VENEZUELA

Le violoniste de Caracas : "Des manifestants m’ont protégé face aux forces de l’ordre"

Capture d'écran d'une vidéo prise par la journaliste Gabriela Gonzalez le 8 mai, à Caracas.
Capture d'écran d'une vidéo prise par la journaliste Gabriela Gonzalez le 8 mai, à Caracas.

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Depuis un mois et demi, le Venezuela est secoué par d’importantes manifestations qui tournent régulièrement à l’affrontement entre forces de l’ordre et protestataires. Au milieu de cette violence, certains cherchent donc à résister autrement, notamment à travers la musique. Une façon de promouvoir la "paix", comme l’explique un jeune homme ayant joué du violon au milieu des manifestations à trois reprises, parfois au péril de sa vie.

Le 20 avril dernier, un premier musicien, Tomás Vivas, s’était fait remarquer lors d’une manifestation en jouant du cuatro (une petite guitare). Contacté par les Observateurs de France 24, il avait alors expliqué que l’art permettait de "dénoncer les injustices de façon pacifique" et que son pays avait "davantage besoin de culture que de balles".

Mais c’est surtout un autre musicien, Wuilly Moises Arteaga, qui a fait parler de lui récemment, en jouant du violon face aux forces de l’ordre et au milieu du gaz lacrymogène à Caracas, la capitale vénézuélienne, des images ayant fait le tour du monde. Âgé de 23 ans, il joue de cet instrument depuis cinq ans.

"Des manifestants ont chanté pour m'accompagner"

J’ai joué du violon dans une manifestation pour la première fois il y a trois semaines environ, à Barquisimeto [la capitale de l'État de Lara, à l’est de Caracas, NDLR]. C’était assez calme à ce moment-là, même s’il y a eu du gaz lacrymogène plus tard.

Puis j’ai réitéré l’expérience à Caracas le 6 mai, lors de la "marche des femmes" [organisée par l’opposition, NDLR]. J’avais décidé d’y participer pour les soutenir. À un moment donné, les forces de l’ordre ont bloqué le passage sur l’autoroute, donc la tension est montée d’un cran. Du coup, j’ai commencé à jouer du violon et les gens se sont mis à applaudir. Heureusement, ça n’a pas dégénéré.

Dans cette vidéo tournée le 6 mai à Caracas, Wuilly Moises Arteaga joue du violon dans la rue, sans casque ni masque à gaz. Crédit : Gabriela Gonzalez.

Des femmes ont entonné l’hymne national lors de leur marche du 6 mai à Caracas.

En revanche, ça a été différent le 8 mai, toujours à Caracas. Ce jour-là, je suis tombé par hasard sur une manifestation : j’ai alors décidé d’y participer et de jouer du violon.

À Caracas, la manifestation du 8 mai s’est déroulée dans le calme dans un premier temps. Crédit : Francisco Urreiztieta.

Au début, c’était calme, mais en arrivant dans le secteur de Chacaíto, les forces de l’ordre ont commencé à lancer du gaz lacrymogène. J’ai alors commencé à jouer l’hymne national.

"Il y avait tellement de gaz que je n’arrivais même pas à distinguer les armes que les forces de l’ordre pointaient dans notre direction…"

Certains manifestants se sont mis à m’accompagner en chantant. D’autres m’ont protégé avec leur bouclier et m’ont donné de l’eau et des produits pour diminuer l’effet du gaz lacrymogène. Je ne portais pas de masque à gaz car je ne connais personne pouvant m’en prêter. Il y avait tellement de gaz que je n’arrivais même pas à distinguer les armes que les forces de l’ordre pointaient dans notre direction… Mais je n’ai pas eu peur. Cela fait des années que l’on a peur de se faire voler ou tuer dans la rue, donc je pense que l’on s’y est habitué...

Dans cette vidéo tournée le 8 mai à Caracas, on voit Wuilly Moises Arteaga jouer l’hymne national au milieu du gaz lacrymogène, face aux forces de l’ordre. Il est protégé par un manifestant et porte un casque, que lui a offert une personne ce jour-là. Crédit : Gabriela Gonzalez.

Une autre vidéo tournée le même jour à Caracas, dans laquelle on voit des manifestants veiller sur le violoniste.

En jouant l’hymne national, j’ai souhaité encourager les manifestants, tout en leur rappelant que l’on proteste pour obtenir la paix et reconstruire notre pays, et non pas pour générer de la violence. Mais j’ai également joué pour les forces de l’ordre : je voulais leur montrer que je n’étais pas armé et que je portais, au contraire, un message de paix, destiné à nous unir. Mais les tirs de gaz n’ont pas cessé pour autant…

À la suite de ça, j’ai reçu des menaces, notamment au téléphone. J’ai également perdu mon travail de pianiste dans un hôtel qui est géré par le gouvernement, où j’avais l’habitude de jouer tous les soirs. Le 8 mai, ils ont tout simplement refusé de me laisser entrer, en me disant qu’ils m’avaient vu dans la manifestation.

Je ne sais pas encore si je vais continuer à jouer du violon dans les manifestations, je verrai. Mais j’ai envie de continuer à me mobiliser pour la paix car il est important d’utiliser l’art pour protester.

Le 7 mai dernier, une "marche des artistes pour la vie" s’est déroulée à Caracas. De nombreux musiciens ont pu jouer dans les rues, sans encombre cette fois-ci. Ils souhaitaient notamment rendre hommage à l’un des leurs, Armando Cañizales, un jeune tué lors d’une précédente manifestation.

La "marche des artistes pour la vie" du 7 mai à Caracas.

Depuis début avril, 38 personnes ont été tuées et des centaines d’autres ont été blessées lors des manifestations qui sont quasi quotidiennes.

Les protestataires exigent le départ du président Nicolás Maduro avant la fin de son mandat (en décembre 2018) et l’organisation d’élections générales anticipées. Ils s’opposent également à son projet de convoquer une assemblée constituante, une manœuvre destinée à repousser les élections selon eux.

Les tensions s’étaient cristallisées début avril en raison de la décision de la Cour suprême – réputée proche du président – de s’arroger les pouvoirs du Parlement – contrôlé par l’opposition – même si elle avait finalement fait machine arrière, en raison du tollé provoqué par cette décision.

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