Pas 2 Quartier

Soirée électorale au Fouquet's... de Sarcelles

Partie de babyfoot le soir des résultats du second tour au Fouquet's de Sarcelles. Photo : France 24.
Partie de babyfoot le soir des résultats du second tour au Fouquet's de Sarcelles. Photo : France 24.
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Au Fouquet’s, à Sarcelles (Val-d’Oise), à quelques mètres du stadium où on a vu Emmanuel Macron en campagne tenter quelques dribbles, les résultats de l’élection présidentielle n’ont existé que le temps d’une minute. Les clients se sont empressés de reprendre leur activité autour du bar ou du babyfoot. Si certains sont soulagés sans pour autant s’enthousiasmer, d’autres restent imperméables et fondent leurs espoirs d’un meilleur avenir sur l’autre écran, celui où sont affichés les résultats du tiercé. 

 

Sur la place André Gide, à Sarcelles, des Pakistanais rigolent autour d’une partie de pétanque sur la terre humide. À quelques mètres, un petit groupe fume devant le bar PMU Le Fouquet’s. Ça parle de la famille, de foot. Mais pas de politique. On est à quelques minutes des résultats. À l’intérieur, certains s’agglutinent au fond de l’établissement devant une des trois télés. "On compte les minutes comme un soir de ramadan avant le ftor [repas de rupture du jeûne, NDLR]", s’amuse un client. Il est 20h01. Pas de cris de joie, pas d’embrassades. Aussitôt, la petite salle éclairée par les seules images de TF1 se vide et la voix de Gilles Bouleau est noyée dans le brouhaha. Pour ceux qui se sont déplacés, ils retournent s’accouder au bar ou gratter un ticket en reprenant leurs conversations. "J’étais un peu tendu, mais c’est un soulagement ", soupire Cafer Kucukoglu, le patron du bar, sans grand enthousiasme.

 

Pour Papa Cissokho, la victoire de Macron est celle du PS. "Ils savaient que désormais le PS est grillé, qu’il ne passerait pas. Alors ils ont envoyé le poulain de Hollande parce qu’il passe bien. C’est une bonne stratégie." L’homme de 38 ans a voté au premier et au second tour. Pour Mélenchon d’abord puis pour Macron. "On ne pouvait pas laisser le pays être dirigé par l’extrême droite." Il a même essayé de convaincre des jeunes du quartier d’aller voter, mais il avoue la difficulté de la tâche. "Dans mon bureau de vote, j’ai vu des parents traîner leurs enfants pour voter. Une maman a dit à son fils qu’elle ne bougerait pas du bureau de vote tant qu’il n’irait pas chercher sa carte d’identité oubliée chez lui." Pour lui, ce désintérêt est dû au sentiment d’abandon. "Ça ne les intéresse même pas. Ils ont arrêté l’école très tôt, ils se débrouillent pour gagner de l’argent tant bien que mal. Ceux-là sont dans une autre optique de la vie. C’est difficile de les récupérer." La porte ouverte laisse entrer l’odeur de tabac qui se mêle à celle du café et de l’alcool. Le patron se joint à la conversation. "Ici c’est Sarcelles, pas la France", ironise-t-il pour illustrer ce sentiment d’abandon.

Le 7 mai à Sarcelles, des chaises vides devant l'écran qui retransmet la soirée électorale.

 

"On lui a donné la force en le portant à la présidence"

 

À Sarcelles, 34,75 % des habitants se sont abstenus dimanche, soit 9 % de plus que la moyenne nationale. Pourtant, Macron s’est rendu deux fois durant la campagne dans la ville de 60 000 habitants. "Il a marqué des points car Marine Le Pen ne mettra jamais les pieds ici. Mais ça reste de la com’, ils sont venus faire les beaux", glisse Papa entre les claquements des barres de babyfoot ponctués par les cris de joie après chaque but. Zacharie Boulahrout, animateur de 24 ans, pense pareil. Il a voté Macron aux deux tours mais ne veut pas se faire d’illusions. "Les discours, ce n’est que du bruit dans les oreilles. On lui a donné la force en le portant à la présidence, maintenant on attend de voir les actions, qu’il fasse remonter l’économie française et s’occupe de l’environnement."

 

Employé par la mairie dans la maison de quartier de Sarcelles, Les Vignes Blanches, Papa s’inquiète pour la fonction publique dont il fait partie, même s’il ne pense pas que son emploi soit directement menacé. "Je pense que ce sont les départs en retraite qui ne seront pas remplacés."

 

Ce soir-là, deux tiers des clients ne se sont pas déplacés pour voter, par désintérêt ou parce que étrangers. Francis Bola, congolais de 36 ans et père de trois enfants, n’a pas pu voter car il n’a pas la nationalité, mais se préoccupe de l’avenir du pays. Cigarette intacte et verre d’alcool à la main, il ne cesse de répéter à qui veut l’entendre, comme on avertit d’un danger imminent, que c’est un banquier qui est désormais président. "On était sorti manifester contre sa loi, maintenant il est chef de l’État !".

 

Marine Le Pen n’est pas une menace

 

Si leur sentiment mêle soulagement et incertitude après l’élection d’Emmanuel Macron, l’arrivée de Marine Le Pen au second tour ne les alarme pas. Dans cette ville où se côtoient toutes les nationalités, les religions et les cultures, la candidate du Front national a obtenu 21,19 % des voix contre 78,81 % pour Emmanuel Macron. Papa comprend ce choix. "Ce n’est pas inquiétant, car c’est un vote contestataire. Et de toute façon, elle ne pourra rien faire. La France ne peut pas avancer sans la mixité. D’ailleurs, c’est en partie grâce à nos grands-parents que la France est libre. Le mien était tirailleur sénégalais et je me sens un vrai Français." Pour Francis aussi, c’est un vote sanction. "Les choix de l’UMP et du PS ont poussé la population à exprimer leur colère." Mais Zacharie, le plus jeune du Fouquet’s ce soir-là, n’est pas de cet avis et leur en veut "de penser que le Front national n’est pas une menace. C’est inconscient. Ils ne tiennent pas compte de l’avenir et de ceux qui ont encore des choses à construire." Papa Cissokho reste confiant. "S’il fait bien son mandat, ça changera les mentalités. Pas besoin de plus."