Voitures volées, routes coupées et malaise social : tensions en Nouvelle-Calédonie
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Vue aérienne d'un barrrage de véhicules calcinés constitués par des jeunes mécontents de la tribu de Saint-Louis en Nouvelle Calédonie. Photo Info Route Mont-Dore.
La mort d’un jeune homme originaire d’une tribu kanak, tué par un policier samedi 29 octobre, a été à l’origine de trois jours de troubles en Nouvelle-Calédonie, provoquant notamment le blocage de la route principale traversant l’île. Ces événements récurrents révèlent un profond malaise social, expliquent nos Observateurs.
La route nationale, qui relie Nouméa à la ville de Mont-Dore, dans l’est de la Nouvelle-Calédonie, a été le théâtre d’incidents depuis samedi 29 octobre. Celle-ci longe le territoire de la tribu de Saint-Louis, considérée comme un des fiefs indépendantistes kanak. Elle est régulièrement bloquée par de jeunes membres de la tribu, comme moyen de pression pour empêcher l’accès à la capitale, comme ce fut le cas pendant une semaine en septembre 2014.
Samedi matin, tôt, une fourgonnette - recherchée après avoir été signalée sur plusieurs délits pendant la nuit – a foncé sur des gendarmes qui voulaient la contrôler. Un des gendarmes a alors sorti son arme et touché l’un des individus qui occupaient le véhicule. Le jeune homme de 23 ans a succombé à ses blessures. Il appartenait à la tribu de Saint-Louis.
Selon le procureur de la République, la victime était un évadé de la prison du Camp Est, recherché depuis le 12 juin 2015 pour ne pas avoir respecté une mesure de semi-liberté. Son casier judiciaire faisait mention de 19 condamnations, notamment pour des faits de vols aggravés et violences avec arme. Sa mort a déclenché des manifestations sur la route reliant Saint-Louis et Nouméa, des jeunes brûlant des voitures pour constituer des barrages et bloquer la circulation.
Des véhicules incendiés constituaient les barrages dressés par des membres de la tribu de Saint-Louis pour protester contre la mort d'un jeune homme tué par un policier. Photo Info Route Mont-Dore.
Dimanche matin, des gendarmes qui tentaient de déblayer la route ont par ailleurs été attaqués par des cocktails molotov et essuyé des tirs d’armes à feu. Six d’entre eux ont été blessés. La route n’a finalement pu être déblayée que mardi dans la journée, après une médiation menée avec les autorités coutumières de la tribu de Saint-Louis. Mardi, la famille du défunt a contesté l’argument de légitime défense employé par le policier.
Feu déclenché dans la tribu de Saint-Louis le 31 octobre.
"Des personnes handicapées ont dû prendre des bateaux pour rejoindre les hopitaux à Nouméa"
Les habitants de la ville de Mont-Dore se sont donc retrouvés coupés de la capitale de samedi à mardi après-midi. Jérôme (pseudonyme) habite dans cette région.
Nous avons l’habitude des incidents sur cette route où des véhicules sont régulièrement brûlés. Ce qui nous inquiète, c’est que le nombre de véhicules volés est en forte augmentation ces dernières semaines. Selon moi, c’est une minorité de jeunes de la tribu du Mont-Dore qui cambriolent les véhicules, paradent avec sur la route nationale, puis les brûlent. Certaines vidéos en attestent sur Facebook, où elles sont postées comme des trophées.
Sur ces images publiées sur les réseaux sociaux par des proches de la tribu de Saint-Louis, on voit une voiture calcinée traînée sur la route reliant Nouméa au Mont-Dore. Ces vidéos sont parfois postées par des membres de la tribu "qui exhibent les véhicules comme des trophées" selon notre témoin.
Environ 6 000 personnes se sont retrouvées bloquées, sans possibilité de ravitaillement par la route. Les ambulances ne pouvaient pas non plus passer. Une solidarité s’est mise en place : des propriétaires de bateaux ont organisé des navettes pour rejoindre Nouméa par la mer. J’ai vu des personnes handicapées et qui avaient besoin de soin être évacuées sur des Zodiac dans des conditions difficiles. On est un peu fatigué car les choses se répètent, et on a le sentiment que la situation n’est pas sous contrôle, que ces jeunes n’ont plus de repères.
