Au Kivu, danser pour aider les femmes victimes de violences sexuelles
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Depuis plus de vingt ans, les provinces du Nord et Sud-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo, sont le théâtre d’un conflit armé ponctué de pillages et de violences. Comme souvent, les femmes sont les premières victimes de cette guerre, où le viol devient une arme. Pour les accompagner sur le chemin de la guérison, Bolewa Sabourin, danseur franco-congolais, organise des ateliers de danse pour aider ces femmes à renouer avec leur corps.
Si ce conflit implique plusieurs groupes armés, il oppose principalement dans le Sud-Kivu l’armée congolaise et le Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda. Les belligérants se battent entre autres pour contrôler les mines de coltan, un minerai indispensable dans la fabrication des téléphones portables.
Afin d’exploiter ces mines, les groupes armés poussent les populations à partir par tous les moyens, notamment par le viol des femmes. Devant l’ampleur du phénomène, le Dr Denis Mukwege, gynécologue et militant des droits de l’Homme, a cofondé en 1999 l’hôpital Panzi à Bukavu, capitale de la province du Sud-Kivu, spécialisé dans le traitement des victimes de violences sexuelles. Sa Fondation Panzi, toujours dans le Sud-Kivu, assure un suivi psychologique pour les victimes et œuvre à leur réinsertion sociale.
"J’essaye de préparer le terrain pour un vrai travail thérapeutique"
Le Dr Mukwege jugeait cependant cet accompagnement médical insuffisant pour l’épanouissement des femmes et souhaitait le renforcer par une pratique artistique. C’est là qu’entre en scène Bolewa Sabourin et son projet "re-création" :J’ai rencontré le Dr Mukwege le 8 mars 2016, à l’occasion d’une conférence organisée par la mairie de Paris autour de la journée internationale des droits des femmes. Durant cette conférence, j’ai entendu le docteur dire qu’il avait reçu de nombreuses aides de la part de ressortissants européens, surtout des médecins et des psychiatres. Pour autant, le travail demeurait long et difficile. Il faut comprendre que ce n’est pas dans la culture du pays de s’épancher, surtout avec cette guerre qui n’en finit pas. Beaucoup de personnes ont vu des morts, ont perdu des êtres chers, c’est donc difficile pour ces femmes de se positionner comme victimes. Le Dr Mukwege était persuadé qu’on aurait plus de chance en passant par des arts comme la danse et le chant. Et là je me suis dit :"Mais je suis danseur ! C’est à moi de le faire !"
Car pour moi aussi, la danse a été une thérapie. Mon père est un danseur congolais et ma mère, française, était son élève. Ils se sont séparés quand j’avais un an et je suis parti vivre au Congo pendant cinq ans. J’ai ensuite été trimballé par mon père, je le suivais là où il allait se produire. Au milieu de tout ça, la danse me permettait de tenir, d’avoir un socle solide, mais aussi une reconnaissance et des attaches.
Sur cette photo, on voit Bolewa au premier plan et, derrière lui, une des danseuses arborant un t-shirt de la Fondation Panzi sur lequel il est écrit :"Mon corps n'est pas une arme".
"Je les aide à se réapproprier leur corps après tout ce qu’elles ont subi"
Un premier voyage a été organisé au printemps dernier, pour deux semaines, afin de mieux connaître la réalité du terrain et mettre en place un premier atelier, à la fondation. Au début, j’avais une petite appréhension, je me disais qu’il fallait me faire accepter, que j’étais un homme après tout, donc suspect. Finalement, quand on nous a présentés, je n’ai rien dit et je me suis tout de suite mis à danser et elles ont répondu !
Mon objectif est d’aider ses femmes à se réapproprier leur corps après tout ce qu’elles ont subi : il ne s’agit pas seulement de viols, mais de mutilations volontaires, certaines ont été ouvertes avec des machettes comme du bétail, du vagin jusqu’aux seins. D’autres ont été violées avec des Kalachnikov. Leur corps a été à la fois violé et violenté, avant d’être rejeté, car ni leurs maris, ni leurs familles, ni leurs communautés ne voulaient plus d’elles. Ces femmes avaient en moyenne 16 ans au moment des faits, certaines se sont également retrouvées enceintes de leurs violeurs, alors que leur corps n’avaient même pas fini sa croissance !
Face à tout cela, la danse peut les aider à se sentir à nouveau désirées et désirables : elles le bougent, elles en tirent du plaisir, elles se regardent danser. D’où le nom de "re-création "qu’on a donné au projet, car c’est un retour à la vie en quelque sorte. Cela devient un motif de dignité et de fierté, et non plus de honte.
"Je ne prétends pas les guérir mais aider les psychologues à le faire"
Je ne prétends pas leur apprendre à danser, car elles le font déjà toutes très bien. Mais je veux leur apprendre à faire cela de manière plus structurée, en comptant les pas, avec un enchaînement particulier. Le traumatisme qu’elles ont subi fait qu’elles ont du mal à mettre de l’ordre dans leurs idées, alors j’essaye de les aider à poser les rails. De même, je ne prétends pas les guérir grâce à la danse, mais je crois sincèrement que cela facilite le travail des psychologues. On a commencé d’ailleurs à noter un petit changement chez elles : des sourires commençaient à poindre, elles avaient l’air de réapprendre à aimer les choses simples de la vie.
Selon une étude de l’American Journal of Public Health datant de 2011, on estime à 1 152 le nombre de femmes congolaises victimes de violences sexuelles par jour. Devant une situation aussi alarmante, Bolewa et ses amis veulent mettre en place un projet de moyen terme afin d’apporter leur aide aux victimes :
Nous finissons de collecter de l’argent pour revenir sur place en septembre. L’idée est de lancer un projet sur cinq ans, afin d’assurer à ces femmes un véritable suivi. Je sais que certains peuvent nous critiquer parce que nous sommes des hommes qui cherchons à "libérer" des femmes, ou pire, me concernant, d’être un métis venu d’Europe pour "sauver" ces femmes. Je pense qu’au vu du contexte actuel, de telles considérations sont un luxe, pour ne pas dire que c’est presque insultant. Notre objectif est de leur donner du pouvoir, car rien ne se fera sans elles. Le Dr Mukwege les "répare "parce que c’est son métier, il est médecin. Pour ma part, je mets juste à leur disposition quelques outils. Et puis, si on se contente de critiquer, qui se mobilisera ?
Pour sensibiliser l'opinion publique à travers le monde à la cause des femmes victimes de violences sexuelles en RDC, Bolewa a lancé le "#PanziDanceChallenge", où il s'agit de reprendre la chorégraphie qu'on voit sur cette vidéo, de se filmer et de la partager avec ce hashtag.
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