BURUNDI

Au Burundi, des jeunes proches du pouvoir appellent à "engrosser les opposantes"

Capture d'écran de la vidéo ci-dessous.
Capture d'écran de la vidéo ci-dessous.
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"Engrossez les opposantes" : c’est ce que chantent des Imbonerakure – la ligue des jeunes du parti au pouvoir, le CNDD-FDD – dans une vidéo tournée à Ntega, dans la province de Kirundo, dans le nord du Burundi, et qui circule sur les réseaux sociaux depuis le 3 avril. Face au tollé suscité par cette vidéo, le CNDD-FDD a finalement condamné cet "écart de langage". Nos Observateurs rappellent qu’ils entendent pourtant cette chanson depuis 2015 et qu’elle ne doit pas être prise à la légère, puisque de nombreux viols commis par les Imbonerakure ont déjà été recensés.

Dans cette vidéo, des dizaines d’hommes – peut-être une centaine – sont alignés. Ils commencent ensuite à chanter en kirundi – la langue locale – en tapant dans leurs mains, au son des sifflets. Ils répètent d’abord une dizaine de fois "terinda abakeba bavyare Imbonerakure", ce qui signifie "engrossez les opposantes [pour] qu’elles enfantent des Imbonerakure". On peut ensuite entendre "abasore ni benshi tuvyare Imbonerakure", c’est-à-dire "nous, les célibataires, sommes nombreux. Donnons naissance aux Imbonerakure". Enfin, ils répètent une quinzaine de fois "barahwera", ce qui signifie "ils vont mourir" ou "ils vont souffrir".

Un homme apparaît brièvement à la fin de la vidéo. Il porte un T-shirt où il est écrit "FDN", un acronyme désignant la "Force de défense nationale". Selon Pacifique Nininahazwe, un défenseur des droits de l’Homme en exil interrogé par RFI, cet élément pourrait corroborer des informations selon lesquelles les Imbonerakure seraient "formés par des militaires burundais" – des accusations toutefois démenties par le pouvoir.

Enfin, on peut lire sur la façade du bâtiment derrière eux : "Permanence du parti CNDD-FDD en commune Ntega."

Cette vidéo circule sur les réseaux sociaux depuis le 3 avril.

Selon Jeune Afrique, qui cite des sources locales, ces images auraient été tournées le 1er avril.

Cette vidéo a suscité un tollé. Charles Nditije, président du Cnared – une plateforme regroupant la quasi-totalité de l'opposition – a ainsi dénoncé "un appel au viol massif des femmes de l'opposition", un point de vue partagé par de nombreux internautes :

Un commentaire publié sur Facebook.

Volte-face des autorités

Dans un premier temps, les autorités ont assuré qu’il s’agissait d’un montage. Yves Lionel Nubwacu, membre de l’équipe de communication de la présidence, a ainsi indiqué sur Twitter que la vidéo avait été réalisée par les "Sindumuja", un terme désignant ceux qui luttent contre le pouvoir burundais. Il a également assuré que ces images étaient anciennes.

Mais le CNDD-FDD a finalement confirmé l’authenticité de cette vidéo, à travers un communiqué publié le 5 avril, indiquant qu’elle montrait "des jeunes […] à Ntega qui se rencontraient pour échanger les vœux de 2017". Cette chanson "ne concorde ni avec les mœurs ni avec l’idéologie du parti CNDD-FDD. Le parti CNDD-FDD a condamné […] cet écart de langage et la commission de discipline est déjà à pied d’œuvre pour déterminer les responsabilités afin que les coupables soient sanctionnés", indique le communiqué. "Les enquêtes préliminaires révèlent une influence externe au parti avec intention de nuire comme étant à la base de cette vidéo", est-il également écrit.

Le communiqué de presse du CNDD-FDD, publié mercredi 5 avril.

"J’ai déjà entendu les Imbonerakure scander cette chanson en 2015"

Plusieurs de nos Observateurs burundais affirment avoir déjà entendu cette chanson. C’est le cas de Nella (pseudonyme), qui vit dans la capitale Bujumbura :

J’ai déjà vu des Imbonerakure entonner cette chanson à plusieurs reprises, notamment en 2015, lorsque le CNDD-FDD faisait campagne pour les élections. [D'autres Observateurs indiquent également qu'il existe d'autres chansons violentes ou diabolisant les opposants, NDLR.]

Mais c’est la première fois que les autorités réagissent. Je pense qu’elles ont réagi uniquement parce que cette vidéo montre clairement l’endroit où ce rassemblement s’est tenu – ce qui n’aurait pas été le cas si ça avait été un enregistrement audio – ainsi que les intentions de ces jeunes. Cela dit, on dirait que le parti cherche à se dédouaner en évoquant une "influence externe"…

"Des Imbonerakure ont demandé à une femme si elle préférait être tuée ou avoir des rapports sexuels avec eux"

Maître Armel Niyongere est membre d’un collectif d’avocats défendant les victimes des violations des droits de l’Homme au Burundi, qui a déjà saisi la Cour pénale internationale et le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme à ce sujet. Il a également fondé l’association "SOS Torture - Burundi" en décembre 2015, qui publie régulièrement des rapports sur cette thématique.

Cette vidéo montre le sentiment d’impunité qui existe chez les Imbonerakure : ils ne se cachent même pas pour scander de tels slogans, alors que le viol est puni au Burundi, comme l’indique le Code pénal.

Les Imbonerakure ont déjà commis de nombreux viols, parfois avec la complicité d’agents de la police ou du Service national de renseignement. De notre côté, nous avons déjà récolté les témoignages d’une dizaine de victimes. C’est peu car elles ont souvent peur de témoigner, sans compter qu’il n’est pas admis dans la culture burundaise que les femmes parlent ouvertement de ce genre de choses.

La majorité des victimes ayant témoigné étaient membres du MSD – un parti d’opposition – ou habitaient dans les quartiers contestataires de Bujumbura. [C'est là que l’opposition au pouvoir était la plus forte en 2015, NDLR.] Certaines ont également été violées car leur mari était opposant. Et beaucoup d’entre elles sont Tutsies.

Par exemple, une femme nous a raconté qu’elle avait été arrêtée par des Imbonerakure à Bujumbura. Ils lui ont demandé si elle préférait être tuée ou avoir des rapports sexuels avec eux et être libérée ensuite. Elle a eu tellement peur qu’elle n’a pas répondu. Du coup, les jeunes l’ont déshabillée, puis cinq d’entre eux l’ont violée. Elle a finalement été libérée au bout de trois jours, après avoir été violée à nouveau. Ensuite, elle a tout raconté à son mari, qui a alors décidé de la chasser du foyer. Désormais, elle regrette de lui avoir dit tout ça…

Actuellement, il n’existe aucune volonté de la part de la justice burundaise pour enquêter sur ces crimes. C’est d’ailleurs pour cela que les victimes et leurs familles saisissent directement les instances internationales.

Plusieurs rapports font également état de viols commis par les Imbonerakure depuis 2015, dans des cirsconstances similaires à celles décrites par Maître Armel Niyongere, comme ceux de Human Rights Watch et de l'ONU, respectivement publiés en juillet et septembre 2016.

À la suite de la diffusion de cette vidéo, France 24 a contacté le CNDD-FDD, ainsi que Nancy-Ninette Mutoni, secrétaire nationale chargée de l’information et de la communication du parti, mais n'a pas obtenu de réponse pour l'instant.