CHINE

Exposition jugée "raciste" en Chine : l’avis d’un visiteur africain

Exposition "This is Africa" au musée provincial du Hubei, dans l'est de la Chine. Photo prise début octobre par l'un de nos Observateurs.
Exposition "This is Africa" au musée provincial du Hubei, dans l'est de la Chine. Photo prise début octobre par l'un de nos Observateurs.
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Une exposition dans un musée chinois, intitulée "This is Africa" ("Voici l’Afrique"), a récemment déclenché une polémique, en raison d’une série de photos associant des Africains à des animaux. Jugées "racistes" par certains, ces photos ont finalement été retirées le 11 octobre, bien que le conservateur du musée réfute ces accusations. Retour sur cette polémique avec nos Observateurs – un Africain et un Chinois – dans le pays.

L’exposition a démarré le 28 septembre dernier, au musée provincial du Hubei, à Wuhan, le chef-lieu de la province du même nom, située dans l’est de la Chine. Une centaine de clichés de plusieurs photographes différents ont été montrés aux visiteurs.

L'exposition a démarré le 28 septembre. Photo postée par le conservateur du musée, Wang Yuejun.

 

Mais 12 clichés du photographe Yu Huiping mettant en parallèle des Africains et des animaux sauvages (singes, lion, girafe, etc.) ont suscité de nombreuses critiques, notamment au sein de la communauté africaine locale et sur les réseaux sociaux à l’étranger.

Certaines des photos ayant suscité la polémique. Photos prises au musée par l'un de nos Observateurs, début octobre.

La controverse est née à la suite d’un post publié sur Instagram par un internaute nigérian, qui a été effacé depuis. Au moins deux pétitions ont également été mises en ligne, réclamant l’annulation de l’exposition ou encore des excuses de la part du musée.

"Personne n’a envie de voir sa photo associée à un animal"

Franck W. (pseudonyme) est un Ivoirien vivant à Wuhan, qui s’est rendu à l’exposition début octobre.

Ces photos, où l’on voit des hommes et des animaux côte à côte, représentent seulement 10 à 15 % de l’exposition. Mais j’ai trouvé cela choquant car personne n’a envie de voir sa photo associée à un animal. En plus, il n’y avait aucune légende, aucune explication sous ces images. Du coup, je les ai prises au premier degré et je partage l’avis de ceux qui estiment que c’est raciste.

Je connais d’autres étrangers qui ont été choqués ici et qui aimeraient des excuses publiques de la part du musée. Mais ils n’ont pas forcément osé le dire car il n’y a pas vraiment de liberté d’expression en Chine. Du coup, on discute essentiellement sur WeChat.

Capture d'écran d'une vidéo tournée au musée par l'un de nos Observateurs, début octobre.

Photo prise au musée par l'un de nos Observateurs, début octobre.

La réponse du musée : une référence à la "tradition chinoise"

Face aux nombreuses accusations de racisme, le conservateur de l’exposition, Wang Yuejun, s’est défendu en indiquant que le photographe Yu Huiping s’était rendu de nombreuses fois en Afrique dans le cadre de son travail et qu’il adorait ce continent.

Il a ajouté que la série de photos faisait le parallèle avec la tradition chinoise du Zodiaque, qui associe les gens à des animaux en fonction de leur année de naissance. Ces animaux sont au nombre de 12 : rat, tigre, dragon, serpent, cheval, chèvre, coq, chien, etc. Il a précisé que comparer des hommes à des animaux était courant en Chine et que c’était souvent un compliment.

Il a assuré qu’il n’y avait donc aucune discrimination et que l’objectif était de célébrer la coexistence harmonieuse entre les hommes et les animaux en Afrique.

Photo postée par le conservateur du musée, Wang Yuejun.

 

Il a toutefois fait retirer les photos controversées le 11 octobre – alors que l’exposition était censée durer jusqu’au 17 octobre – afin de respecter le point de vue des Africains. Un point de vue divergent de celui des Chinois, s’expliquant par des "différences culturelles" selon lui. L’exposition n’est d’ailleurs plus mentionnée sur le site Internet du musée. En revanche, ce dernier n’a présenté aucune excuse publique.

"Je ne pense pas que ces photos étaient racistes"

Lu Haitao (pseudonyme) est l’un de nos Observateurs chinois, à Pékin.

Même si j’estime que l’on ne peut pas comparer des hommes à des animaux, je ne pense pas que ces photos étaient racistes. Selon moi, ce n’était pas l’intention du musée : il a vraiment voulu faire référence aux 12 animaux du Zodiaque, qui représentent le tempérament des gens.

C’est également l’avis des médias chinois. Certains ont rappelé que la Chine n’avait pas colonisé l’Afrique dans le passé, et que cela expliquait pourquoi le comportement des Chinois n’était pas forcément "politiquement correct", comparé aux Européens par exemple, puisque nous n’avons pas le même sentiment de culpabilité.

Ces explications n’ont toutefois pas convaincu notre Observateur Ivoirien.

"On a l’impression qu’il y a une sorte d’acharnement contre les Noirs ces derniers temps"

Même s’il est vrai que les hommes sont assimilés à des animaux dans le calendrier chinois, je pense que cette explication ne tient pas. En effet, certains animaux de l’exposition, comme la girafe, ne correspondent pas aux animaux du Zodiaque chinois…

Récemment, il y a également eu une publicité d’une marque de lessive chinoise, dans laquelle on voyait un Noir enfermé dans une machine à laver, ressortant avec la peau claire. Du coup, on a l’impression qu’il y a une sorte d’acharnement contre les Noirs ces derniers temps…

Cela dit, ce n’est pas une raison pour généraliser et dire que tous les Chinois sont racistes. Il y a du racisme de temps en temps, mais en ce qui me concerne, cela fait très longtemps que je n’ai pas été victime de racisme ici. Beaucoup de remarques ou de questions sont souvent liées à l’ignorance uniquement.

 

La rédaction des Observateurs de France 24 a contacté le conservateur du musée, Wang Yuejun, mais n’a pas obtenu de réponse de sa part. En outre, elle n’est pas parvenue à joindre le photographe Yu Huiping. Notre rédaction souhaiterait notamment savoir lequel des deux a eu l’idée d’associer des photos d’hommes et d’animaux, dans la mesure où les informations divergent dans les médias à ce sujet.