Le fentanyl au Canada : "Cette drogue prend le contrôle de votre vie"
Publié le : Modifié le :
Une crise sanitaire sans précédent touche actuellement le Canada. Le pays doit faire face à l’augmentation croissante et inquiétante du nombre de décès par overdose d’opioïde causée par la drogue fentanyl. La réponse des autorités tarde, à tel point que les initiatives personnelles fleurissent pour tenter de résoudre cette crise, avec notamment l’ouverture de centre d’injection sécurisé. Enquête, en deux parties, avec nos Observateurs.
À l’origine de la crise d’overdoses qui frappe le Canada, il y a une drogue : le fentanyl, un opioïde puissant qui peut avoir des effets jusqu’à cent fois plus fort que l’héroïne.
Une dose fatale d'héroïne dans le flacon gauche, et une dose fatale de fentanyl dans la droite. Photo publiée par la Police d'État du New Hampshire aux États-Unis.
Le fentanyl peut-être fumé ou injecté, mais il se trouve également sous forme de patchs imprégnés de gel qu’il est possible de mâcher ou de coller sur la peau. Pour comprendre l'apparition de cette drogue au Canada et les nombreuses overdoses qu'elle a provoquées, il faut revenir un peu en arrière, à l'époque où est apparu sur le marché un autre opioïde, appelé OxyContin, dont l’ingrédient principal est l’oxycodone.
L’OxyContin, élément déclencheur de la crise
Traditionnellement, les opioïdes ont été utilisés pour traiter les douleurs aiguës et sévères, comme chez les patients atteints de cancer en phase terminale. Mais lorsque l’OxyContin est arrivé sur le marché en 1996, la donne a changé. Les représentants pharmaceutiques et les conventions médicales parrainées par les pharmacies ont déclaré aux médecins que, l’OxyContin ayant une composante à libération lente (ce médicament libère de l’oxycodone lentement et sur une longue période de temps), il pourrait être également utilisé pour traiter des douleurs chroniques. Les médecins ont alors commencé à le prescrire pour des problèmes de maux de tête par exemple. Ce qu’ils ne savaient pas à l’époque, c’est que ce produit était à la fois addictif et mortel.
À la fin des années 90, des rapports ont fait état d’un énorme pic de toxicomanie et de surdosage d’opioïdes. Face à ces effets néfastes, le médicament a été retiré du marché par son fabricant, Purdue Pharma, en 2012, et remplacé par un autre médicament à base d’oxycodone appelé OxyNeo, beaucoup plus difficile à écraser ou injecter. Les toxicomanes ont alors été chercher ailleurs… Et c’est à ce moment-là que le fentanyl a fait son apparition.
“ La drogue est très omniprésente. Tous mes amis en prennent.”
Keera Roberts a 27 ans et vit à Castlegar, en Colombie-Britannique, une province du Canada située sur la côte Ouest. Elle est devenue accro à l’oxycodone après qu’un médecin lui a prescrit de l’OxyContin suite à un accident du travail. En 2012, lorsque le médicament a été interdit à la vente, sa prescription a été interrompue. À la recherche d’un substitut, elle s’est alors mise à acheter des drogues illicites dans la rue. C’est à ce moment-là qu’elle est devenue dépendante au fentanyl.Le fentanyl est vraiment arrivé sur le marché – des drogues illicites – il y a deux ans. Quand j’allais à des fêtes plus jeune, certaines drogues circulaient et vous pouviez trouver de l’ecstasy, ou des champignons… Désormais, vous trouvez du fentanyl. Quand cette drogue est apparue la première fois, les gens n’en voulaient pas, aujourd’hui, ils ne veulent que ça.
J’aime l’effet que procure le fentanyl. C’est bien plus fort [que l’OxyContin]. J’en prends beaucoup moins, un quart de ce que je prenais avant avec l'OxyContin, mais ça me suffit à délirer. Il y a beaucoup de surdoses parce que certains vont prendre la même dose que ce qu’ils prenaient avant… Or le fentanyl est beaucoup plus puissant. Je m’en injecte tous les jours, toutes les quatre heures. Je fais des études pour obtenir un diplôme, mais j’ai raté plusieurs jours de cours à cause de syndromes de sevrage. Cette drogue contrôle vraiment votre vie.
Rien que dans la région où je vis, trois de mes amis sont morts l’an passé. Quand il s’agissait seulement d’opiacés classiques en vente dans les pharmacies, je n’ai jamais vu de surdoses. Maintenant, je donne du Narcan à mes amis [autre nom du naloxone, une substance antagoniste utilisée dans le traitement d’urgence des surdosages aux opiacés, NDLR] et je regarde des gens se faire enterrer.
Des flacons de naloxone, le médicament qui permet d’éviter les overdoses.Je vendais du fentanyl pendant un moment, mais en voyant des gens en mourir, je me suis arrêtée. Quand mes amis m’en demandaient, je ne leur donnais pas, parce que je ne voulais pas causer leur mort.
Dans ma ville, les catastrophes liées à la drogue ne sont pas visibles. Vous ne verrez pas des gens dormir dehors, ou se tirer dessus comme à Vancouver. C’est une belle ville. Si vous deviez la traverser en voiture, vous ne verrez rien. Mais la drogue est très omniprésente. Tous mes amis en prennent, et ont chez eux un kit de Narcan.
Des drogues venues de laboratoires chinois
Produit dans des laboratoires clandestins en Chine puis importé au Canada, le fentanyl a commencé à être vendu dans la rue après le retrait du marché de l’OxyContin. À mesure que la demande a augmenté, le prix de cette drogue est devenu de moins en moins élevé, facilitant ainsi son accès.
Une personne en overdose à Vancouver.
3,6 décès par jour en Colombie-Britannique
La Colombie-Britannique est la province la plus touchée et a été la première à déclarer l’état d’urgence sanitaire en avril 2016. En février 2017, il y a eu en moyenne 3,6 décès par jour, soit une augmentation de 72,9 % en seulement un an. Au niveau national, il est difficile d’avoir une image globale de la crise, la collecte de données parmi les différents services publics, comme les pompiers et les hôpitaux, s’organisant au niveau provincial.
Le 17 février dernier, le gouvernement canadien a annoncé qu’il débourserait 65 millions de dollars canadiens au cours des cinq prochaines années pour mettre en œuvre des mesures nationales afin de lutter contre la crise des opioïdes. Dix millions iront directement aux services d’urgence de la Colombie-Britannique.
Mais certains militants canadiens, lassés d’attendre que de véritables mesures soient mises en place, ont déjà créé leurs propres salles de shoot mobiles pour éviter les surdoses.
La deuxième partie de cette enquête sera publiée mardi 4 avril sur le site des Observateurs de France 24.