Les ailes coincées dans les filets, des milliers d’oiseaux massacrés à Chypre
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Des oiseaux capturés dans des filets, puis achevés et ramassés : c'est ce que montre une vidéo inédite tournée à Chypre, diffusée la semaine dernière. Celle-ci met en lumière un problème qui n’est pourtant pas nouveau : des centaines de milliers d’oiseaux sont tués chaque année sur place – notamment sur l’un des deux territoires britanniques de l’île – pour être revendus à des restaurants, en toute illégalité.
Cette vidéo a été tournée près de Larnaca, une ville du sud de l’île. Depuis 1974, Chypre est divisée entre la République de Chypre, hellénophone, située au sud, et la République turque de Chypre du Nord, au nord. Mais elle compte aussi deux "bases militaires souveraines" (Akrotiri et Dhekelia), des zones placées sous la souveraineté de l’ancien colon britannique, où travaillent notamment des fermiers.
Ces images ont été enregistrées par un membre de la Société royale pour la protection des oiseaux (RSPB), une organisation britannique protégeant les animaux.
On y voit des oiseaux emprisonnés dans des filets tendus entre des arbres. Il s’agit essentiellement de fauvettes à tête noire, mais également de rougequeues à front blanc, des espèces protégées. Des hommes viennent ensuite récupérer les volatiles et l’un d’entre eux les mord au cou pour les achever. Les oiseaux sont jetés par terre et mis dans des seaux.
Vidéo diffusée par la RSPB le 15 mars 2017.
Plus de 1,7 million d’oiseaux auraient été tués illégalement à l'automne dernier, dans les zones étudiées par l’ONG locale BirdLife Cyprus, selon son dernier rapport. Environ 21 kilomètres de filets ont ainsi été découverts – la principale méthode pour attraper les volatiles – de même que des branches recouvertes d’une substance collante. Par ailleurs, des appareils électroniques imitant le chant des oiseaux sont également utilisés pour les attirer. Ces méthodes sont illégales, dans la mesure où tous les oiseaux en sont victimes sans distinction.
Entre août et octobre 2016, 855 filets et 3 501 branches collantes ont donc été retirés par les autorités chypriotes et britanniques. En outre, 100 individus ont été arrêtés durant cette période, toujours selon le même rapport.
"La vente de ces oiseaux rapporte plusieurs millions d’euros par an"
Natalie Stylianou est membre de BirdLife Cyprus.Il n’est pas toujours évident de prendre des photos ou des vidéos de ces activités illégales, car les chasseurs peuvent être agressifs. Nous pensons que certains d’entre eux sont d’ailleurs liés au crime organisé, puisque la vente de ces oiseaux rapporte plusieurs millions d’euros par an.
L’immense majorité des oiseaux sont capturés sur le territoire de la base militaire souveraine de Dhekelia, car cette zone n’est pas clôturée : on peut y circuler librement en dehors des endroits où se trouvent les campements militaires. Dans les années 2000, des chasseurs sont donc parvenus à planter de nombreux acacias sur place, qu'ils utilisent pour accrocher les filets. [Le feuillage de ces arbres attire les oiseaux, NDLR]. Petit à petit, la zone dans laquelle les militaires s’entraînent à tirer est ainsi devenue une zone de non-droit. [En outre, de nombreux oiseaux migrateurs transitent par Dhekelia, NDLR.]
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Les oiseaux sont ensuite vendus à des restaurants en République de Chypre, qui servent de l’ambelopoulia [un plat traditionnel chypriote, NDLR]. Sauf que c’est illégal de servir ce plat. L’autre problème, c’est que nous avons déjà recensé 155 espèces d’oiseaux capturées [dont la moitié sont des espèces menacées, NDLR], et toutes ne sont clairement pas utilisées pour préparer ce plat. Les oiseaux qui ne sont pas vendus sont donc jetés par les chasseurs.
Il n’y a pas de volonté politique pour éradiquer ce problème. La loi n’est pas appliquée dans les restaurants [au moins depuis 2014, selon BirdLife Cyprus]. En 2015, le Conseil des ministres s’est mis d’accord pour instaurer des dérogations dans le cadre du plan stratégique approuvé pour lutter contre la capture illégale d’oiseaux. Et l’an dernier, un amendement à la loi sur la protection des espèces sauvages a été proposé, afin de l’assouplir… En fait, la plupart des Chypriotes sont indifférents face à ce problème.
Selon l’ONG BirdLife Cyprus, en dépit de l’engagement des Britanniques dans la lutte contre ces activités illégales, ceux-ci devraient redoubler d’efforts pour abattre les acacias présents à Dhekelia. Contacté par France 24, Sean Tully, le porte-parole des bases militaires souveraines de Chypre, a précisé que les captures d’oiseaux n’étaient pas réalisées au niveau des campements militaires, mais dans les zones où la population peut circuler librement. "Nous sommes engagés à nous battre contre ces activités illégales et nous allons continuer à abattre les acacias. Nous avions uniquement cessé de le faire l’an passé à la demande des habitants, qui voulaient être impliqués dans le processus", a-t-il ajouté.
France 24 a également contacté les autorités chypriotes – sans réponse pour l’instant.
ACTUALISATION (22 mars 2017) : Le service de la faune et la flore du ministère de l'Intérieur a indiqué à France 24 que "cinq restaurants [avaient] été poursuivis au cours des deux derniers mois" et qu'il existait "deux agences chargées de faire respecter la loi dans ce domaine" (la "Cyprus Police Anti-Poaching Unit" et le "Cyprus Game & Fauna Service"). En outre, il a indiqué que les autorités chypriotes n'étaient pas compétentes pour intervenir dans les bases militaires souveraines britanniques.