IRAK

"Aboyez comme des chiens !" : une milice sunnite accusée d’exactions à Mossoul

Capture d'écran d'une vidéo montrant un milicien à Mossoul humilier des civils accusés d'avoir prêté allégeance à l'organisiation islamique à Mossoul. Source YouTube
Capture d'écran d'une vidéo montrant un milicien à Mossoul humilier des civils accusés d'avoir prêté allégeance à l'organisiation islamique à Mossoul. Source YouTube

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Une nouvelle vidéo d’abus commis par des miliciens à Mossoul a émergé ces derniers jours sur les réseaux sociaux. On y voit des civils accusés d’allégeance à l’organisation État islamique se faire humilier par un combattant qui les force à aboyer et à lécher ses sandales. Les milices chiites qui luttent contre l’EI en Irak sont régulièrement accusées d’exactions contre les sunnites. Mais cette fois, ce sont des combattants… sunnites qui sont en cause.

Diffusée début août sur les réseaux sociaux, cette vidéo dure un peu plus de trois minutes. Elle montre un groupe de sept hommes alignés en rang devant un mur. L’homme qui est en train de les filmer, annonce que cette vidéo est "dédicacée" au poète Fadel Aouad Chammari, un membre de la tribu sunnite de Chammar, dont une partie a participé à l’offensive de Mossoul aux côtés des Peshmerga kurdes.

Dans la foulée, il déclame des vers de poésie où il invective le chef de l’organisation jihadiste, Abu Bakr al-Baghdadi.

Il enjoint ensuite aux captifs d’aboyer et d’imiter les sons de toutes sortes d’animaux, moutons, ânes, chats. Dans une deuxième partie de la vidéo, il demande à ses prisonniers de décliner un à un leur identité. Puis, dans un ultime geste d’humiliation, leur ordonne de se mettre à genoux et de lécher sa sandale en poussant des aboiements.

Capture d'écran de la vidéo qui montre ce groupe d'hommes imiter les cris des animaux sous la contrainte.

Ils sont forcés de se mettre à genoux et de lécher une sandale.

Cette vidéo a été relayée sur Twitter par plusieurs militants sunnites, qui l’ont attribuée aux milices chiites d’al-Hachd al-Chaâbi (Mobilisation populaire) qui combattent l’EI aux côtés de l’armée régulière en Irak.

Néanmoins, plusieurs sources proches des Chammar affirment qu’il s’agit plutôt de membres de leur tribu. Interpellé par plusieurs médias, le chef des Chammar, Fawaz al-jarba Chammari, n’a pas souhaité répondre à ces accusations. France 24 a en outre tenté de le contacter à plusieurs reprises, sans succès.

Le conflit irakien ne se limite pas à une confrontation entre les sunnites et les chiites

Myriam Benraad est professeure assistante en sciences politiques à l’Université de Leyde aux Pays-Bas. Elle a publié plusieurs études sur les conflits inter-sunnites en Irak.

Les Chammar sont une grande tribu dans la région, présente non seulement en Irak, mais également en Arabie saoudite et en Syrie. En Irak, elle est surtout influente dans la province d’Al-Anbar et s'est divisée en 2014 : une partie a rejoint l’organisation État islamique, l'autre s’y est opposée.

Ceux parmi les Chammar qui combattent aujourd’hui l’EI, faisaient déjà partie des Sahwa (réveil), les milices sunnites mobilisées par les États-Unis pour lutter contre Al-Qaïda dans les années 2000.

Lire sur les Observateurs- >> "La milice Al-Sahwa a pacifié mon quartier"

De nombreuses analyses réduisent le conflit irakien à une simple confrontation confessionnelle qui opposerait les communautés sunnite et chiite. Mais, comme pour le cas des Chammar, la réalité est beaucoup plus complexe. Il existe de fortes dissensions à l’intérieur même de la communauté sunnite.

Dans les médias, on parle beaucoup des exactions commises par certaines milices chiites à l’encontre des civils. Mais en réalité ces représailles se déploient tous azimuts : exactions commises par des sunnites contre des sunnites, règlements de compte etc. À Mossoul, on retrouve régulièrement des cadavres dans les rues et aux abords du Tigre, et personne ne sait véritablement qui sont les bourreaux et qui sont les victimes...

L'Irak se trouve dans état d'hyper-fragmentation. La communauté arabe sunnite est la plus concernée. Les tribus sunnites qui combattent les jihadistes ont par ailleurs noué des alliances stratégiques dans la perspective d'un après État-islamique. Certaines ont rejoint les milices chiites, notamment la Mobilisation populaire (Hachd chaabi) et se sont rapprochées du gouvernement central de Bagdad, au moment où d’autres se sont ralliées au président du gouvernement régional kurde, Massoud Barzani.

Ce n’est pas la première fois qu’une milice sunnite est accusée d’exactions contre des civils issus de la même communauté en Irak. En novembre 2016, Amnesty international avait publié un rapport où elle rendait compte d’actes de torture commis par des membres d’un influent clan sunnite, al-Sabaaouiîne, contre des villageois près de Mossoul.