de Manus et du déplacement des demandeurs d'asile publiées sur Twitter.
Photos des destructions dans le camp de Manus et du déplacement des demandeurs d'asile publiées sur Twitter.
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Un camp de demandeurs d'asile sur l'île de Manus, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, a été évacué par la force vendredi 24 novembre. Notre Observateur était sur place. Inquiet pour sa sécurité dans le nouveau centre où il a été placé, il raconte l’angoisse dans laquelle vivent ces demandeurs d’asile.

L’Australie mène depuis des années une politique migratoire extrêmement stricte en refoulant systématiquement toutes les embarcations de migrants qui tentent d’approcher ses côtes. Tous les clandestins sont placés dans des camps de rétention sur les îles de Manus, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, de Nauru, un micro-État insulaire du Pacifique, ou sur Christmas Island, un territoire australien dans l'océan Indien.

Le 31 octobre dernier, le pays a été contraint de fermer son centre de rétention à Manus, jugé anticonstitutionnel par la Cour suprême de Papouasie. Mais un groupe de demandeurs d’asile qui y résidait a refusé de partir. Ces derniers craignaient que ce déménagement n’aggrave l'impasse administrative dans laquelle ils se trouvent et se montraient préoccupés pour leur sécurité dans le nouveau centre, situé près de la ville de Lorengau. Cette année, les violences à l’encontre des migrants se sont multipliées sur l’île de Manus. Certains ont même été volés ou attaqués à la machette alors qu’ils se trouvaient dans des lieux publics.

La police de Papouasie-Nouvelle-Guinée avait alors annoncé l’opération "Helpim Friends" ["Aidez les amis", dans le dialecte de Papouasie-Nouvelle-Guinée], qui promettait de vider le centre sans recourir à la force. Mais l’intervention s’est révélée plus musclée que prévue. Sur les réseaux sociaux, plusieurs vidéos et photos montrant des policiers armés de barres métalliques ont été publiées dès vendredi 24 novembre, le jour de l’évacuation. Plusieurs résidents ont également rapporté que la police avait volé ou détruit leurs biens, notamment leurs téléphones portables, et saccagé le mobilier de manière à rendre le camp inhabitable.

Le centre de détention après l’opération d’évacuation. Photos envoyées par notre Observateur.

Selon le ministre australien de l'Immigration, Peter Dutton, les récits pointant des abus commis par les forces de sécurité à l’encontre des demandeurs d’asile sont "inexacts et exagérés". La police australienne a par ailleurs déclaré ne pas avoir participé à l'opération d'évacuation, une version contredite par les témoignages des détenus du centre.

Compte rendu de l’évacuation par le journaliste, activiste et détenu iranien Behrouz Boochani.

Photo envoyée par notre Observateur montrant les destructions dans le camp de Manus après l’opération menée par la police de Papouasie-Nouvelle-Guinée.

"Les policiers sont revenus avec des barres de fer pour nous frapper"

Ezatullah Kakar, 25 ans, est un réfugié pakistanais détenu sur l'île de Manus depuis 2013. Vendredi 24 novembre, il a été forcé de déménager à West Lorengau Haus. Dans ce centre surnommé "West Haus", les demandeurs d'asile sont libres d'aller et venir, mais ne sont pas autorisés à quitter l'île.

Je suis désormais à West Haus dans un nouveau logement, mais il est encore en construction. Beaucoup de chambres ne sont pas prêtes et il n'y a pas de climatisation. Nous avons de l'eau, mais il n’y en a pas assez pour tout le monde. Du coup, bien sûr, les gens sont inquiets.

Photo du site encore en construction envoyée par notre Observateur.

 

Photo envoyée par notre Observateur montrant une salle de bain inondée, sale et inachevée dans le nouveau camp.

Nous savions que la police allait intervenir dans l’ancien camp. Nous avions protesté pendant 24 jours contre l’évacuation. Nous ne voulions pas de nouveaux logements et nous l’avons clairement dit aux services d’immigration australiens. Malheureusement, nous n’avons pas eu le choix.

Les policiers de Papouasie-Nouvelle-Guinée sont arrivés vers 7 h du matin jeudi et ont commencé à nous injurier. Derrière suivaient des agents australiens. Les gens pleuraient, nous sommes réellement épuisés par cette situation.

Dans mon enceinte, nous avons refusé de partir. Alors ils ont finalement quitté le lieux en nous assurant qu’ils reviendraient le lendemain. Nous n’avons pas fermé l’œil de la nuit. Le vendredi au matin, ils sont arrivés avec des barres de fer et ont commencé à nous frapper. Ils ont saisi nos téléphones et les ont détruits. Les policiers ont essayé de trouver le mien, mais je l’avais caché au préalable. Certains détenus ont reçu des coups de pied de la part des forces de l’ordre. J’ai réussi à me cacher. Je voyais mes amis se faire battre. Les policiers ont commencé à jeter tout le monde dans des bus. Nous avons alors décidé de tous partir car nous ne pouvions pas laisser certains partir et pas d’autres.

 

Photo d’un bus blindé emmenant les réfugiés vers le nouveau camp.

"Deux de mes amis ne supportaient plus la situation… ils se sont pendus"

 

Nous sommes maintenant dans le nouveau camp, mais les conditions d’hébergement sont les mêmes. Un de mes amis a été blessé et ils ne sont pas venus le soigner. Les autorités ne nous traitent pas comme des humains.

En quatre ans et demi, je n’ai jamais été pris en considération. Il y a deux mois, j’ai perdu deux amis. Ils se sont pendus à des arbres à l’extérieur du centre.

 

"La population locale est très agressive"

Qu’est-ce qu’il va se passer ? Pourquoi nous gardent-ils dans cette prison ? Nous ne pouvons pas partir parce que nous avons peur des habitants. Quand nous sommes arrivés dans le nouveau camp, il y avait environ neuf personnes qui protestaient contre notre présence. Nous n'avons pas de moyens de déplacement. Nous n'avons pas d'emploi. Dehors, c’est la jungle. La population locale est très agressive. On nous attaque. Et je ne veux pas me battre. Je ne rendrai jamais de coups.

Tim Costello, principal responsable de l'ONG World Vision, a pu se rendre sur place. "Je suis entré dans West Haus et je peux vous dire que c'est un chantier de construction, ce n'est pas fini", a-t-il déploré sur ABC Radio. "Il y a des engins de terrassement et des drains à ciel ouvert."

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