Pêche illégale : des chalutiers chinois pris en flagrant délit à Djibouti
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Six chalutiers sous pavillon chinois ont été repérés ces dernières semaines au large de la ville d’Obock, à Djibouti. La zone, très poissonneuse, est une aire maritime protégée où la pêche industrielle est interdite. Pêcheurs, habitants et activistes se sont mobilisés contre ce pillage de leurs ressources, et ont obtenu gain de cause.
Hamid, un étudiant et activiste djiboutien à l'étranger, a alerté la rédaction des Observateurs de France 24 sur un cas de pêche illégale. Un chalutier sous pavillon chinois, le Fu Yuan Yu 98 86, a ratissé le fond de la mer Rouge à moins de cinq kilomètres au large des côtes des villages de Godoria et Khor Angar, entre le 24 avril et le 3 mai 2017. Accompagné de quatre pêcheurs locaux à bord d’un petit bateau, notre Observateur Houssein Mohamed Houmed Ganito a réussi à filmer le navire en train de remonter son filet plein de poissons, le 27 avril.
Dans la petite ville d’Obock, où près de 60 personnes vivent de la pêche, la population s’est mobilisée contre cette pêche industrielle et illégale, conduite par six navires repérés au large de ses côtes.
Le chalutier a touché 160 km2 de fonds marins
Par ailleurs, le chalutier Fu Yuan Yu 98 86, que la rédaction des Observateurs de France 24 a pu traquer grâce au site Marine Traffic, a manifestement pêché dans une aire marine protégée, située entre les villages de Godoria et Khor Angar, où se trouvent des coraux fragiles et précieux. D’après les calculs de France 24, le bateau a quadrillé environ 160 kilomètres carrés de cette zone. Créée en 2004, seule la pêche artisanale y est autorisée. Par ailleurs, les chalutiers sont interdits dans l’ensemble des eaux territoriales du pays.
Dans le port de Djibouti, huit navires nommés “Fu Yuan Yu” sont enregistrés en mouillage depuis le 31 mars 2017 et l’étaient toujours le 21 mai 2017. Parmi eux se trouve le bateau filmé par notre Observateur.
"Ils jetaient les petits poissons par-dessus bord"
Notre Observateur Houssein Mohamed Houmed Ganito, membre fondateur de l’Association pour l'avenir et le développement d'Obock (AADO), a lancé l’alerte sur les réseaux sociaux au sujet des chalutiers chinois.Le 26 avril au soir, nous sommes allés en mer avec deux présidents de coopératives de pêcheurs et deux autres pêcheurs pour repérer ces navires. Nous avons vu quatre bateaux de nos propres yeux près de Godoria, à environ 2 kilomètres des côtes, et on nous a dit qu’il y en avait deux autres près des îles des Sept frères.
Ils détruisent notre écosystème marin. Nous sommes ce soir cinq aventuriers, embarqués sur un boutre, bravant le froid et l'humeur agitée de la mer Rouge, pour la chasse aux prédateurs chalutiers chinois. Nous sommes cinq aventuriers pour la défense de nos côtes, de nos ressources halieutiques, écrit notre Observateur en légende de cette vidéo publiée sur Facebook le 27 avril 2017.Les bateaux utilisaient des projecteurs pour attirer le poisson, on pouvait donc voir ce qui se passait sur le pont. Il y avait une dizaine d’ouvriers chinois à bord, torse nu, qui remontaient de gros filets. Ils jetaient les petits poissons par-dessus bord et mettaient les gros dans une soute de congélation. Vu la saison, je pense qu’ils ont surtout pêché des maquereaux et des barracudas.
Une mobilisation forte et inhabituelle
Nous sommes rentrés le soir à Godoria et je suis retourné à Obock pour publier les vidéos. Eux sont restés et sont revenus en mer le lendemain matin pour prendre d’autres photos et vidéos que j’ai publiées le 3 mai sur Facebook. Ce jour-là, le président de la coopérative des pêcheurs d’Obock a organisé une manifestation et, le soir même, les gardes-côtes ont chassé ces chalutiers. Ils ont voulu calmer le jeu parce qu’il y avait une forte et inhabituelle mobilisation de la population.
