Smartphone à la main, des Iraniennes combattent la police des mœurs
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Pantalons trop serrés, hijab mal mis, manteau déboutonné ou habits trop colorés : en Iran, les femmes doivent respecter des codes vestimentaires bien précis. Et les patrouilles de la police des mœurs veillent au grain et arrêtent les femmes qui n’auraient pas respecté les règles de la République islamique. Pour dénoncer l’agissement de ces brigades et faire valoir leurs droits, plusieurs femmes ont décidé de filmer leur arrestation et de publier les vidéos sur les réseaux sociaux.
La vie quotidienne en Iran est régie par des règles très strictes, notamment en matière vestimentaire. Tout contrevenant prend le risque de se faire arrêter par la Gasht-e-Ershad, la brigade de police des mœurs, rattachée aux forces de police régulières. Selon le porte-parole de cette brigade, 207 000 personnes ont été arrêtées entre mars 2013 et mars 2014 et plus de deux millions de femmes ont reçu des avertissements parce qu’elles ne portaient pas convenablement le hijab.
En vertu de la loi islamique, les femmes sont supposées dissimuler leur corps, à l’exception de leur visage et de leurs mains. Les plus conservatrices portent le tchador, un vêtement noir traditionnel recouvrant la tête et descendant jusqu’aux chevilles. D’autres femmes préfèrent cacher leurs cheveux sous un foulard ou une écharpe et porter de longs manteaux arrivant aux genoux.
Ces dernières semaines, une série de vidéos montrant ce qu’il se passe lorsque des femmes se font arrêter par la police des mœurs ont été relayées sur les réseaux sociaux. La plupart de ces vidéos ont été filmées discrètement par des femmes lors de leur interrogatoire à l’intérieur des fourgonnettes de la brigade ou dans les commissariats, puis publiées sur la page Facebook "My Stealthy Freedom" (ma liberté furtive).
"Les policiers étaient très intimidants"
Notre Observatrice Bita (pseudonyme) est étudiante en école d’ingénieurs. Elle a été arrêtée par une patrouille Gasht-e-Ershad en marchant avec une amie dans l’est de Téhéran. Elle a pu filmer son arrestation à l’aide de son téléphone portable et a posté sa vidéo sur la page Facebook "My Stealthy Freedom”.J’étais en train de marcher dans la rue avec une amie quand nous avons aperçu la fourgonnette de la patrouille. Il y avait trois hommes armés, un autre homme sans arme, et trois officières. Ils n’ont pas vraiment apprécié la façon dont nous étions habillées et nous ont demandé de monter dans leur véhicule. Ils nous ont assuré que s’il s’agissait de notre première infraction, ils nous laisseraient partir. Nous n’avions pas vraiment envie de les suivre parce que nous étions persuadées qu’ils nous mentaient, mais ils ont insisté.
Alors que nous étions dans la fourgonnette, ils continuaient à faire leur ronde à la recherche de femmes qui ne porteraient pas correctement leur hijab. À un moment, ils se sont arrêtés dans une rue très fréquentée et ont tenté d’arrêter une femme. Mais elle s’est mise à crier et l’un des officiers a dit à ses deux collègues : "Oubliez-la, les gens vont commencer à se rassembler". Un peu plus tard, lors d’une deuxième arrestation, des gens se sont mis à filmer alors ils ont abandonné.
Ils sont lâches dans la rue, mais dans leur van, avec nous, ils se sont montrés très intimidants. Nous étions six ou huit femmes au total. Certaines refusaient de donner leur carte d’identité et demandaient aux officières de la brigade ce qui n’allait pas avec leur tenue. À ce moment-là, j’ai commencé à filmer. Quand l’un des officiers s’est mis à hausser le ton, je lui ai répondu : "Regardez, nous ne sommes pas des criminelles, nous n’avons tué personne. Nous ne sommes pas non plus des voleuses, vous ne pouvez pas nous traiter comme ça !" Il s’est arrêté pendant un instant, puis nous a traitées de "putains".
"Trois heures d’insultes et d’humiliation"
Ils ont fini par nous emmener à un poste de police. L’une des officières m’a avoué que j’avais raison et qu’il n’y avait aucun problème avec mon hijab. Elle a relu le rapport et m’a expliqué que j’avais été arrêtée parce que mes cheveux sont teints en bleu.
Au poste de police, les plus sévères étaient les femmes, elles nous insultaient sans arrêt, en nous lançant "tais-toi" ou "tu veux une gifle ?". Parmi les filles arrêtées, plusieurs se sont mises à pleurer. Moi, j’étais simplement en colère après ces trois heures d’insultes et d’humiliation.
Ils nous ont pris nos téléphones portables et demandé nos cartes d’identité, notre adresse et le nom de notre université. Ils ont pris des photos de nous comme si nous étions des criminelles. Ensuite, nous avons dû expliquer devant une caméra pourquoi nous avions été arrêtées. À la fin, on nous a dit qu’on allait recevoir une amende. Je n’en connais pas encore le montant.
Dans cette vidéo, des femmes sont arrêtées par la police des mœurs.
Pour pouvoir repartir, mon amie a du demander à quelqu’un de lui ramener une autre tenue, parce que son pantalon était "trop serré".
“La prochaine fois, je resisterai"
Le problème, c’est que nous ne savons jamais exactement ce qui est interdit et ce qui ne l’est pas. Certaines sont arrêtées parce que leurs manches sont trop courtes, d’autres parce que la couleur de leur manteau était trop vive – rouge ou jaune par exemple. On peut également se voir reprocher de porter un jean troué, ou un chapeau plutôt qu’un foulard. Parfois, on va attirer l’attention de la police parce qu’on a les cheveux colorés, ou des tatouages, ou de trop grandes bottes, ou trop de maquillage, ou des leggings, etc.
Je ne vais pas changer ma façon de m’habiller à cause de cette arrestation. Seule une chose a changé : maintenant, je ne me sens plus en sécurité dans les rues, à cause des patrouilles. Je me sens étouffée. Comment est-ce que je peux être arrêtée, humiliée et traitée comme une délinquante dans mon propre pays, alors que je n’ai rien fait de mal ? Et tout cela juste parce qu’ils n’aiment pas la façon dont je suis habillée. Si ce genre de situation est amenée à se reproduire, je résisterai. Je ne les laisserai pas me faire monter dans leur fourgonnette, même s’ils me frappent.