ALGERIE

En Algérie, "les migrants subsahariens servent de boucs émissaires"

Captures d'écran de deux vidéos témoignant des expulsions de migrants en Algérie.
Captures d'écran de deux vidéos témoignant des expulsions de migrants en Algérie.
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Depuis le mois de septembre, l’Algérie multiplie les arrestations de migrants subsahariens. Plusieurs vidéos sur les réseaux sociaux en témoignent, ils sont interpellés puis placés en camps de rétention à Alger ou emmenés vers Tamanrasset, au sud du pays, d’où certains sont expulsés vers le Niger. Pour nos Observateurs, ces mesures sont le prolongement de déclarations politiques ouvertement xénophobes.

"Ils chassent tout le monde, même celui qui a le passeport, même celui qui a le visa", explique l’une des personnes interpellées par la police algérienne dans une vidéo qui circule depuis le 5 octobre. Originaire d’Afrique subsaharienne, l’homme poursuit en assurant que les forces de l’ordre ont interpellé, selon lui, "toutes les personnes de peau noire" dans la capitale algérienne puis les ont placées dans le camp de Zéralda [certains ont échappé à cette vague d’arrestation, NDLR]. Ce complexe touristique ouvert seulement en été et situé à l’ouest d’Alger avait déjà servi de centre de rétention pour des migrants subsahariens en voie d’expulsion après des rafles dans la capitale en décembre 2016. Des activistes dénonçaient alors des "expulsions collectives illégales". Au total, un millier de migrants clandestins avait été expulsés du territoire algérien.

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Dans une deuxième vidéo, également partagée sur Facebook la semaine dernière, un homme filme des dizaines de migrants rassemblés dans un bus "au départ de Zéralda". "Certains sont encore en tenue de travail", insiste le vidéaste amateur. Selon Armando B. (pseudonyme), notre Observateur originaire d’Afrique de l’Ouest qui a pu rester à Alger et recueille les témoignages des étrangers arrêtés, ces bus les déposent dans la ville de Tamanrasset, à 2 000 km au sud de la capitale, dans le désert. Une information confirmée par RFI. Dans un communiqué, Fouad Hassam, chargé du dossier migration au sein du syndicat des travailleurs algérien, le SNAPAP, ajoute que les migrants arrêtés et placés dans le camp sont "de plusieurs nationalités" et certains sont même "des réfugiés sous mandat du HCR", le Haut commissariat aux Réfugiés de l’ONU.

Une autre vidéo de début octobre montrant plusieurs hommes marchant dans le sable, leurs affaires sur la tête, semble se dérouler dans la même zone, près de la frontière avec le Niger. Selon Armando B., il s’agit de migrants relâchés "dans le désert".

"Les migrants sont des cibles faciles pour expliquer les maux du pays"

Face à cette répression, plusieurs syndicats de différents pays d’Afrique subsaharienne ont interpellé, dans une lettre ouverte, le président algérien Abdelaziz Bouteflika au sujet des "expulsions massives" de migrants subsahariens. Mais pour Abdou Semmar, rédacteur en chef du site Algérie Part, ces arrestations sont totalement assumées par le gouvernement.

Les arrestations et les expulsions, il y en a toute l’année. Début août, le gouvernement avait déjà annoncé la reprise des rapatriements de ressortissants nigériens en situation irrégulière. [Depuis 2014, en vertu d’un accord entre Alger et Niamey plus de 180 000 migrants nigériens clandestins en Algérie ont été renvoyés chez eux, NDLR.] On remarque en effet depuis la mi-septembre une reprise des expulsions de masse. Pour moi c’est un coup médiatique du gouvernement. La rentrée sociale en Algérie est très compliquée : le Premier ministre évoque même la possibilité créer de la monnaie en recourant à la "planche à billets".

Les migrants subsahariens servent de boucs émissaires : c’est la cible facile pour expliquer les maux du pays. Par ailleurs, je vois cela comme la continuité de discours très anti-migrants qu’on a entendu tout l’été. En juillet, Ahmed Ouyahia, désormais Premier ministre, avait assimilé les migrants subsahariens à la drogue et la criminalité.

Le chef de la diplomatie algérienne [Abdelkader Messahel] les avait également accusés d’être "une menace pour la sécurité nationale". Il y a peu, le ministère des Transports a aussi fait polémique en interdisant aux compagnies de bus et de taxis de transporter des personnes en situation irrégulière. Cette mesure ayant donné lieu à de mauvaises interprétations, il avait finalement fait marche arrière

"La xénophobie est totalement assumée par le gouvernement lui-même"

Au début de l’été on avait également vu apparaître des campagnes sur les réseaux sociaux, [avec notamment le hashtag #لا_للافارقه_في_الجزاير , # Non aux Africains en Algérie, NDLR]. Il y a donc à mon sens une instrumentalisation des migrants à des fins politiques, pour détourner l’attention des problématiques financières très graves.

J’en veux pour preuve que cette xénophobie est totalement assumée par le gouvernement lui-même. L’Algérie tourne le dos à ces migrants, mais en même temps, elle n’a jamais pensé à de vraies politiques d’accueil, ça n’existe pas vraiment. [Par exemple, l’Algérie ne possède pas de législation nationale concernant le statut des réfugiés et des demandeurs d’asile, NDLR].

Ce qui est vrai également, c’est qu’à l’approche de l’hiver, il y a beaucoup d’expulsions. Cela s’explique en partie par le fait que le pays n’a pas les infrastructures nécessaires à l’accueil et l’hébergement des migrants qui vivent dehors, ou dans la mendicité et ne veut pas se confronter à ce problème-là. 

Cette vague d’arrestations a eu parfois des conséquences dramatiques. Samedi 7 octobre, deux hommes originaires d’Afrique de l’Ouest ont sauté du sixième étage d’un immeuble en construction dans lequel ils travaillaient comme manœuvres et se sont fracturé les jambes. Comme le rapporte RFI, ils tentaient d’échapper à un groupe de gendarmes.

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