"On a seulement cette mer pour vivre et subvenir à notre famille. Que les bateaux partent !", déclare ce pêcheur en afar, la langue régionale, dans cette vidéo tournée par notre Observateur. "Ne coupez pas nos moyens de subsistance", lance une femme à la fin.C’est une victoire, certes, mais en demi-teinte. Les bateaux sont en rade à Djibouti, ils attendent que la pression populaire redescende pour continuer leurs activités. Mais on ne lâchera rien.
"La mer est notre unique richesse"
Les récifs coralliens, abîmés par le chalutage de fond, sont une ressource constamment mise en avant par l’office du tourisme djiboutien pour développer la plongée sous-marine. Ahmed Mogola, gestionnaire au ministère de l’Énergie, habitant d’Obock et membre de l’association AADO, est par ailleurs très inquiet pour l’avenir de son pays, dépendant de l’étranger pour s’approvisionner en nourriture.Les espèces dont la pêche est illicite telle que le requin ou la tortue ne sont pas épargnées, c’est du gâchis. Ces chalutiers utilisent des cordes et font bouger les coraux pour faire sortir les poissons qui y sont installés, des écosystèmes extrêmement vulnérables et qui s’effondrent suite à cette pratique. Qui sait si ces chalutiers volent aussi les coraux ?
Djibouti dépend de l'étranger pour les denrées alimentaires
Le changement climatique va exacerber ces problèmes avec le blanchiment des coraux dans les années à venir. La surexploitation des ressources naturelles, déjà limitées, et l’augmentation de la population amplifient la pression sur le peu de ressources que nous possédons. Ce modèle de développement non-durable est néfaste, Djibouti étant tributaire de l’étranger en matière de denrées alimentaires et produits agricoles.
Le problème endémique de Djibouti est que les législations en vigueur ne sont pas appliquées en matière de protection de l’environnement. Par conséquent, il faut en imposer le respect dans le cadre de la protection de ressource halieutique, notre unique richesse.
Une problématique globale qui touche surtout l'Afrique
Avec ces images, notre Observateur Houssein a fourni l’exemple djiboutien d’une problématique globale. Le continent africain est la région du monde la plus touchée par la pêche illégale. En Afrique de l’Ouest, la situation est la plus critique au monde avec 40 % des poissons pêchés illégalement, selon la World Ocean Review. Ces pratiques seraient en grande partie le fait de chalutiers chinois, dont le nombre a fortement augmenté ces dernières années : l’ONG Greenpeace dénombrait 462 navires sous pavillon chinois dans les eaux africaines en 2013, contre 13 en 1985.
Des entreprises chinoises à la manœuvre
Le nom du bateau filmé à Djibouti est par ailleurs associé à la pêche illégale, non déclarée ou non réglementée (IUU). Six navires nommés Fu Yuan Yu (heureux pêcheur lointain, en chinois) ont été repérés par l’ONG de protection des fonds marins Sea Shepherd, au sud de l’océan indien, en janvier 2016. Ces derniers utilisaient des filets dérivants de 5 kilomètres de long, interdits par un moratoire des Nations unies depuis 1992. Les navires repérés par l’équipe du capitaine Siddharth Chakravarty appartenaient à une entreprise chinoise, Dong Xing Long Ocean Fishing Company.
La rédaction des Observateurs de France 24 a pu retrouver sur le site du ministère de l'Agriculture chinois le nom de l’entreprise propriétaire de la flotte à Djibouti : Anda Yuan Yang Ocean Fishing Co. Ltd, basée à Pingtang, dans la région de Fujian.
“Le nom Fu Yuan Yu renvoie à des navires pêchant en eaux lointaines et le port de Fu Zhou immatricule énormément de navires. Le système de numérotation fait sens pour surveiller une très grande flotte”, a expliqué Siddharth Chakravarty à la rédaction de France 24.
Le chalutage profond, une technique très destructrice
Après avoir regardé les images de nos Observateurs, il a confirmé que ce sont des chalutiers – interdits à Djibouti – qui pratiquent le chalutage par le fond, une technique particulièrement nocive. Ceci se vérifie en particulier par les panneaux visibles tout au long de la vidéo, accrochés au bateau, qui servent à laisser le filet ouvert.
La rédaction des Observateurs de France 24 a demandé des explications à Ahmed Darar Djibril, directeur de la Pêche rattaché au ministère djiboutien de l’Agriculture et de la Pêche, par téléphone. Celui-ci a refusé de commenter la situation. Le port de Djibouti n’a pas donné suite à de nombreux appels.