Le baroud d’honneur des "Enfants des rues", poil à gratter du président Sissi
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Jetés en prison pour "incitation au terrorisme" en mai 2016 suite à leurs vidéos moquant l’Egypte du président Abdel Fatah al-Sissi, les comédiens de la troupe "Les enfants de la rue" ont refait surface à la surprise générale cette semaine sur les réseaux sociaux avec une nouvelle vidéo humoristique. Mais elle pourrait bien être leur dernière.
Les six comédiens s’étaient fait connaitre en Egypte au début de l’année 2016 avec des vidéos hilarantes tournées en mode selfie et dans lesquelles ils détournaient notamment les chansons du folklore égyptien pour critiquer le régime et les partisans du président al-Sissi. Postées sur leur page Facebook, ces vidéos étaient vite devenues très populaires sur les réseaux sociaux. Au point de susciter la colère des autorités.
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En mai 2016, un procureur du Caire sonne en effet la fin de la récréation : les six comédiens sont inculpés notamment pour "incitation au terrorisme ". Seul un membre de la troupe, un jeune de 19 ans pas encore majeur n’est pas inquiété [la majorité égyptienne est à 21 ans]. Les cinq autres comédiens sont eux emprisonnés, puis remis en liberté conditionnelle fin août, quatre mois plus tard.
Depuis leur sortie de prison, silence radio jusqu’à ce mardi 10 janvier et la diffusion d’une nouvelle vidéo dans laquelle la troupe dit faire son retour. Son compte ayant été supprimé en mai 2016, elle annonce la création d’une nouvelle page Facebook appelée "Cervelle et foie", en référence à un plat très populaire en Egypte, vendu par les marchands ambulants dans les rues du Caire.
Dans cette vidéo, les comédiens reprennent une chanson en rimes faites de jeux de mots absurdes, connue dans les quartiers populaires du Caire. Les paroles disent notamment : "Abou Trika [ex-footballeur célèbre] star de l’Egypte ", "que Dieu nous aide ", "pousse, pousse ", "cours , cours "…. Ils sautillent, donnant un effet de secousse à la caméra, procédé qui était devenu leur marque de fabrique au fil des mois.
Puis l’un des comédiens explique que ces retrouvailles marquent le premier anniversaire de la constitution de la troupe, et annonce la publication prochaine de nouvelles vidéos de "chansons populaires ", ce qui peut laisser présager de nouveaux détournements moqueurs.
L’annonce a suscité beaucoup d’engouement sur les réseaux sociaux.
Mais mercredi soir, nouveau revirement. Les comédiens annoncent l’arrêt définitif de leurs activités dans un communiqué énigmatique où ils accusent "certaines personnes "de les "instrumentaliser".
On y lit notamment : "Nous souhaitions revenir pour partager nos idées artistiques et nos plaisanteries avec vous. Mais certaines personnes et certains réseaux ont voulu nous instrumentaliser, utiliser nos productions pour valider leurs idées (…) Nous refusons cela catégoriquement. Nous ne sommes inféodés à personne. (…)"
"Nous ne voulons pas être un jouet entre les mains des mouvements politiques"
Joint par la rédaction des Observateurs de France 24, Mohammed Ebn Adel, membre du collectif, explique :
"Dès sa publication, des mouvements politiques d’opposition comme celui des Frères musulmans ou l’organisation des Socialistes révolutionnaires [extrême gauche] ont repris notre vidéo sur les comptes sur les réseaux sociaux et ont commencé à dire que nous défendions leur cause.
Cela nous a surpris et beaucoup énervés. Nous refusons toute instrumentalisation politique. Nous ne voulons pas être un jouet entre les mains des mouvements politiques. Notre unique préoccupation a toujours été de parler des problèmes des petites gens, des habitants des quartiers pauvres, même si cela nous a parfois amené à aborder des sujets politiques."
En liberté conditionnelle, l’épée de Damoclès de la justice est toujours sur la tête des six comédiens. Mohamed Elsoury, Mohamed Yehia, Mido Gabr, Mostapha Zien, Mohamed Ebn Adel et Ezz el-Din Khaled sont poursuivis non seulement pour "incitation au terrorisme" mais aussi pour "incitation aux manifestations" et "diffusion sur Internet d’une vidéo comportant des propos injurieux envers les institutions de l’État".
Dans son dernier rapport sur l’Egypte, Amnesty International a indiqué que la situation des droits humains dans ce pays s’est considérablement dégradée en 2015 et 2016, notamment en raison de l’instauration de restrictions arbitraires à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique sous couvert de lutte antiterroriste.
En avril 2016, 1 200 personnes avaient notamment été arrêtées pour avoir manifesté contre la décision du président al-Sissi de transférer à l'Arabie saoudite la souveraineté de deux îles inhabitées de la mer Rouge.
Plusieurs défenseurs des droits de l’homme avaient également été arrêtés et accusés d’actes de terrorisme pour avoir appelé à ces manifestations.
Peu avant leur arrestation, "Les enfants des rues" avaient d’ailleurs publié une vidéo dans laquelle ils critiquaient avec humour cette décision du gouvernement égyptien. Cette vidéo avait été vue plus de 2 millions de fois et déclenché les foudres des autorités.