FRANCE

Compte de Macron aux Bahamas : autopsie d’une intox en plein débat présidentiel

Après le débat opposant Marine Le Pen et Emmanuel Macron, des documents douteux concernant un prétendu compte off-shore du candidat d'En Marche ! ont circulé sur les réseaux sociaux.
Après le débat opposant Marine Le Pen et Emmanuel Macron, des documents douteux concernant un prétendu compte off-shore du candidat d'En Marche ! ont circulé sur les réseaux sociaux.

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Lors du débat présidentiel opposant Emmanuel Macron à Marine Le Pen mercredi soir, une rumeur parcourt massivement les réseaux sociaux : le candidat d’En Marche ! aurait un compte offshore caché. Elle fait écho à une insinuation de Marine Le Pen sur le plateau du débat. La rumeur se base sur des documents diffusés par des réseaux bien connus, déjà épinglés pour avoir relayé de fausses informations lors de la présidentielle américaine.

Rappel des faits : deux documents affolent Twitter

Mercredi, un peu avant 23h30 heure de Paris, Twitter s’affole : deux documents bancaires relayés et partagés par près de 7 000 internautes avec le hashtag #MacronGate démontreraient qu’Emmanuel Macron détient un compte bancaire offshore aux Bahamas.

Le premier document est un contrat d’accord opérationnel de 15 pages pour la création d’une société à responsabilité limitée (LLC) du nom de "La Providence" ou apparaît dès la première ligne le nom "Emmanuel Macron ", daté du 4 mai 2012.

Le second est un courrier daté de février 2015, censé montrer une transaction financière de  "La Providence" vers un compte de la "First Caribbean Bank", une banque basée aux îles Caïmans, un paradis fiscal. Le propos est clair : Emmanuel Macron aurait créé une société pour organiser son évasion fiscale.

Au même moment, lors du débat, alors que les deux candidats discutent du fonctionnement des institutions de la Ve République et de la convocation devant la justice de la présidente du Front national (FN), Marine Le Pen déclare à Emmanuel Macron :

"J’espère qu’on apprendra rien, dans les quelques jours ou quelques semaines… [puis quelques secondes plus tard] J’espère qu’on n’apprendra pas, monsieur Macron, que vous avez un compte offshore au Bahamas, je ne sais pas, j’en sais rien moi ! "

Les documents sont-ils authentiques ?

MISE A JOUR : 05.05.17 à 17h30

Le site Numerama a inspecté de plus près les documents, et notamment, le second document évoquant l'échange bancaire. En ouvrant le document dans un logiciel d'édition de PDF comme Abode Illustrator, on se rend compte qu'il existe des informations cachées. Ces informations sont en fait des calques qui montrent que le document est un assemblage de deux images différentes : l'une est l'en-tête du document bancaire, la seconde est un document texte mentionnant les noms du supposé banquier et de l'entreprise "La Providence" avec le texte du courrier.

Nous avons également fait la démonstration avec le même logiciel que vous pourrez retrouver dans la vidéo ci-dessous. Il apparait clairement que le document bancaire est un montage de deux calques différents, donc clairement un faux. L'internaute qui a diffusé le document a "oublié" de rendre indisponible ces informations, encore associées au PDF. D'ailleurs, ce matin, les mêmes documents ont de nouveau été posté par le même internaute sur 4chan, mais cette fois, au format image JPEG, qui lui permet de supprimer les calques... probablement s'est il rendu compte de son erreur.

Autre élément : En regardant bien les documents, plusieurs éléments apparaissent douteux. Sur les documents initiaux diffusés sur 4chan, que France 24 a pu retrouver, plusieurs incohérences graphiques apparaissent nettement : sur le document de "création de société" d’abord, la signature d’Emmanuel Macron en dernière page semble photoshopée. En effet, lorsqu’on zoome dessus, une différence de netteté apparaît entre la graphie du prénom "Emmanuel" et celle du nom "Macron", une différence qui ne devrait pas exister sur un document scanné ou pris en photo.

Même constat sur le document de banque, où là encore, des incohérences graphiques apparaissent lorsqu’on zoome : des parties apparaissent rajoutées, comme si elles avaient été collées à la hâte. Par ailleurs, ce document indique qu’il doit comporter deux pages, mais une seule a été publiée. Peut-être que la deuxième aurait pu contenir des informations complémentaires….

Difficile pour l’internaute d’y voir clair, car l’intégralité des documents n’apparaît pas dans les tweets et les différents articles relayant la fausse information : seules des données parcellaires ont été relayées.

La rédaction des Observateurs de France 24 a contacté la First Caribbean Bank, et transmis le document à leur service de fraude. Nous publierons des éléments complémentaires si leur réponse nous parvient.