Initialement, Saint-Louis était une mission catholique fondée en 1859, regroupant des populations kanak converties au christianisme et venant des quatre coins de l’île. Il s’agit donc d’une tribu composite qui au fur et à mesure de la perte d’influence de l’église catholique, est devenue un bastion indépendantiste kanak. Des membres de la tribu sont fréquemment à l’origine de heurts sur fond de ras-le-bol social depuis une trentaine d’années.
Le mouvement le plus important a eu lieu entre 2001 et 2004 : des affrontements violents avaient opposé des communautés mélanésiennes de la tribu et des communautés wallisiennes, issues du lotissement voisin de l'Ave Maria, en raison de désaccords concernant des terres revendiquées par chaque camp.
"À chaque événement, on met un pansement, mais on ne soigne pas"
Ambroise Kamodji est originaire de Saint-Louis et habite à Koné dans l’ouest de la Nouvelle-Calédonie. Il est aujourd’hui éducateur spécialisé et a travaillé pendant deux ans auprès des jeunes de la tribu dans une association travaillant à la réinsertion sociale.
Le blocage de la route reliant Nouméa à l’Ouest, j’ai toujours connu ça : c’est pour ces jeunes un outil de pression politique habituel, la seule façon de se faire entendre et d’attirer l’attention médiatique. Ce qui est anormal, c’est qu’en 2016, cette technique soit toujours utilisée : ce sont toujours des jeunes, parfois très jeunes, qu’on voit bloquer sur ces routes. Ça devient usant car ça met tout le monde en danger. Et on a l’impression que parler avec eux ne suffit plus.
"Les jeunes ont le sentiment qu’il faut faire deux fois plus d’efforts pour accéder à l’emploi quand on est un jeune Kanak"
Je ne cherche pas d’excuses, mais il est trop facile de jeter la pierre sur ces jeunes. Quand on discute avec eux, ils ont un sentiment d’injustice : même quand ils ont fait des études, les emplois pour lesquels ils postulent sont souvent obtenus par des métropolitains ou même des personnes qui arrivent directement de France. Ils ont le sentiment qu’il faut faire deux fois plus d’efforts quand on est un jeune Kanak [le taux de chômage des 15- 24 ans en Nouvelle Calédonie était estimé à 38,4 % en 2014, NDLR].
J’entends beaucoup que ces jeunes n’écoutent plus les anciens de la tribu et qu’ils n’auraient plus de repères. Je crois surtout que les générations ont changé, et que la transmission orale traditionnelle fonctionne moins bien qu’avant. Au-delà des modèles, je pense qu’ils ont besoin de solutions : beaucoup de leaders parlent pour la tribu, dénoncent ce qu’il s’y passe, mais en terme d’actes concrets pour lutter contre l’exclusion sociale par exemple, peu profite à ces jeunes.
"Je fais le rapprochement avec la situation de beaucoup de jeunes de banlieues métropolitaines"
Ce qu’il se passe à Saint-Louis me fait un peu penser à la situation des jeunes de banlieues françaises. À Saint-Louis, un Kanak dont les ancêtres viennent du Nord sera vu comme le Nordiste. Et à l’extérieur, il sera vu comme un jeune de Saint-Louis, avec tout ce que cela implique péjorativement. Ces stigmates intergénérationnels rendent difficile la recherche de leur identité propre.
La route est maintenant déblayée. Si dans 15 jours, la situation est calme, on n’entendra plus parler de Saint-Louis. À chaque événement, on met un pansement, mais on ne soigne pas. Se concentrer sur une minorité qui donne une mauvaise image de la tribu et ne pas régler les problèmes de fond, ça ne règlera rien.
Ces événements ont eu lieu dans un contexte politique braquant les projecteurs sur la Nouvelle-Calédonie : le 7 novembre, à Matignon, doit se réunir le comité des signataires de l'accord de Nouméa. Certaines questions sensibles, comme l’inscription "automatique et sans condition" de tous les Kanak sur la liste électorale pour le référendum d'autodétermination de 2018 en Nouvelle-Calédonie réclamée par certains partis néo-calédoniens devront être abordées.