Pénuries et zéro moyen : les médecins kenyans dénoncent leur quotidien en photos
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Des opérations chirurgicales à la lampe de poche, des murs qui s’effondrent, un manque d’équipements de base : avec des photos éloquentes et des témoignages publiés sur Twitter, des médecins kenyans du secteur public révèlent leurs conditions de travail.
Au Kenya, près de 5 000 médecins sont en grève pour dénoncer la crise du secteur de la santé depuis le 5 décembre dernier. Ils demandent notamment la multiplication de leur salaire par trois, mesure qui figurait dans un accord de négociation collective signé en 2013 mais jamais appliqué.
Après plus d’un mois de grève et l’échec des discussions avec le gouvernement, les médecins kenyans ont décidé d’étendre leur mouvement… sur les réseaux sociaux. Lundi 16 janvier, le syndicat des praticiens, pharmaciens et dentistes (KPMDU) a ainsi lancé un hashtag #mybaddoctorexperience ["ma mauvaise expérience de médecin"], invitant les professionnels des hôpitaux publics à raconter leur quotidien.
Certains ont ainsi relaté de très mauvais souvenirs :
"Ma mauvaise expérience de médecin : quand une mère est décédée après avoir accouché parce qu’il n’y avait pas de sang [pour faire une transfusion, NDLR]. Ses derniers mots : ‘appelez mon mari !’…", écrit ce médecin.
#MyBadDoctorExperience was when a mother died after delivery because there was no blood. Her last words to me "Daktari,call my husband!"...
— Nyashira (@nyashira) 16 janvier 2017
D’autres ont relayé des photos de leur lieu de travail :
"Il s’agit d’une intervention chirurgicale en cours dans notre hôpital ‘Level 5’. Le manque d’électricité dans la salle opératoire, cela arrive presque tous les jours." [Il y a neuf hôpitaux ‘Level 5’ au Kenya, ils correspondent aux principaux hôpitaux régionaux, où sont délivrés les consultations et soins spécialisés ainsi que les soins de survie, NDLR.]
This is a Surgery ongoing at our "Level 5" Hospital. Lack of power in theater is almost a daily occurrence #MyBadDoctorExperience pic.twitter.com/1TaGxW0ZaB
— Mustafa 'mustee' (@MustafaMustee) 16 janvier 2017
"Ces images ne sont pas tirées d’un film d’horreur, ce sont les logements des médecins à côté d’un hôpital ‘Level 5’ du comté [de Machakos, à 60 kilomètres de Nairobi, NDLR]."
These are not scenes from a horror movie, these are doctors quaters at one County "Level 5" hospital. #MyBadDoctorExperience #ImplementCBA pic.twitter.com/UjYdWxMtJq
— marion muli (@marionmuli) 16 janvier 2017
"Voilà la clinique dentaire dans l’hôpital ‘Level 5’, notre machine à aspiration est en panne, donc les patients crachent dans des seaux."
This is the dental clinic at one our our "Level 5 Referral Hospital "
— Mustafa 'mustee' (@MustafaMustee) 16 janvier 2017
No suction machine so patients spit in buckets #MyBadDoctorExperience pic.twitter.com/tWE3MAsdnl
"Ma patiente sénile a mis feu à son lit. Mais il n’y a pas d’extincteur dans l’hôpital."
#MyBadDoctorExperience my senile patient set his bed on fire! There are no fire extinguishers in the Hosp.#DoctorsForKenyans pic.twitter.com/0oztCJFmZ5
— Jessie Shera (@JessSherry) 17 janvier 2017
"Nos patients meurent faute d’équipements"
Le docteur Davis Ombui travaille à l’hôpital national de Kenyatta, à Nairobi, la capitale du pays. Il est également l’un des chargés de communication du syndicat KPMDU.
"Nous avons lancé ce hashtag après notre 44e jour de grève. Cette mobilisation est longue et nous a valu des critiques : les hôpitaux publics ont été paralysés et des patients n’ont pas pu recevoir leurs soins [selon la presse kenyane, des patients sont morts faute de soins pendant la grève, ce que ne nie pas Davis Ombui]. Mais ce que nous voulons montrer, c’est que de toute façon, que l’on soit au travail ou non, nos patients meurent parce que nous n’avons pas les bons équipements.
Nous demandons notamment l’augmentation des salaires des professionnels de la santé : pharmaciens, dentistes, médecins, etc. Peu payés dans le secteur public, certains préfèrent aller exercer dans le privé. Conséquence : nous manquons aussi de moyens humains pour travailler dans de bonnes conditions.
Le budget de la santé est fixé par le gouvernement central, mais ce sont les autorités locales qui versent l’argent aux hôpitaux. Du coup, ce problème dure depuis longtemps et tout le monde se renvoie la balle, sans agir."
"Certains Kenyans se demandent où va l’argent de leurs impôts…"
Mais pour les grévistes, ce hashtag permet aussi de mieux expliquer aux Kenyans les motifs de la mobilisation, parfois mal comprise. Eli [pseudonyme] est médecin. Il travaille dans l’un des hôpitaux "Level 5" et participe au mouvement. Pour des raisons de sécurité, il a souhaité garder l’anonymat.
"Beaucoup de Kenyans ont l’impression qu’il s’agit d’une grève égoïste de médecins qui veulent juste être mieux payés. Ce que nous souhaitons montrer, c’est qu’il s’agit d’un problème de société et que les citoyens en sont les principales victimes, notamment les plus pauvres qui ne peuvent pas fréquenter les hôpitaux privés.
Nous voulons être mieux formés, avoir plus de médicaments et d’équipements à disposition dans les centres de santé et des fonds pour développer la recherche. En deux jours à peine, nous avons reçu de nombreux messages de soutien. Certains Kenyans se demandent même où va l’argent de leurs impôts, censés financer les services de santé…"
"Je me sens mal parce que même si je verse plus de 25 % de mon salaire aux impôts, je ne peux pas bénéficier d’un bon suivi médical dans les hôpitaux du gouvernement…" déplore cet internaute.
#MyBadDoctorExperience I feel bad bcz despite paying over 25% of my salary to taxes, I cannot get proper medical care from the govt hosp ...
— mungai (@mungaihpk) 16 janvier 2017
Sept représentants syndicaux condamnés
Les médecins kenyans ont rejeté le 6 janvier la proposition du gouvernement d'augmenter de 40 % leur salaire et maintenu leur mouvement de grève. Selon le syndicat KPMDU, la proposition gouvernementale ne prenait pas en compte d’autres engagements conclus dans le cadre de l’accord de 2013, comme la nécessité de mieux équiper les hôpitaux et de financer la recherche. Une semaine plus tard, un tribunal a condamné sept représentants syndicaux à un mois de prison avec sursis et les a sommés de mettre un terme à la grève, jugée illégale.
Mais les activistes ne veulent plus reculer et ont menacé de fermer les hôpitaux publics si le gouvernement n’accepte pas l’application de l’accord de 2013 d’ici au 26 janvier, date limite fixée par la justice pour la reprise du travail.