TURQUIE

Les pro-Erdogan font du zèle pour doper la livre turque face au dollar : "Ça n’aura aucun effet"

Un homme brandit des dollars et des euros devant un bureau de change à Istanbul. Photo : Nadir, @Zikirci sur Twitter
Un homme brandit des dollars et des euros devant un bureau de change à Istanbul. Photo : Nadir, @Zikirci sur Twitter
Publicité

Après la crise politique vient la crise économique. En Turquie, la livre ne cesse de perdre de la valeur et les investisseurs sont frileux. Pour endiguer cette chute, le président Recep Tayyip Erdogan a demandé vendredi 2 décembre à ses concitoyens d’échanger leur épargne en dollar contre des livres. Mobilisation devant les banques, ristournes dans les commerces, et même incendie de billets verts : son fidèle socle de militants a depuis pris l’injonction au pied de la lettre.

À Esenler, un quartier populaire d’Istanbul acquis depuis longtemps à l’AKP, parti co-fondé par Erdogan, de nombreux commerçants offrent cadeaux et ristournes à ceux qui avaient échangé des dollars contre des livres turques. Une façon de motiver les troupes à sortir leurs dollars cachés "sous le matelas" selon l’expression employée par le président turc.

De nombreuses photos témoignent du phénomène sur les réseaux sociaux. Nadir, habitant du quartier Esenler, a publié sur Twitter les photos d’une épicerie en bas de chez lui. On peut lire sur les pancartes des injonctions à protéger la monnaie nationale et le “reis”, surnom donné par ses supporters à Erdogan – par ailleurs, longtemps utilisé par les ultra-nationalistes. La boutique affiche sur sa porte le logo à quatre doigts des Frères musulmans et est détenue, selon Nadir, par un homme de 45 ans.

“Échangez 300 dollars, rapportez le reçu et repartez avec des pistaches. Nous et le reis sommes seuls (contre) vous et le monde entier ensemble”. Photo : Nadir, @Zikirci sur Twitter

Photo : Nadir, @Zikirci sur Twitter

Plusieurs dizaines de personnes étaient rassemblées, mardi 6 décembre, devant un bureau de change d’Esenler, avec la volonté de changer leurs dollars et leurs euros contre des billets turcs. Selon Nadir, la mobilisation était très forte dans ce quartier et les habitants très généreux, malgré leurs faibles revenus.

Sur Facebook, de nombreux commerçants turcs ont partagé des offres similaires. En échange du reçu de la banque ou du bureau de change certifiant de l’échange de dollars contre des livres, il est possible d’obtenir un mouton, la location d’une BMW, un cageot de pommes, un pot de miel ou … des pierres tombales.

D’autres militants pro-Erdogan sont allés jusqu’à mettre de feu à des liasses de billets verts pour soutenir cette campagne. Abdulbaki Orhan, un viel homme résidant à Adana (sud) a brûlé quelques dizaines de billets devant les caméras de la télévision locale pour "soutenir mon pays, le peuple et notre président de la République". "Nous n’avons pas besoin de leur argent, nous avons résisté à toutes les difficultés et nous surmonterons celle-ci également", a-t-il expliqué.

"Ces sommes n’auront aucun effet aucun effet sur la valeur de la livre turque"

Le seul problème est que cette mobilisation populaire… ne sert à rien. C’est en tout cas ce qu’affirment deux économistes. “Pour avoir de l’influence sur les taux de change, il faut une énorme somme d’argent tant ces marchés sont volumineux. Les quelques millions de dollars que ces personnes récolteront éventuellement n’auront quasiment aucun effet sur la valeur de la livre turque”, affirme à France 24 Emre Deliveli, économiste et éditorialiste turc.

Pour Ali Ağaoğlu, homme d’affaires et économiste spécialiste de la finance, contacté par France 24, le seul effet sera “psychologique”. Pour lui, cette campagne populaire pourrait insuffler une énergie positive dans un pays en grande difficulté et “dessiner quelques sourires sur les visages”. Pas de quoi sauver une économie chancelante. D’autant que le phénomène ne doit pas être surestimé, affirme Emre Deliveli. Il reste, selon lui, cantonné aux bastions de la droite conservatrice, soutiens de l’AKP, le parti du président Erdogan.