À Denver, la police confisque les couvertures des SDF en plein hiver
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La municipalité de Denver, capitale du Colorado, est sous le feu des critiques depuis un mois après qu’une vidéo montrant des officiers de police confisquer des couvertures à des SDF a été massivement partagée sur les réseaux sociaux. Elle fait suite à une polémique récurrente sur un arrêté municipal interdisant le "camping urbain" dans les lieux publics, et qui a donné lieu à de nombreux "coups de balai" contre les sans-abri depuis quatre ans.
La mesure remonte à 2012, où l’utilisation de tentes, d’abris, de sacs de couchage et autres matériaux de survie dans certains endroits de la ville ont été rendus illégaux. Ces interdictions ne visent pas explicitement les SDF mais c’est tout comme. Surtout que la municipalité de Denver semble vouloir s’en prendre particulièrement aux personnes à la rue : selon le site d’information local Westword, en mars et avril 206, l’application de cette interdiction de camper a augmenté de 500 % par rapport aux 45 mois précédents.
“Le camping c’est pour s’amuser – ça, c’est pour survivre”
Pour Jerry Burton, un SDF de Denver avec qui France 24 a pu échanger : "Ce qu’on fait, ce n’est pas du camping, le camping c’est pour s’amuser – ça c’est pour survivre".
Dans la nuit du 29 novembre 2016, des SDF s’étaient volontairement installés avec des tentes et des sacs de couchage devant la mairie, pour protester contre le ciblage dont ils étaient victimes. La police est intervenue pour les dégager. La scène a été filmée par l’avocat Kayvan S.T. Khalatbari, qui défend les SDF. C’est sa vidéo qui circule depuis beaucoup en ligne.
“Les abris sont pleins”
Il y a eu trois campements de sans-abri qui ont existé au centre-ville. Normalement, quand la police les nettoie, les officiers prennent les effets personnels des SDF, leur demandent de partir mais les laissent finalement revenir. Ils disent que c’est une tactique pour les encourager à aller dans les abris dédiés aux SDF, même si les abris sont pleins.
Mais, récemment, au lieu de laisser les sans-abri retourner sur les lieux où ils s’étaient installés en ville, la mairie a fait poster des policiers sur ces lieux. Et donc, on s’est retrouvé subitement avec des centaines de sans-abri dispersés un peu partout dans la ville, et éloignés des services, dont ils ont besoin. Ça les a agacés et ils ont décidé de protester.
Les sans-abri peuvent aller chercher leurs effets confisqués par la police, celle-ci les dépose généralement dans les locaux des services sociaux ; mais ce sont souvent des lieux éloignés du centre-ville. Que doivent-ils faire alors, marcher des kilomètres, sauter des repas pour se payer un Uber ? Sans compter que souvent ils n’ont pas de papiers d’identité leur permettant de récupérer leurs affaires.
À la suite de la publication de la vidéo, la section locale du l’Union américaine de défense des libertés civiles (ACLU) a adressé une lettre publique au maire de Denver, Michael Hancock, dénonçant la "cruauté "de la position de la municipalité sur les sans-abri, et pressant les autorités d’abroger leur interdiction et de mettre fin aux coups de balais de la police.
Selon la police de Denver, les personnes déplacées que l’on voit dans la vidéo squattaient illégalement devant le siège de la mairie, malgré plusieurs avertissements. Les couvertures ont été confisquées comme "preuve des violations" de la réglementation municipale.
"Il y a des millions de raisons pour lesquelles ces gens ne peuvent pas aller dans des abris"
Kayvan Khalatbari poursuit :Je savais qu’ils allaient camper devant la mairie, et qu’il y aurait une application agressive de l’arrêté municipal de la part de la police. Donc j’avais pris de quoi filmer. La présence de caméras a, selon moi, incité les policiers à être plus polis et avoir plus de considération pour les sans-abri qui manifestaient.
Selon la procédure prévue par l’arrêté interdisant le camping urbain, un officier de police doit aller sur le lieu d’un campement, adresser un avertissement verbal pour demander aux gens de partir, et voir s’il y a une raison d’arrêter quelqu’un. Les policiers sont censés venir sur place avec des personnels de service d’aide psychologique, mais ils ne l’ont pas fait ce soir-là.
"Beaucoup de policiers ne sont pas d’accord avec cette mesure"
Si vous ne bougez pas, ils reviennent et vous donnent un avertissement par écrit. Et si vous ne bougez toujours pas, vous avez une contravention. Et si vous refusez encore de partir, vous êtes alors arrêtés. Beaucoup de policiers avec qui nous parlons ne sont pas d’accord avec cette interdiction, mais ils veulent garer leur emploi.
On nous rétorque qu’après avoir été dégagés, les SDF n’ont qu’à aller dans des abris prévus pour eux. Sauf qu’il n’y a pas assez de lits pour tous. Mais il y a aussi un million de raisons pour lesquelles ces gens ne peuvent pas aller dans des abris : les lieux sont très insalubres, bruyants, les couples ne sont pas admis ensemble… Les familles choisissent souvent de rester dans les rues pour pouvoir rester ensemble. Les gens qui ont des troubles psychologiques n’auront pas forcément envie d’aller dans un endroit sans espace privé, et pas équipé pour les accueillir. Les personnes transgenres ont elles du mal à trouver une place dans les centre d’accueil...
La plupart des abris sont gérés par des associations à but non-lucratif. C’est malheureux de voir que beaucoup de gens qui travaillent dans ces abris comprennent leurs failles mais ont peur de le dire à voix haute par crainte de perdre les financements de la mairie.
Un groupe de SDF a entrepris d'attaquer la municipalité en justice contre les coups de balais, qui violeraient leurs droits constitutionnels, selon eux. Le jugement est en attente. Le maire de Denver a réagi après la publication de la vidéo en demandant à la police d’arrêter de confisquer les effets des personnes lors de l’application de l’arrêté, jusqu’en avril 2017, ce qui n’empêchera pas les coups de balai de se poursuivre.