Une footballeuse iranienne bannie pour avoir joué sans voile ? Les médias s’emballent…
Publié le : Modifié le :
"Une star du futsal interdite de jouer en équipe nationale féminine après être apparue sans voile". C’est le titre d’un article publié dans le New York Times le 26 avril. Sauf que le quotidien américain, comme plusieurs autres médias, a été un peu vite : la jeune femme en question est bien apparue balle au pied sans voile, mais aucune sanction ne lui a été officiellement infligée.
Le 24 avril, Shiva Amini, 28 ans, a publié sur son compte Instagram une vidéo d’elle jouant au football en Italie et en Autriche, avec des hommes, où elle ne porte pas le hijab obligatoire en République islamique d’Iran et n’a pas les jambes couvertes. Avec en commentaire : "Je n’aurais jamais imaginé ça, parce que jouer sans voile et sans couvrir mes jambes avec des amis, à l’occasion d’un voyage personnel. Après ça je ne pourrais plus jouer dans mon pays ".
En faisant défiler les photos, on voit, en deuxième position, la vidéo montrant Shiva jouer sans voile et avec des hommes.
Selon Shiva Amini, la publication de cette vidéo lui a valu des sanctions de la part de la fédération iranienne de futsal, qui lui a interdit de jouer ou d’entraîner une équipe en Iran. Elle a contacté des journalistes pour raconter son histoire et en quelques heures, des articles sur une joueuse privée de sélection en Iran après être apparue sans voile ont été publiés non seulement dans le New York Times mais aussi dans le quotidien anglais The Independent, le tabloïd Daily Mail, le site de Russia Today et dans des dizaines de médais persanophones, notamment les versions persanes de Voice of America ou Radio Free Europe. Mais tous ces médias ont été un peu vite.
Huit ans sans sélection
En fouillant un peu, il s‘avère d'abord que le nom de Shiva Amini n’apparaît sur aucun liste des joueuses sélectionnée pour l’équipe iranienne de futsal depuis 2009, à l'occasion des Jeux asiatiques en salle au Vietnam. La Fédération iranienne a confirmé qu'elle n’avait pas été appelée depuis. Etrange d’évoquer son exclusion d’une équipe où l’on n’a pas mis les pieds depuis huit ans.
La rédaction des Observateurs de France 24 a contacté Shiva Amini. Elle explique avoir refusé de jouer pour l’équipe nationale après 2009 en raison de divergences avec sa fédération. Elle a continué à jouer en club, jusqu’à ce qu’une blessure aux ligaments croisés en 2012 la contraigne à devenir entraîneur. Mais après une saison, elle dit avoir finalement mis le futsal de côté et ne pas l'avoir pratiqué en compétition de 2013 à 2017, s'adonnant à d'autres sports. Mais il y a un mois, selon elle :
Le coach d’un club en Iran a dit à l’un de mes amis qu’il voulait que je vienne jouer pour son équipe. Et puis une autre équipe m’a proposé de venir jouer et de l’entraîner. J’ai aussi repris le futsal lors de deux voyages en Italie et Autriche, où j’ai donc joué avec des hommes et sans voile. Quand j’ai posté les photos de mes matchs sur Instagram, des amis en Iran m’ont alerté en me disant que ça allait peut-être me causer des problèmes dans mon pays. Puis, un photographe m’a dit que mes photos avaient été publiées en dehors de mon compte Instagram. Je n’ai pas vu où mais j’ai contacté la fédération pur savoir ce qui se passait.
J’ai voulu rester anonyme, j’ai juste dit que je ne me trouvais pas en Iran, et que j’avais joué à l’étranger sans voile et avec des hommes, et j’ai demandé ce que je risquais. J’ai eu plusieurs interlocuteurs et des réactions très variées. Certains ont été compréhensifs, mais d’autres m’ont fait la leçon. Une femme m’a dit qu’elle me reconnaissait, avait vu les vidéos et qu’en tant que femme je ne devrais pas faire ça. Finalement, un responsable haut placé m’a dit : "Il est très clair que tu avais planifié ton action et que tu as roulé pour l’opposition et des groupes anti-islam ". Je n’avais aucune idée de quoi il pouvait parler, mais j’ai eu très peur.
Mais Shiva Amini l’affirme à France 24 : elle n’a jamais reçu de note officielle de la fédération de futsal lui interdisant de pratiquer ce sport dans son pays.
Tout et son contraire ?
Sauf que dans une interview à Voice of America le lendemain de la publication de ses photos, elle a déclaré avoir été proprement "interdite d’équipe nationale". Elle explique à France 24 s’être mal exprimée et avoir voulu dire que si elle revenait en Iran elle serait interdite de toute compétition.
Mais son interview à VOA a déclenché l’emballement. Certains médias semblent donc être allé un peu vite sans vérifier la réalité de la situation auprès de la fédération iranienne de futsal et de la joueuse elle-même.
Quoiqu’il en soit, si une femme est vue en train de faire du sport sans voile, même à l’étranger, elle peut être sanctionnée. Ça a été le cas de joueuses de billard, sanctionnées par leur fédération le mois dernier. Il en va de même dans les domaines politiques ou culturels : toute Iranienne qui n’observe pas les codes islamiques, à commencer par le port du voile, peut s’attendre à avoir des problèmes à son retour au pays.