Pour sauver les toxicomanes, des Canadiennes ouvrent un "centre de shoot" éphémère
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Un homme en overdose est pris en charge près du quartier Downtown Eastside, à Vancouver. Photo Sarah Blyth.
Texte par :
Catherine Bennett
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Le Canada fait face à sa plus grave crise d'opioïdes selon l’aveu du ministre fédéral de la Santé : les cas de décès par overdose explosent et le gouvernement peine à répondre à l’urgence. Face à cette situation, des Canadiennes ont décidé d’ouvrir leurs propres salles de shoot.
Durant l’année 2016, le cas de morts par overdose a augmenté drastiquement dans la province de Colombie-Britannique (ouest du Canada) : 922 personnes sont mortes d’overdose d’une drogue illicite, bien plus que les 513 décès durant l’année 2015. Des centres de shoot supervisés par l’État existent, mais selon la plupart des activistes, en nombre insuffisant. Lassés d’attendre une réaction des autorités, des habitants ont décidé de prendre le taureau par les cornes.
Un panneau d’avertissement du gouvernement pour alerter sur les signes d’overdose et les bons réflexes à avoir.
Sarah Blyth et Ann Livingstone sont deux d’entre elles. Elles ont fondé la Société de prévention de l’overdose à Vancouver. Selon elles, il existait un besoin très urgent de répondre à la demande des personnes en situation de dépendance dans le centre-est de la ville.
Sous cette tente, un centre de shoot improvisé dans une ruelle du centre de Vancouver. Photo by Travis Lupick.
"On en a eu assez d'attendre et de regarder les gens mourir"
Sarah Blyth travaille comme bénévole pour la municipalité de Vancouver, dans le quartier de Downtown Eastside Market.
Derrière le supermarché de ce quartier, il y a des ruelles populaires remplies de toxicomanes. J’ai travaillé avec des centres de shoot, et nous voyions tous les jours de très nombreux cas d’overdoses. Sauf qu’à cet endroit de Vancouver, il n’y en avait pas. Nous avons décidé de monter une petite tente sur laquelle on avait écrit "Narcan" [un médicament incluant de la naloxone, un antidote pour les personnes en crise, NDLR]. On l’a fait par nécessité : juste à côté du supermarché, il y avait des gens en détresse que nous devions aider.
Des activistes et des habitants manifestent contre l’inaction du gouvernement dans leur quartier. Ils demandent des mesures pour venir en aide aux personnes dépendantes à la drogue, le 21 février dernier.
Le gouvernement ne faisait rien par ici. On en a eu assez d’attendre que l’administration bureaucratique se mette en marche, et de regarder les gens mourir. On a juste commencé comme ça, avec une tente, quelques kits de Narcan, une table et une chaise. Aujourd’hui, nous avons près de 300 personnes par jour qui viennent demander des soins.
Des volontaires travaillant avec la Société de prévention de l’overdose à Vancouver.
Bien sûr, monter une tente comme ça, sans permission, c'est normalement illégal. Les autorités ont appris que nous avions fait ça quelques semaines après que nous ayions démarré. Même si c’est illégal, ils ont vite réalisé que c’était mieux que de laisser les gens mourir. Nous avons dû cependant attendre trois mois et demi avant que les autorités nous donnent le feu vert définitif, en décembre dernier.
Généralement, les centres de shoot se trouvent très loin de l’endroit où les toxicomanes en ont vraiment besoin. Beaucoup de gens meurent chez eux, seuls, car ils sont sans surveillance. Nous incitons les consommateurs de drogue à venir dans notre centre pour être en sécurité.
Dans le centre, un volontaire examine une personne en situation de dépendance.
Plus assez de place dans les morgues de Colombie-Britannique
Les efforts de Sarah et des autres membres n’ont pas été vains : le gouvernement prévoit de voter prochainement une loi pour légaliser plus rapidement ce type de centre éphémère. Et il y a urgence, car le nombre de décès à cause du fentanyl, la drogue pointée du doigt comme étant à l’origine de la plupart de ces overdoses en série, commence à avoir des conséquences graves sur les structures de l’État.
Ce graphique montre la courbe des décès dûs à l'injection de fentanyl, en comparaison avec les autres drogues.
Contactée par France 24, Lisa Lapointe, la responsable des médecins légistes de Colombie-Britannique, explique que le fentanyl vient souvent de Chine et entre par de la contrebande dans les ports canadiens. La Colombie-Britannique est la première touchée car elle est une ville côtière.
Pas besoin de grandes quantités de ce fentanyl venant de Chine pour être rapidement drogué. De plus, c’est une matière très fine, qu’il est très facile de cacher. Impossible de contrôler la qualité de ces produits qui rentrent sur le territoire.
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Photo prise à l'intérieur d'un centre de shoot du gouvernement. Photo Travis Lupick.
Nous n’avons pas vu cette crise venir : aujourd’hui, nous avons tellement de décès par overdose que c’est devenu notre priorité en matière d’enquête. Cela fait peser une lourde pression sur nos infrastructures, car il n’y a plus assez de place dans les morgues pour accueillir tous ces morts d’overdose. Il y a urgence : nous voyons toute sorte de profils, des infirmières, des professeurs, des femmes au foyer… Souvent des gens qui ont une vie normale, mais qui sont dépendants à la drogue. Nous essayons de dresser un profil type du dépendant au fentanyl, mais c’est très complexe.