TURQUIE

Sirnak, ville rasée, symbole de la guerre entre la Turquie et les Kurdes

Photo prise à Sirnak lundi 15 novembre et publiée sur Twitter.
Photo prise à Sirnak lundi 15 novembre et publiée sur Twitter.
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Après 246 jours de couvre-feu, les Kurdes qui avaient dû fuir Sirnak, dans le sud de la Turquie, ont pu retourner dans leur ville depuis lundi. Ou ce qu’il en reste : de nombreuses photos et vidéos postées cette semaine montrent un centre-ville totalement rasé par les combats entre l’armée turque et les combattants kurdes. Pour ceux qui ont tout perdu, il est difficile de retrouver de l’espoir, d’autant que la situation reste très instable, rapporte notre Observateur.

Depuis l’été 2015, Sirnak est un des principaux théâtres de combats entre l’armée turque et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), la guérilla kurde que le gouvernement désigne exclusivement sous le terme de "terroriste" . Le 20 juillet 2015, une trentaine de militants pro-kurdes avaient trouvé la mort dans un attentat à Suruç. Le gouvernement avait accusé l’organisation État islamique, mais pour le PKK, le responsable était le président turc Recep Tayyip Erdogan. En représailles, le PKK assassinait trois policiers, provoquant le déploiement de l’armée au "Kurdistan turc". Depuis, des affrontements extrêmement violents ont opposé le PKK et l’armée turque, rayant de la carte une bonne partie de la ville.

En mars 2016, un couvre-feu permanent était décrété par les autorités turques, accélérant l’exode des habitants. Il n’a été levé partiellement que dimanche dernier, le gouvernement de la province de Sirnak annonçant qu’il ne courrait plus que de 22 heures à 5 heures.

Obligés de passer de sévères contrôles de sécurité, les habitants ont donc pu retourner dans leur ville. Des dizaines d’immeubles et de maisons, des écoles, ont été détruites, l’eau et l’électricité coupées.

Vidéo publiée sur Twitter

Les habitants, dont certains ont vécu ces derniers mois en périphérie de la ville dans des conditions très difficiles, veulent avant tout reprendre le cours de leur vie, quitte à accepter les conditions du gouvernement turc, explique notre Observateur.

"Des gens sont prêts à accepter les conditions du gouvernement pour que ça s’arrête"

Mehmet (pseudonyme) travaille avec des ONG humanitaires au "Kurdistan turc" et s’est rendu à plusieurs reprises à Sirnak ces derniers mois.

Les témoignages que j’ai eus de Sirnak décrivaient de vraies scènes de guerre, avec des combats d’une violence incroyable. Des bombes étaient capables de faire des dégâts dans un rayon de 5 kilomètres par exemple. Les combats se sont notamment concentrés sur un quartier qui avait été verrouillé par les combattants du PKK. Les affrontements ont duré des mois, jusqu’à ce qu’il soit complètement rasé.

La plupart des gens qui vivaient dans les zones des combats ont fui. Vivre sous le couvre-feu c’est terrible : vous êtes enfermé chez vous, pas d’eau, pas d’électricité, des coups de feu et des explosions en permanence dehors. Si vous sortez, vous risquez de vous faire tuer immédiatement. Sans compter qu’en situation de couvre-feu, ici, les ambulances sont interdites.

Tous les habitants qui ont pu ont donc fui. Tous sont kurdes. La plupart sont allés chez des proches, dans des villes environnantes comme Diyarbakir [à environ 200 kilomètres à l’ouest de Sirnak, cette ville est considérée par les Kurdes comme la capitale du "Kurdistan turc"], ou carrément à Istanbul.

Vidéo publiée sur Twitter

"Beaucoup de maisons sont en ruine, d’autres ont été pillées"

Mais c’est très dur pour eux : ils ont laissé leur maison mais aussi leur emploi et se retrouvent à vivre avec leurs économies sans avoir rien à faire. D’autres n’avaient carrément nulle part où aller. Ils ont été hébergés dans des préfabriqués mis en place par la municipalité à l’extérieur de la ville. D’autres encore ont dû se construire des abris de fortune avec ce qu’ils trouvaient. Ces déplacés ont en tout cas pu, au moins partiellement, bénéficier de nourriture distribuée par la ville mais aussi, et il faut le souligner, par l’État turc.

Ils peuvent désormais retourner à Sirnak, mais pour beaucoup c’est trop tard, leur maison a été complètent détruite. Ceux dont le logement existe encore le retrouvent souvent pillé : c’est le cas de mon oncle, il avait une grande maison, où vivait toute sa famille, elle a été dévalisée. On lui a pris toutes les réserves de nourriture, mais aussi des couvertures, du matériel électrique, tout ce qui peut servir à la guerre…

Photo publiée sur Twitter.

Le gouvernement a dit qu’il allait prendre en charge la reconstruction et rembourser les gens. Mais la condition pour obtenir ce remboursement est claire : les habitants doivent signer un document où ils reconnaissent que c’est le PKK qui a détruit leur maison. Pour certains c’est totalement impensable : ça serait trahir leur peuple et leur identité, sans compter qu’ils sont convaincus que c’est faux, parce que le PKK n’a pas de tank et d’aviation, contrairement à l’armée nationale…Mais d’autres, qui sont Kurdes et soutiennent pourtant aussi le PKK, semblent prêts à le faire : ces gens sont épuisés par des mois de combats, ils veulent juste que ça s’arrête et reprendre leur vie. À force d’être pris en otage dans un conflit, vous finissez par soutenir le plus fort, même si vous ne partagez pas ses opinions…

Le ministère de l’Environnement et de l’Urbanisation a annoncé que 30 000 nouveaux logements seraient construits dans l’ensemble du sud-est de la Turquie, dans les zones touchées par les opérations de "contre-terrorisme "des autorités turques.

Selon l'agence de presse progouvernementale Anadolu, dans l’ensemble de la province de Sirnak, plus de 7 000 combattants du PKK et plus de 600 membres des forces de sécurité ont été tués depuis l’été 2015. Ces chiffres ne sont pas vérifiables de manière indépendante. Plus de 40 000 personnes ont été tuées depuis les premiers affrontements entre les autorités turques et les nationalistes kurdes en 1984.