Ces éléments d’analyse ne permettent pas d’affirmer qu’Emmanuel Macron n’a pas de compte offshore. Mais les documents diffusés ne sont clairement pas assez crédibles pour affirmer que le candidat aurait fraudé. D’autant plus que leur diffusion sur Twitter a suivi des chemins typique des fausses informations…

D’où vient cette rumeur ?

1. Des documents publiés sur 4chan, réseau adepte du conspirationisme

D’où émane cette "information" ? Elle a été publiée pour la première fois sur le forum 4chan, un site de publication d'images entièrement anonyme, où se rencontrent notamment les adeptes des théories conspirationnistes. L’utilisateur, caché derrière un proxy en Lettonie, explique qu’il a "envoyé le document à des centaines de journalistes" mais que "aucun n’a donné suite". Il explique vouloir "révéler où Macron cache son argent" et demande un partage massif de l’information sous le hashtag #MacronCacheCash pour "dissuader les électeurs français de voter Macron".

2. Un relais via des sites adeptes de fausses informations, influents lors de la présidentielle aux États-Unis

Deuxième étape : les documents sont relayés par le site "Disobedient Media", qui se présente comme un média "d’investigation".

Le site a été lancé par un certain William Craddick, qui a déjà fait quelques coups en termes d’intox : il avait déjà relayé massivement l’affaire du "PizzaGate" visant Hillary Clinton lors de la présidentielle américaine. Il avait été prétendu qu’il existait un réseau de pédophilie autour de John Podesta, l'ancien directeur de campagne d'Hillary Clinton et impliquant également, selon eux, le gérant de la pizzeria Comet Ping Pong à Washington.

L’article prend de l’ampleur lorsque Jack Posobiec, ancien membre de Citizens for Trump, un groupe de militants qui a soutenu la candidature du milliardaire à la Maison Blanche et adepte des théories conspirationnistes, relaie l’article.

Comme le montre l’infographie ci-dessous, réalisée par Nicolas Vanderbiest qui analyse régulièrement les réseaux de la "patriosphère" sur Twitter, c’est cet internaute qui a popularisé l’article. Son tweet a été relayé près de 3 000 fois.

3. Une diffusion massive via des comptes anglophones et francophones gravitant autour des mouvements pro-Trump et pro-Russe

Dernière étape : l’information se répand comme une traînée de poudre aux alentours jusqu'à minuit, comme le montre le graphique ci-dessous diffusé par Nicolas Vanderbiest, blogueur et chercheur belge à l’université de Louvain:

Interrogé par France 24, ce dernier explique avoir relevé un curieux élément :

J’étudie régulièrement les courants de ce qu’on peut appeler 'la patriosphère', notamment les internautes qui relaient énormément des articles venant de médias russes. Hier, sur cette rumeur, j’ai identifié aux alentours de minuit 213 comptes francophones qui avaient partagé l’information. Dans ces comptes, 88 font partie des internautes régulièrement actifs pour partager les liens de médias comme Russia Today ou Sputnik, donc 41 % des internautes.

C’est la première fois, lors de cette élection présidentielle française, qu’il y a une concordance aussi élevée de comptes de la "patriosphère" russe qui relaient la même information visant à discréditer un candidat, et montrer comment influencer l’opinion.

Par ailleurs, de nombreux autres comptes identifiés comme pro-Trump ont également tweeté hier en français, parfois avec des fautes de grammaire, comme l’a montré la consultante en communication Stéphanie Lamy dans une série de tweet :

À signaler : certains membres appartenant à des réseaux conspirationnistes ont expliqué hier ne pas vouloir relayer ces documents, faute de preuve réelle.

Quelle suite à cette rumeur ?

Ce matin, au micro de RMC, Marine Le Pen a mis un peu d’eau dans son vin en déclarant ne "pas avoir de preuve pour le compte aux Bahamas" sinon elle "lui aurait posé la question. (...) Mais je ne veux pas qu'on découvre les choses trop tard. On a même plus le droit de lui poser la question ?".

De son côté, Emmanuel Macron, interrogé sur France Inter pour savoir s’il avait un compte au Bahamas, a répondu que cela était "factuellement faux" accusant Marine Le Pen d’avoir "lancé ses troupes sur Internet" pour mettre cela en place.

Dans la foulée, FranceInfo a affirmé que le candidat d’En Marche ! allait porter plainte pour "propagation de fausse nouvelle destinée à avoir une influence sur le scrutin" et le parquet de Paris a annoncé l’ouverture d’une enquête confiée à la Brigade de répression de la délinquance sur la personne.