IRAN

Dans les restaurants iraniens, pour être cool, commandez en anglais

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De plus en plus de restaurants, fast-food et bars en Iran écrivent les noms des plats et boissons en anglais dans leur menu. Sur les réseaux sociaux, les critiques fusent face à cette mode du "Persinglish" (une contraction de "persan" et "English"), d’autant que cela sert souvent d’unique prétexte pour augmenter les prix.

Dans les menus de ces bars et restaurants, les noms en persan d’aliments ou de plats sont remplacés par leur traduction en anglais, mais écrit avec l’alphabet persan. Quelques exemples : le mot "piaz" est remplacé par "onion", "gharch" devient "mushroom" (champignon), alors que "strawberry mint" (limonade "menthe à la fraise ") peut se substituer à la dénomination persane "Tootfarangi Na’na".

Sur les réseaux sociaux, des utilisateurs ont publié des photos de ces menus, pour protester contre cette nouvelle "norme", comme notre Observatrice Shabnam. Étudiante en sociologie à l’université de Téhéran, elle fréquente quotidiennement les cafés et les bars de la capitale iranienne.

Menu d'un fast-food à Téhéran. Encerclé en rouge, de gauche à droite : "chubby fries" (frites grasses), "onion rings", "crispy potatoes" (chips), "crisypy mushrooims" (chips de champignons)

Dans un bar de Téhéran, de haut en bas : "Cucumber", "Red Mojito", "Punch". Les verres coûtent entre 14 et 35 tomans, soit entre 4,30 et 10 euros, ce qui est très cher pour un verre en Iran.

"Le simple fait de passer un nom en anglais fait tripler le prix d’un plat !"

Au début, je ne trouvais pas cette tendance au "persinglish" négative, je trouvais même ça intéressant et plutôt drôle. Mais au bout d’un moment, j’ai fini par en avoir assez. Quel est le problème avec le fait d’écrire les mots "concombre" ou "patate" en persan ? J’ai vu que beaucoup de jeunes partageaient mon sentiment et se moquaient de cette tendance, et j’ai rejoint le mouvement sur Twitter.

"Je ne sais pas vous mais moi quand je vois le menu d'un café en Persinglish, je fuis". 

La situation es tellement horrible que le simple fait de dire ""sibzamini sorkh karde" au lieu de "French fries" passe pour un acte de défense de langue persane. 

Se moquer de ces mots anglais écrits en lettres persanes, ce n’est pas seulement critiquer cette substitution. Mais c’est une façon de protester contre la culture des nouveaux riches qui utilisent de plus en plus l’anglais dans leur vie quotidienne. C’est ainsi le cas de beaucoup des jeunes des classes moyennes iraniennes.

"La société iranienne ne cesse de s’occidentaliser"

Depuis des décennies la société iranienne ne cesse de s’occidentaliser. Il y a une tendance à trouver que tout ce qui vient des États-Unis est bien, que c’est classe. On adopte de plus en plus des traits de la culture américaine et les bars ont fait de cette tendance un business plan.

Car dans beaucoup d’établissements, le simple fait de passer un nom en anglais peut faire tripler le prix d’un plat ! Et les gens marchent : quand mon petit copain m’emmène dans un café de ce genre, on a l’impression d’être dans un lieu très classe. Au final, l’addition est salée. C’est ridicule : personne ne payerait 15 000 tomans (4,50 euros) pour un "Shirmoz". Mais pour un "Banana smoothie" les gens ont l’air d’être prêts à le faire…

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Ces deux menus proposent des jus de fruits. Mais le premier a nommé ses cocktails avec des noms anglais (par exemple en troisième se nomme "Skywalker") et les prix y sont deux à trois fois plus élevés que ceux indiqués sur le second.

"Les jeunes utilisent l’anglais pour frimer"

Et ce n’est pas seulement le cas à Téhéran mais partout dans le pays. Et ça ne se limite plus au café et aux restaurants : la jeune génération utilise des expressions anglaises dans la langue de tous les jours, juste pour frimer, montrer qu’ils sont éduqués et prétendre qu’ils parlent couramment l’anglais.

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D’un autre côté, pour certains, utiliser l’anglais c’est une façon de dire : "je ne fais pas partie de la frange conservatrice de la société iranienne, je suis cool, je suis un/une intellectuel(le) et je suis ouvert d’esprit ". Moi, je trouve que c’est une réaction ridicule au discours officiel de l’Iran sur l’Occident. Les gens qui se comportent comme ça ont tendance à trouver que tout ce qui a trait aux États-Unis et à l’Occident en général est positif. Et pour être ami avec ces gens, il faut en faire de même.

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Moi, tout comme ceux qui protestent en ligne, nous n’avons rien contre la langue anglaise, mais nous sommes contre le fait de tronquer la réalité : la plupart des gens que je connais qui utilisent des expressions anglaises ne parlent pas anglais correctement, je trouve donc ça assez ridicule

Le linguiste iranien Reza Shokrollahi parle de "fraude linguistique", ce qui recouvre pour lui l’idée de faire passer n’importe quoi pour quelque chose de moderne et branché juste en l’exprimant en anglais.

La moitié de la population iranienne a moins de 30 ans, et les cafés, bars, restaurants sont les lieux où se retrouvent ces jeunes pour être ensemble s’amuser et draguer. En dix ans, Téhéran a vu le nombre de café branchés augmenter fortement. La capitale compte au moins 500 établissements – ce sont ceux qui sont officiellement déclarés, mais il en existe également de très nombreux qui ne le sont pas.

Les supermarchés s'y mettent aussi, écrivant même en alphabet latin le nom des produits.