Pour rompre l’isolement des migrants arrivant au Danemark, un collectif d’artistes a ouvert dans la capitale un lieu d’intégration. Cours de langues, aide à la scolarisation ou à l’entrée sur le marché du travail : la Trampoline House est devenue un rare lieu de socialisation et d’accompagnement pour les migrants dans un pays où l’intégration relève souvent du parcours du combattant.
Le Danemark ne cache plus ses réticences à l’accueil des réfugiés. La dernière mesure choc remonte à janvier 2016, quand le Parlement danois a adopté une loi controversée comportant la possibilité pour la police de confisquer les biens des demandeurs d’asile d’une valeur supérieure à 10 000 couronnes (1 340 euros) pour… financer les aides sociales qui leur étaient destinées. D’autres mesures avaient déjà été prises comme celle de réduire de 10 % les allocations ou de faire passer d'un à trois ans le délai autorisant le regroupement familial.
Malgré ces mesures dissuasives, en 2015, 21 000 demandes d’asile ont été enregistrées au Danemark. Un chiffre bien moins élevé que dans le pays voisin, la Suède, où 163 000 migrants sont arrivés sur la même période, mais qui place le Danemark, qui compte 5,6 millions d'habitants, parmi la dizaine de pays européens accueillant le plus de réfugiés, proportionnelement à sa population totale. Une fois arrivés sur place, les migrants sont automatiquement placés dans des camps excentrés des villes, où ils attendent parfois des mois, voire des années, avant d’avoir une réponse à leur demande d’asile.
Vidéo sur la Trampoline House.
Persuadé que la société danoise a intérêt à mieux accueillir ces nouveaux arrivants, Morten Goll, un artiste danois, s’est lancé en 2010¸ avec un collectif d’activistes, dans un tour des camps, pour rencontrer les demandeurs d’asiles mis à l’écart. Un an plus tard, il a créé la "Trampoline House", un lieu de vie, de rencontre et d’échanges de services entre Danois et migrants. Depuis l’an dernier, le lieu aide également les réfugiés à trouver du travail ou reprendre leurs études.
"Il est important de responsabiliser chacun et pas seulement d’être dans la charité"
La plupart des réfugiés que j’ai rencontré dans les camps m’ont confié que l’isolement était ce dont ils souffraient le plus, provoquant même chez certains des troubles psychologiques ou de la dépression. L’idée de la Trampoline House est de rompre cet isolement en créant un lieu de partage et de rencontre. Pour réaliser ce projet, nous avons reçu des financements de la part de plusieurs fondations. Nous dépendons aujourd’hui de financements privés et participatifs, mais aucune aide n’est versée par le gouvernement.
Toutes les personnes qui viennent ici sont bénévoles, y compris les migrants. On est tous là pour s’apporter quelque chose. Certains donnent des cours de danois ou d’anglais, contre des cours de cuisine ou de persan. Je pense qu’il est important de responsabiliser chacun et de ne pas seulement d’être dans la charité, car la charité n’a jamais permis à personne d’être tiré vers le haut.
"Mettre en relation les demandeurs d’asile avec des entreprises partenaires"
L’an dernier, nous avons créé une base de données recensant les CV des réfugiés pour les mettre en relation avec des entreprises partenaires et les aider à trouver un emploi.
On essaie aussi d’organiser des rencontres avec des étudiants, pour que ceux qui veulent reprendre leurs études aient des "mentors" [qui les aident à les mettre en relation avec le monde de l’université au Danemark, NDLR]. Le lieu est ouvert trois fois par semaine, et nous y faisons des soirées, des concerts ou des expositions pour faire venir du monde et se faire côtoyer des gens qui ne se rencontreraient pas autrement.
Originaire du Congo et âgé de 26 ans, Eli est arrivé au Danemark il y a deux ans. Après avoir été contraint de changer plusieurs fois de camp pendant plusieurs mois, c’est dans celui de Sandholm, au nord de Copenhague, qu’un ami lui parle de la Trampoline House. Grâce à laquelle il a pu prendre ses études.
"Ici, on ne me voyait pas comme un demandeur d’asile"
La vie dans les camps était compliquée. On avait quelques cours de danois, mais mis à part ça, on ne faisait rien. Même entre demandeurs d’asile, on ne se parlait pas beaucoup : on était trop stressé. Après quelques mois, un ami réfugié m’a parlé de la Trampoline House. Il m’y a accompagné la première fois, en train. Depuis, j’y vais presque toute les semaines. Cet endroit m’a permis de sortir de la solitude et rencontrer des gens accueillants qui ne me voyaient pas seulement comme un "demandeur d’asile". J’y ai appris le danois et l’anglais.
L’an dernier, peu de temps après avoir obtenu un titre de réfugié de deux ans renouvelable, j’ai rencontré là-bas un ancien étudiant de la Borups Højskole, une fac d’art à Copenhague. Avec son aide et celle de Morten, qui m’a aidé à rédiger une lettre de motivation et m’a entraîné aux oraux d’admissions, j’ai été reçu en master dans cette école. Sans leur aide, je pense que jamais je n’aurais pu reprendre mes études. Pour moi, c’est un miracle. Je suis d’ailleurs le seul Africain de ma promo. Il n’y a que des étudiants venus des pays scandinaves !
En septembre dernier, un parti d’extrême droite avait fait la une des journaux pour avoir distribué dans la rue des "spray anti-migrants". Une campagne nauséabonde significative de la poussée xénophobe dans le pays, où depuis les attentats de 2015, les partis anti-immigration progressent dans les urnes.