Les habitants de Syrte rentrent enfin chez eux, mais l’ombre de l’EI plane
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Deux mois après la reprise de la ville aux combattants de l’organisation État islamique (EI), les habitants de Syrte, à 450 kilomètres à l’est de Tripoli, sont autorisés à rentrer chez eux. Un retour accompagné de mesures de sécurité drastiques pour empêcher toute infiltration de jihadistes dans la ville libyenne.
Les forces loyales au gouvernement libyen d'union nationale (GNA) ont repris la ville aux combattants de l’EI le 5 décembre 2016, au terme de sept mois d’intenses combats. L’opération, baptisée Al-Bunyan Al-Marsous (Mur solide), a fait plus de 700 morts et 3 000 blessés selon les autorités libyennes.
Depuis lundi 6 février, les files de voitures ont commencé à se former aux abords de la ville, sous l’œil circonspect des militaires, postés aux check-point dans les rues principales de la ville.
Certains habitants ont déjà pu regagner leurs domiciles. Cela représente environ 300 familles selon Ahamad al-Rwati, porte-parole de l’opération Al-Bunyan Al-Marsous. L’état-major de l’opération a mis sur pied un plan de retour très progressif, qui devrait s’étaler sur tout le mois de février.
La ville a été découpée en plusieurs districts. Les habitants du district dit 700 et Gharbiyyat (en bleu) ont commencé à rentrer chez eux depuis lundi 6 février. La réinstallation des habitants du district dit n°3 (en jaune) est prévu pour le vendredi 10 février. Le retour au quartier dit Dollar (en vert) devrait commencer une semaine plus tard. La réinstallation de la population se poursuivra ainsi, sur plusieurs étapes, jusqu’à la fin du mois de février.
"Les pères de familles doivent signer un document où ils s’engagent à dénoncer l’EI"
Pour Ahamad Al Rwati, assurer la sécurité de la ville va constituer un véritable défi.L’armée a élaboré ce plan très précis, car le retour des habitants doit se faire dans des conditions de sécurité optimales. Des check-point sont installés un peu partout et des fouilles minutieuses sont effectuées sur la population. Nous vérifierons également soigneusement l’identité de chaque personne. Nous possédons aussi une liste de suspects.
L’organisation Etat islamique a contrôlé pendant plus deux ans la ville. Syrte est l’ancien fief de Kadhafi.
Quand l'EI s’est emparée de la ville en [juin 2014], des familles entières se sont ralliée à l’organisation jihadiste, juste pour se venger des rebelles qui ont mené la révolution et provoqué la chute de l’ancien dictateur.
Nous savons que certaines familles comptent des gens qui ont combattu avec les jihadistes parmi leurs proches. Et il est peu probable qu’elles les dénoncent.
"Nous craignons des actes de représailles"
Nous ne sommes pas de la région [la région étant pro-Khadafi, ses habitants sont peu enclin à rejoindre l’armée aux ordres de ses successeurs] et personne ne sait vraiment ce qui s’est passé pendant ces deux années où Syrte était sous le joug l’EI.
Nous remettons à chaque père de famille une lettre dans laquelle il s’engage à ne pas collaborer ou aider l’EI. Quiconque enfreint cet engagement en sera responsable devant la loi.
Nous avons les moyens de contrôler les accès de la ville. Mais nous ne sommes pas assez nombreux pour faire le travail de police et assurer la sécurité à l’intérieur de la ville. Or, nous craignons des actions de représailles entre les familles qui étaient contre l’EI et celles qui soutenaient l’organisation jihadiste.
Les administrations et autres services publics sont toujours fermés. Mais l’eau et l’électricité ont pu être rétablies dans la plupart des quartiers, grâce au soutien de la ville de Misrata [à 250 km à l'ouest] qui a dépêché des techniciens et des plombiers. Des volontaires se sont également attelés à nettoyer les rues.
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© {{ scope.credits }}Pour l’instant, nous ne pouvons compter que sur des actions de solidarité de ce genre pour rendre la vie acceptable à Syrte, car aucun budget n’a été dégagé pour la reconstruction de la ville en raison de la crise politique qui secoue depuis plusieurs mois le pays.
"Nous craignons un retour des jihadistes"
Le déminage des rues se poursuit. Nous faisons tout notre possible pour enlever toutes les mines qui traînent dans les rues et les bâtiments. Mais nous ne sommes pas assez nombreux et nous n’avons pas assez de matériel pour faire le travail correctement. Il se peut qu’il en reste ici et là. Il y a deux jours, un véhicule de l’armée a d’ailleurs explosé après avoir roulé sur une mine, dans le district de Souaoua à l’est de la ville. C’est aussi à cause de cela que la réinstallation de la population ne peut pas se faire plus rapidement.
>> LIRE SUR LES OBSERVATEURS : À Benghazi, les mines artisanales se désamorcent à mains nues.
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© {{ scope.credits }}Nous craignons d’autant plus un retour des jihadistes, que la région n’est pas encore pacifiée. Les brigades d’Al-Bunyan Al-Marsous continuent de mener des opérations de ratissage à une centaine de kilomètres de Syrte, ou subsistent des poches de combattants de l’EI.
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© {{ scope.credits }}En plus du chaos sécuritaire, la Libye est déchirée par une crise politique inextricable. Trois gouvernements se disputent le contrôle du pouvoir. Un gouvernement d’union nationale, soutenu par la communauté internationale ; un gouvernement de salut national installé à Tripoli depuis 2014, soutenu par une coalition de milices islamistes ; et un gouvernement "provisoire" installé à Baïda à l’est du pays.