Carnet de reportage : plongée dans l'enfer du fentanyl, la drogue qui ravage le Canada
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A Vancouver, Brink et Joe se préparent à se shooter avec ce qu'ils pensent être de l'héroïne mais est de plus en plus coupé avec du fentanyl, un opioïde extrêmement dangereux.
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Le Canada et les États-Unis font face à une crise sanitaire sans précédent: des milliers de personnes sont tombées dans la dépendance au fentanyl, un opioïde qui peut être jusqu’à 50 fois plus fort que l’héroïne. Bilan: 20000personnes en sont mortes rien qu’en 2016 dans les deux pays.
Pour notre émission Ligne Directe, notre journaliste Derek Thomson s’est rendu à Vancouver, à la rencontre des usagers de cette drogue et de ceux qui essayent de les aider, alors que les autorités ont du mal à juguler le phénomène. ll livre ses impressions sur ce phénomène hors-norme et inquiétant.
Pour voir le reportage, cliquez sur la vidéo ci-dessous :
"C’est la drogue parfaite pour un dealer"
Dans le quartier de Downtown Eastside, à Vancouver, on sait qu’il y a un nouvel arrivage de drogue dans les rues quand on entend les sirènes. Le quartier, qui n’est qu’à quelques encablures des boutiques et des cafés du centre-ville, est un vrai marché ouvert pour tous les genres de drogues dures, comme le fentanyl.
Le fentanyl c’est la drogue parfaite pour un dealer : on peut la commander en ligne auprès d’une entreprise illégale en Chine, se la faire envoyer sous forme de pilules, les vendre telles quelles ou alors ajouter quelques miettes à de l’héroïne, des méthamphétamines ou de la cocaïne, et vendre le tout sans révéler la composition aux usagers. Ils vont adorer l’effet que ça va leur procurer et revenir chez le même fournisseur…
"Dieu sait ce que les gens prennent"
Sauf que ces usagers peuvent trouver la mort. Un dealer n’est pas du genre à prêter attention à la qualité de ce qu’il vend, et si une dose contient un petit peu trop de fentanyl, elle est vite mortelle. "Ça apparait dans la rue et Dieu sait ce que les gens prennent" dit notre Observatrice Sarah Blyth, qui a mis elle-même en place des salles de shoot pour que les usagers évitent les overdoses. Les équipes de sa "Overdose prevention society" analysent les drogues des utilisateurs et sont en mesure de dire si elles contiennent ou non du fentanyl. Mais en réalité, beaucoup de personnes qui fréquentent la salle prennent leur dose sans attendre le résultat.
Il y a des vieux utilisateurs assez âgés, comme Roy, 60 ans, habitué à l’effet euphorisant de l’héroïne. Ceux-là sont capables de tenir 12 heures entre deux doses. Quand l’analyse qu’il a faite en notre présence lui a révélé qu’il avait acheté de l’héroïne à 100 %, Roy a fait une petite danse, dit "yessss". Mais il y a aussi des usagers bien plus jeunes, comme Vinnie, 23 ans. Ce qu’ils aiment, eux, c’est la force brute de la drogue synthétique. Vinnie se shoote quand il sait que ce qu’il prend, c’est du fentanyl à 100 %. Il s’essuie le bras avec une compresse stérile, jette l’aiguille dans une poubelle spéciale, et immédiatement, bascule en arrière et semble perdre conscience. On sait qu’il n’est pas en overdose, parce que, lorsque Sarah lui demande si tout va bien, il répond avec un "oui", même s’il est à peine audible. Il se réveillera une demi-heure plus tard. Prêt pour une nouvelle piqûre. Les usagers du fentanyl ont besoin de se shooter toutes les deux heures.
"Les usagers de banlieue ont plus de chances de mourir"
Dans une overdose, l’usager perd conscience, s’arrête de respirer, devient blême. C’est ce qui arrive presque tous les jours à l’Overdose Prevention Society. L’équipe de Sarah administre alors calmement du Narcan, un médicament anti-overdose, et attend de voir si l’usager "revient". C’est toujours le cas : personne n’est mort depuis un an que la salle de Sarah existe. Ce sont les usagers qui vivent en banlieue, qui se shootent seuls, qui ont le plus de chances de mourir.
La salle de Sarah, qui reçoit près de 300 usagers par jour, fait partie d’une approche dite de "harm réduction"(réduction des risques sanitaire"), avec la conviction qu’il est plus réaliste de gérer l’addiction et de réduire les risques qui en découlent que d’essayer d’éradiquer l’usage de la drogue.
Le Narcan, aussi connu sous le nom de Naloxone, est un médicament de prévention des overdoses, distribué largement dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver. Les usagers l'ont à portée de main, pour sauver leurs amis lorsque ceux-ci montrent les symptômes de l'overdose.
La police de Vancouver tolère l’usage des drogues et le deal à petit niveau, elle se concentre sur les réseaux de crime organisé qui font circuler le fentanyl dans le monde entier.
Tous ceux à qui nous avons parlé à Vancouver – la police, les responsables politiques, les professionnels de santé, les chercheurs, les volontaires et les usagers – sont d’accord : l’approche de réduction des risques sanitaires est la plus réaliste, et la plus humaine. "Ça marchait, dit le sergent de police Bill Spearn, jusqu’à ce que le fentanyl arrive". Le nombre d’overdoses annuel a désormais doublé en Colombie Britannique. Entre janvier et août, 1 013 overdoses ont été fatales dans l’État canadien, alors que ce nombre est de 982 sur toute l’année 2016.